« Le poète a dit la vérité, il doit être exécuté »… Cette phrase issue d’une ritournelle d’une autre époque est hélas toujours d’actualité… de même que l’exécution traditionnelle des « porteurs de mauvaises nouvelles » dans certaines civilisations.

Celle ou celui qui ne marchait pas dans les « traces » de tout un chacun était soupçonné/e d’hérésie. Les temps ont changé et, si les réactions sont différentes, les réflexes eux, ont été conservés.

Ne pas suivre le chemin qui a été tracé devant soi paraît étrange, même s’il s’est avéré sans issu depuis longtemps.

LE SYNDROME DE « L’ECUREUIL EN CAGE »

Le discours a cela d’extraordinaire c’est qu’il peut donner l’impression de l’innovation et de la radicalité tout en demeurant parfaitement conservateur. Il y a bien longtemps que ce n’est plus la pratique qui qualifie l’attitude mais seulement le dire… avec tout ce qu’il a de mystificateur…. Faut-il donner des exemples ?

On peut-être certes conservateur par choix et/ou intérêt politique, mais on peut tout aussi bien l’être tout en étant persuadé que l’on est au contraire parfaitement progressiste.

Comment cela se peut-il ?

En se persuadant petit à petit, que le chemin que l’on suit est le bon et ce malgré le fait de s’être chaque fois perdu.

Ce chemin, cette voie nous a été montré, enseigné, présenté comme la quintessence de ce qu’il y a de juste, de « naturel », de démocratique. Il ne nous viendrait pas à l’idée de remettre cette « vérité » en question… ça ne nous effleure pas l’esprit, nous l’avons totalement intégré, elle fait partie de nous même et bien entendu elle détermine nos comportements.

De même que sous l’Ancien Régime, et ce pendant des siècles, il ne venait pas à l’esprit de remettre en question la nature divine de l’autorité…. les rares qui s’y sont risqué l’ont chèrement payé, il ne nous viendrait pas à l’esprit de remettre en question ce qui nous a été présenté, une bonne fois pour toute, comme un processus absolument démocratique : l’élection.

Bien sûr nous protestons, contestons, critiquons, la situation actuelle,… mais quand il s’agit d’agir, de faire, nous reproduisons fidèlement ce que l’on nous a dit être « juste et démocratique ». Tels des écureuils en cage, nous nous agitons à faire tourner celle-ci en nous donnant l’impression d’avancer… Et aujourd’hui, après des décennies d’efforts, lorsque nous nous arrêtons pour reprendre notre souffle, nous constatons l’incroyable : rien n’a bougé. … et même dans certains domaines nous avons commencé à reculer (social, environnement, …).

A la surprise de celles et ceux qui ne veulent plus « pédaler dans le vide », la plupart reprennent, tel Sisyphe, cette « conquête de l’inutile » traitant les précédents de nihilistes ( ?) et déserteurs ( ?). Pour peu ils les brûleraient pour hérésie.

« Plutôt faire n’importe quoi que de sombrer dans la désespérance », telle semble être la philosophie de celles et ceux qui « jouent le jeu » et d’avoir le « nez dans le guidon » permet de ne pas voir le paysage désolé que l’on traverse et la destination qui sans cesse recule. Reconnaître lucidement la situation dans laquelle nous sommes est trop dur, trop déprimant, changer ses méthodes d’action, trop difficile…

L’OBSTINATION POUR SAUVER L’ESPOIR

Les articles, les discours (je sais de quoi je parle…) qui disent ce que l’on n’ose pas s’avouer, sont mal venus. La suspicion, voire l’insulte sont le lot quasi quotidien des « briseurs de rêve », de celles est ceux qui refusent de se taire et de faire « comme si… ». Et pourtant !…

La démocratie marchande ne conçoit la réflexion et la critique que dans le cadre qu’elle fixe, celui qui correspond à ses intérêts et avant tout à ceux du système qu’elle défend. Pour parvenir à un tel tour de force, elle a, comme tous les autres système dans l’Histoire, mais avec infiniment plus de moyens, mis en place tout un arsenal d’ « appareils idéologiques » qui, du berceau à la tombe, martèlent sa vérité. Hier c’était l’Eglise qui jouait ce rôle, aujourd’hui ce sont les médias, les « philosophes de Cour », voire chanteurs et sportifs,…

L’aliénation politique, car c’est bien de cela dont il s’agit, consiste à ne plus voir en terme de perspective que le cadre institutionnel qu’offre le système… Hier c’était le Ciel, aujourd’hui les urnes.

Toute la logorrhée militante est asservie à cet état de chose. L’union, la lutte, la mobilisation, le rassemblement, la dynamique, tous ces termes qui donnent à leurs utilisateurs l’illusion de la radicalité, tout cela ne concerne qu’une chose : l’élection. Les prononcer, indépendamment de ce qu’ils signifient, … donne de l’espoir.

Bien sûr, il y a les luttes sociales que l’on soutien,… mais dont l’aboutissement ne peut se concevoir qu’en terme électoral… voyez le CPE, voyez le NON au référendum européen !…

La pratique sociale, la vraie, celle qui consiste à élaborer une alternative concrète au niveau des rapports sociaux, celle là, elle est totalement ignorée… sinon pratiquée, et encore pas en terme de stratégie politique, de manière marginale.

Le discours politique qui se fonde sur cette pratique ou qui fait de cette pratique l’axe stratégique du changement, est en grande partie ignoré, voire tourné en dérision par celles et ceux qui ne jurent que par les prochaines échéances électorales… Les échéances politiques, les espérances politiques, ne sont rythmées que par celles-ci… En dehors d’elles, il n’y a rien, ou quelques luttes qui n’ont de sens qu’en fonction de ce qu’elles peuvent électoralement rapporter ( ?).

La situation est bloquée, dans la société, mais aussi dans nos têtes.

Nier l’évidence est tragiquement devenu un réflexe de conservation, de protection. Devant l’impasse qui s’ouvre devant nous, devant notre impuissance collective à penser et à matérialiser la critique du système marchand, on préfère accepter ce qui est tant qu’il est encore supportable… ‘ « Il vaut mieux ça que rien » CQFD

GLISSEMENT PROGESSIF VERS LA SCLEROSE

L’obstination à ne pas voir et à reproduire les schémas obsolètes a été élevée au rang de valeur cardinale de la citoyenneté. On en arrive ainsi, avec l’approbation quasi générale à faire « singer » à des enfants, dans les lieux même du Parlement, la « pratique de la démocratie »… ainsi la boucle est bouclée.

La pratique citoyenne officielle est devenue à la fois la plus sûre garantie que rien ne changera mais aussi la « béquille psychologique » du citoyen qui « veut faire quelque chose… », « s’engager »…

Hors du chemin tracé point de salut. Celle ou celui qui ne joue pas le jeu est disqualifié. Son opinion ne mérite même pas discussion.

L’espoir n’est plus véritablement dans « ce qui pourra se faire » mais dans le fait d’ « avoir pu imaginer que ça pouvait se faire », d’y avoir cru jusqu’au bout, d’avoir rêvé et fait rêver au changement. Tout « briseur de rêve » est à écarter d’urgence…

Pour exister politiquement, suivant les canons officiels, il faut se présenter aux élections. Toute autre attitude n’est plus, de fait, socialement admise. Le système étant ce qu’il est, et bien verrouillé, il n’est plus question de le toucher… Seuls quelques ménagements sont possibles, et c’est seulement dans ce cadre là, et lui seul, que l’on peut parler de « changement », de « rupture »… autrement dit, la sémantique s’est substituée à la pratique. Les faits n’ont plus de sens, seuls les mots en ont un ( ?).

Nous ne sommes plus aujourd’hui un peuple de citoyen-nes-s mais un peuple d’électeurs/trices, poussant l’absurdité de la situation jusqu’au bout : élire ou réélire des individus qui ont délibérément violé les règles de la citoyenneté. Pour la plupart, cette situation n’est pas désespérante, ce qui l’est, ou le serait, ce sont celles et ceux qui ne veulent plus se compromettre dans de telles bassesses et les dénoncent.

C’est en exerçant l’esprit critique et son libre arbitre que l’on est citoyen ? Qu’en est-il aujourd’hui individuellement et collectivement ?

Patrick MIGNARD