Paranoïa antiterroriste ou petits cadeaux entre amis ?

La Turquie lance des demandes d’extradition contre ses opposants politiques à l’étranger.

L’Union Européenne, emprisonne des citoyens qui n’ont commis aucun délit, en vertu des nouvelles lois antiterroristes et de la liste noire de l’administration Bush.

Aujourd’hui, la journaliste kurde Zubeyde Ersoz, arrêtée au Luxembourg et le belge Bahar Kimyongur arrêté aux Pays-Bas sont menacés d’être extradés.

En Turquie, ils risquent la torture et la mort.
Nous avons peine à croire que ces extraditions se feraient au nom de la « justice ».

Alors, quoi ? Nos amis serviraient-ils de monnaie d’échange pour régler quelques petits problèmes politiques, voire commerciaux ?

Nous espérons encore que nos dirigeants ne sont pas tombés si bas, ne sont pas aussi cyniques et qu’ils ne livreront pas leurs otages, comme au bon vieux temps des années 40…

Droit d’asile : Réfugiée politique ou terroriste?

Une jeune journaliste kurde est incarcérée à Schrassig. La Turquie veut son extradition.
Le Luxembourg va-t-il se plier aux exigences d’un Etat qui n’hésite pas
à tuer ses opposants politiques?

La biographie de Zübeyde Ersöz, actuellement en prison à Schrassig, se lit comme un cas de figure exemplaire d’une victime de persécutions politiques dans son pays d’origine. Né en 1971 à Bingol, dans la région kurde de la Turquie, elle connaît lors de sa jeunesse les années les plus dures de la répression anti-kurde des autorités turques.

Comme sa soeur Gurbetelli, rédactrice en chef du journal Özgür Gündem, elle se lance dans le journalisme et milite dans le « parti de la femme ouvrière kurde ».

Au début des années 1990, lorsque une certaine Tansu Ciller, alors premier ministre, avait émis la consigne que l’opposition kurde devait être « réduite au silence », les journalistes d’Özgür Gündem sont persécutés.

Comme 160 autres journalistes kurdes, la rédactrice en chef disparaît et va trouver la mort dans des conditions non élucidées jusqu’à présent. Mais aussi le frère de Zübeyde Ersöz, un médecin engagé qui ne s’est pas refusé à soigner des militants kurdes en fuite devant l’appareil sécuritaire de la Turquie, a été tué pendant cette période.

Zübeyde sera arrêtée et torturée, mais réussira à fuir en Allemagne où elle dépose une demande d’asile politique en novembre 1993. Elle restera en Allemagne pendant des années. Grâce à des autorisations provisoires, elle peut même exercer son métier de journaliste et travailler comme correspondante pour Özgür Gündem et d’autres journaux kurdes. Mais sa demande d’asile sera finalement rejetée en décembre 1995, comme celle de beaucoup d’autres kurdes.

L’Allemagne, qui entretient des relations politiques et économiques privilégiées avec la Turquie, s’obstine à ne pas reconnaître les persécutions dont sont victimes les kurdes et notamment ceux qui sont politiquement engagés.

Zübeyde Ersöz quitte le territoire européen pour se lancer dans une autre aventure : pendant près de dix ans, elle travaillera dans le camp de Mahmur, au nord de l’Irak. C’est un des camps installés par les Nations-Unies suite à la première guerre du Golfe, dans la zone autonome kurde. Elle continue à faire des papiers pour différents organes de presse, et travaille notamment comme enseignante dans le camp de réfugiés.

Début 2006, elle apprend que les services secrets turcs l’ont repérée et elle reprend le chemin de l’exil. Via la Hongrie, elle arrive au Luxembourg, où elle est attendue par une famille kurde, dont le statut de réfugiés politiques avait été reconnu depuis plusieurs années. La mère de la famille avait elle aussi travaillé dans le camp de Mahmur, c’est là que les deux femmes ont fait connaissance et que Zübeyde Ersöz a entendu pour la première fois parler d’un pays démocratique en Europe épris des droits humains appelé Luxembourg.

Le 14 février 2006, accompagnée d’un avocat qui lui a été suggéré par sa famille d’accueil, la réfugiée se présente une première fois au ministère des affaires étrangères pour y déposer sa demande d’asile. Malgré une attente prolongée, elle ne sera pas reçue et on lui signale qu’il faudra revenir le lendemain. Elle se présentera le lendemain sans avocat mais accompagnée par une interprète.

Lorsqu’en soirée son avocat veut prendre de ses nouvelles, on lui signale que Zübeyde Ersöz a été incarcérée à Schrassig, suite à un mandat de recherche d’Interpol. Sa cliente serait une dangereuse terroriste.

L’isolement au lieu de l’asile

Le jour même, le ministre des affaires étrangères rejette la demande d’asile politique de Zübeyde Ersöz, invoquant l’article 1.f. de la convention de Genève : l’asile politique peut être refusé à des personnes ayant commis des crimes graves, tels que les actes de terrorisme. Sans que l’avocat ait pu intervenir, Zübeyde est transférée en cellule d’isolement à Schrassig où on attend avec une certaine anxiété « la terroriste », à laquelle un régime de sécurité renforcé est appliqué.

L’avocat doit tout mettre en oeuvre pour se procurer le dossier de Zübeyde Ersöz qu’on a confisqué à sa cliente lors de son incarcération. En recevant de la main du procureur une copie de l’avis de recherche, l’avocat signale immédiatement que la photo – de mauvaise qualité – ne correspond guère au physique de sa cliente. Mais ceci n’empêche pas les autorités de la maintenir en prison.

L’avocat introduit une demande de libération provisoire auprès de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement. L’affaire sera délibérée le 9 mars (voir woxx 839 et 840), mais Zübeyde Ersöz ne sera pas mise en liberté. Ceci malgré un nombre impressionnant de pièces rassemblées par l’avocat pour prouver que sa cliente ne pouvait pas avoir commis les actes terroristes dont les autorités turques l’accusent. L’avis de recherche d’Interpol comporte une liste d’actes terroristes qui se situent entre septembre 1994 et octobre 1995. Or, Zübeyde Ersöz était justement en Allemagne pendant cette période et assistait à de nombreuses auditions en relation avec sa demande d’asile politique.

En plus, l’avocat fait état des nombreuses tentatives de dénigrement de l’Etat turc envers les personnes engagées politiquement, qui sont systématiquement accusées d’actes de terrorisme pour pouvoir les faire arrêter même en dehors du territoire national.

Les autorités luxembourgeoises tant politiques que judiciaires remettent ainsi le sort de Zübeyde entre les seules mains de la Turquie, qui dans un délai de quarante jours doit déposer une demande d’extradition formelle aux autorités grand-ducales. Le message a été bien reçu à Ankara, car ses parents qui n’ont pas vu leur fille depuis une douzaine d’années, ont reçu la visite d’agents de la sécurité turque pour leur faire signer un papier qui comporte la vraie photo de Zübeyde, le jour qui suivait son arrestation à Luxembourg. Entre-temps, une demande d’extradition non formelle a été remise aux instances luxembourgeoises, il manque encore la signature du ministre des affaires étrangères turc, ce qui devrait se faire dans les prochains jours.

Il appartiendra alors à la chambre du conseil de la cour d’appel de statuer sur le sort de la journaliste kurde. Si elle tranche en sa faveur, l’affaire est définitivement classée et elle sera libérée. Dans le cas contraire, le dernier mot reviendra au ministre de la justice qui peut s’opposer à une extradition. Si l’avocat se dit optimiste de pouvoir convaincre les autorités luxembourgeoises qu’une extradition est injustifiée, le déroulement de cette affaire jusqu’à ce jour laisse cependant présager du pire.

Indépendamment de cette procédure en relation avec l’avis de recherche international, l’avocat de Zübeyde Ersöz a formulé un recours gracieux à l’adresse du ministre des affaires étrangères relative à la demande d’asile politique. Celui-ci devrait réagir à la mi-avril pour éventuellement revenir sur sa décision initiale de ne pas accorder l’asile politique. Jusqu’à présent, le ministre n’a pas pris position et il n’a pas donné suite aux demandes répétées de la rédaction du woxx, d’expliquer sa décision initiale, prise dans la hâte.

Article de Rischard Graf dans Woxx
Source : www.dei-lenk.lu

Lisez et Signez
la pétition contre l’extradition de Zübeyde Ersöz

Communiqué commun de

l’Association des Arméniens Démocrates de Belgique,

les Associations Assyriennes de Belgique,

la Fondation Info-Turk et

l’Institut Kurde de Bruxelles

Non à l’extradition vers la Turquie

Il y a quelques semaines, lors d’une conférence de presse organisée à la Maison des parlementaires à l’occasion de l’anniversaire du coup d’état militaire de 1971 en Turquie, nous avons attiré l’attention de l’opinion publique sur le fait que, malgré certaines réformes cosmétiques, les pratiques répressives et les violations des droits de l’Homme se poursuivent de façon alarmante. Il a été demandé aux dirigeants européens de rester vigilants contre toute ingérence du régime d’Ankara dans leurs affaires.

Aujourd’hui nous constatons que cette ingérence inadmissible prend des dimensions scandaleuses par l’arrestation du citoyen belge Bahar Kimyongur aux Pays-Bas et de la journaliste kurde Zubeyde Ersoz au Luxembourg .

L’arrestation de Bahar Kimyongur aux Pays-Bas

Bahar Kimyongur est bien connu par nos organisations en raison de sa détermination pour la défense des droits de l’Homme et des peuples non seulement en Turquie mais également dans tous les pays sous régime répressif.

Né en Belgique, citoyen belge et licencié en histoire de l’art et archéologie à l’ULB, Bahar Kimyongur a des qualités exceptionnelles à valoriser notamment dans la vie sociale, associative et politique. Il informe régulièrement l’opinion européenne des violations des droits de l’Homme en Turquie et notamment de l’aggravation du régime pénitentiaire qui a coûté à la vie de 122 prisonniers politiques.

A plusieurs reprises, il nous a assuré des services d’interprétariat et de traduction, notamment lors de la commémoration que nous avons organisée en 2005 au Sénat belge à l’occasion du 90e anniversaire du génocide des Arméniens et des Assyriens.

Kimyongur a été arrêté dans la nuit du 27 au 28 avril 2006 aux Pays-Bas alors qu’il s’y rendait pour organiser une activité culturelle. L’arrestation effectuée par la police hollandaise sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par la Turquie a été confirmée le 1er mai par la justice hollandaise. Pour protester contre cette arrestation, Kimyongur a entamé une grève de la faim dans la prison hollandaise.

Comme il a été bien souligné par le Comité Liberté d’Expression et d’Association (CLEA):

« Kimyongur n’a commis aucun crime ni délit en Belgique, en Turquie ou ailleurs. Mais, en vertu des nouvelles législations antiterroristes mises en place en Europe, son engagement politique est présenté comme terroriste, ce qui permet aujourd’hui à la Turquie d’exiger son extradition. Pourtant, s’exprimer, s’organiser, contester ne sont pas des actes terroristes, mais demeurent des libertés démocratiques protégées par les Constitutions belge et hollandaise. Il paraît donc essentiel de dénoncer toute tentative détournée de faire taire une parole alternative au nom de la lutte contre le terrorisme. »

L’arrestation de Zubeyde Ersoz au Luxembourg

La journaliste kurde Zubeyde Ersoz, étant une des victimes de la pression de l’Etat turc, a été obligée de quitter son pays natal pour venir se réfugier en Europe. Elle a fait sa demande d’asile politique au Ministère des affaires étrangères et de l’immigration du Luxembourg à la date du 15 février 2006. Lors de sa demande, elle a été arrêtée par la police de Luxembourg sur base d’un mandat d’arrêt des autorités turques et elle est maintenant menacée par une possibilité d’extradition vers la Turquie.

Dans un appel urgent, le Bureau des Femmes Kurdes Pour La Paix (CENI) rappelle que le mandat d’arrêt ne possède pas de base juridique et que la demande d’extradition vers la Turquie n’est pas légitime.

L’Union des Journalistes Kurdes en Europe signale dans un communiqué qu’Ersoz est soumise à des traitements antidémocratiques dans la prison. Pour protester contre cette attitude des autorités du Luxembourg depuis le 15 avril 2006 elle a entamé une grève de la faim.  » Nous, les journalistes kurdes en Europe, sommes très inquiets concernant, surtout sa situation de santé., » dit le communiqué.

Nos organisations, outrées par cette soumission des autorités européennes à l’ingérence du régime d’Ankara, appellent tous les milieux démocratiques européens, notamment belges, hollandais et luxembourgeois, à réagir contre l’arrestation des opposants du régime turc et à demander leur libération immédiate.

Bruxelles, le 3 mai 2006

L’Association des Arméniens Démocrates de Belgique
Les Associations Assyriennes de Belgique
La Fondation Info-Turk
L’Institut Kurde de Bruxelles

Lisez et Signez la pétition contre l’extradition de Bahar Kimyongur

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