On va aux «SOLDES comme (presque) les poilus de 14-18 montaient au front. Gavés, matraqués, saoulés, conditionnés. Un magasin de soldes se prend d’assaut.

Les«SOLDES» expriment une forme de «libération» à force d’asservissement à la marchandise.

STAGEGIE ET TACTIQUE D’ACHAT

Tout commence par une reconnaissance du terrain… reconnaissance fondée sur le repérage. On «photographie» les lieux, on fait du «renseignement». On note bien l’heure H du jour J. On fait sauter tous les autres rendez-vous. On mobilise son meilleur copain et/ou sa meilleure copine.

Le jour J, on se lève tôt. Petit déjeuner léger. On s’habille court. On chausse des baskets pour aller vite et ne pas glisser. On arrive à l’avance. On se glisse sous le rideau de fer alors qu’il est à moins d’un mètre du sol. On fonce, on bouscule, on attrape, on résiste,… et l’on s’affale devant la caisse avec un grand sourire… Ca y est, on l’a!

Et si en plus, la télé fait un reportage, sur les SOLDES, à ce moment là, c’est la gloire assurée.

J’exagère?… Vraiment?

Contrairement à la mission militaire qui doit reconnaître la bravoure de l’acte pour le décorer, celui qui a fait les SOLDES porte fièrement en guise de trophée ce qu’il a obtenu de haute lutte. « A vaincre sans périls on triomphe sans gloire»

Peut-être y aura-t-il un jour un monument à la gloire du «consommateur inconnu».

LE MIROIR DES APPARENCES

L’important n’est plus d’acheter pour satisfaire un besoin (valeur d’usage de la marchandise), mais c’est l’impératif social de l’achat, c’est ce moment précis des SOLDES, qui détermine la finalité de l’acte. «Comment tu n’es pas allé faire les SOLDES?»

Celui ou celle qui «n’est pas allé faire les SOLDES» est soit un inconscient, soit un individu hors norme. Participer aux SOLDES c’est participer à un défi que lance le système au consommateur: «chiche, achetez moins cher! », mais aussi un défi que l’on se lance à soi-même à travers le regard des autres «tu as vu combien je l’ai payé?… et tu sais combien il valait?».

Les SOLDES réconcilient le consommateur avec le système qui l’exploite. Les SOLDES sont au système marchand, ce que le Carnaval était à la rigueur imposée au fidèle par l’Eglise. La transgression de la valeur d’échange (les prix bradés) donne une image positive du système en «affaiblissant» cette valeur qui laisse toute la place au «bien être» procuré par la valeur d’usage.

La valeur d’usage n’est plus «brimée» par la valeur d’échange, au contraire, la transgression de cette dernière donne toute sa saveur à l’appréciation de l’autre. L’adrénaline des Soldes est un peu l’adrénaline du vol à l’étalage, à la différence que la première est légale alors que l’autre est interdite.

La valeur d’usage de l’objet acheté en solde est moins dans son utilité physique, ce qui en principe fonde cette valeur, que dans l’intérêt d’avoir pu l’acheter «en solde», réintroduisant par là même la valeur d’échange dans une forme qui, en étant quantitativement atténuée, n’en demeure pas moins la raison essentielle du fonctionnement du système.

En effet, dans ce «jeu du chat et de la souris», entre le consommateur et la marchandise, n’est pas le chat qui croit l’être. Les SOLDES sont un moyen de réguler le cycle de la marchandise dans les circuits de distribution… Le problème des stocks, des invendus,… trouve là un excellent moyen de se résoudre…. Encore que l’on assiste à une dérive du processus: certains commerçants stockent spécialement… pour les SOLDES. Et alors direz vous, «il vaut mieux faire cela plutôt que de détruire les stocks». Certes mais alors il faut replacer les SOLDES dans le véritable contexte qu’elles souhaitent faire oublier. C’est un peu comme si on voulait faire oublier au salarié à qui on accorde une augmentation de salaire… le «système du salariat» qui le contraint économiquement et socialement… L’augmentation de salaire est certes bonne à prendre, mais attention, ne soyons pas dupe de l’essentiel.

Les SOLDES donnent l’illusion que l’on transgresse le marché. Ce n’est plus lui qui, apparemment, commande, qui gouverne, qui nous guide et nous impose. Le marché est mis entre parenthèses et l’on est pour une fois acteur de sa propre vie… du moins c’est ce que l’on croit.

D’ailleurs, vous l’avez remarqué, la publicité, hormis pour les SOLDES elles-mêmes, disparaît. On ne vante plus le produit pour lui-même, mais l’acte d’achat. On ne fait pas la promotion de la valeur d’usage mais celle de la dévalorisation de la valeur d’échange. Même le sacro saint «rapport qualité – prix» passe à la trappe.

Dans les SOLDES plus qu’à n’importe quel moment sur le marché, le fétichisme de la marchandise joue à plein.

UNE MESSE ECONOMIQUE

Les médias ne se sont pas trompés sur l’importance sociale des SOLDES, eux qui nous ont assommé d’informations totalement inessentielles sur ce moment. Moment qui a autant pris d’importance que l’importance sociale (?) du «Vendredi 13» pour inciter à jouer. On peut mesurer là leur rôle particulièrement pernicieux dans le conditionnement des foules et leur abêtissement, de même que la bêtise et/ou la complicité des journalistes qui se prêtent à cette manipulation..

Les SOLDES sont devenus un moment de communion entre le consommateur et la marchandise. Mais il y a plus que ces fastes d’une liturgie commerciale qui frôlent l’hystérie. Il y a ce qui ressemble à une transsubstantiation, la transformation du désir de consommer en ce qui constitue fondamentalement la marchandise la valeur d’échange et la valeur d’usage. Cette vieille opposition entre ces deux valeurs si déroutantes pour l’acheteur: «j’ai besoin mais je dois payer» disparaît au point d’inverser le rapport: «j’achète non pas par ce que j’ai besoin, mais par ce que je peux payer et/ou parce que ce n’est pas cher, ou moins cher». Ainsi, le rapport du consommateur à l’objet, c’est-à-dire à la marchandise, dévoile l’objet du rapport qui est en fait la soumission de celui-ci à celle-la. Comme dans toute religion institutionnalisée, il y a dépendance du sujet à sa divinité. La transsubstantiation n’est pas une libération elle n’est que soumission.

Les SOLDES sont le sucre d’orge, royalement accordé au consommateur par la marchandise pour lui donner l’illusion de sa libération. Le quantitatif se substitue au qualitatif tout en dénaturant ce dernier. Les pouvoirs publics veulent multiplier ces grandes messes et on les comprend, surtout en période de crise où il faut trouver un dérivatif pour apaiser les craintes et sauver les apparences.

Patrick MIGNARD

Voir aussi les articles:

«LE FAUX HUMANISME DE LA MARCHANDISE»

«LA PUB OU LA VIE »