24 Juin 2003

Par

Greg Palast

, AlterNet

Traduction

CSP

Au mois de juin dernier, sur la première page du journal San Francisco
Chronicle, une photo d’Associated Press d’un groupe de manifestants était
accompagnée de la légende suivante :

« DES DIZAINES DE MILLIERS DE VENEZUELIENS OPPOSES AU PRESIDENT CHAVEZ »

La légende nous apprenait que l’homme fort Sud-américain était un tueur, un
autocrate, et que le peuple voulait s’en débarasser. La légende poursuivait
: « [Des Venezueliens] ont marché samedi pour exiger sa démission et la
punition pour les responsables des 17 morts au cours du coup d’état d’avril.
« Chavez, pars maintenant ! » pouvait-on lire sur une énorme banderole. »

Il n’y avait pas à proprement parler d’article dans le journal – l’amérique
du sud n’en vaut pas vraiment la peine – juste une photo et une légende.
Mais le Chronicle savait qu’il n’y avait pas besoin d’article. Les
Venezueliens détestaient leur terrible président, et la photo en était la
preuve.

Je pourrais confirmer l’existence de ces grandes manifestations. J’étais au
Venezuela il y a encore peu et j’ai vu 100.000 personnes manifester contre
le Président Chavez. Je les ai filmés pour BBC Television London.

Mais j’ai aussi filmé ceci : une manifestation plus grande encore, largement
plus de 200.000, de Venezueliens en soutien à leur président, Chavez.

Aucun journal étatsunien n’a publié les images de la manifestation
pro-Chavez, pourtant plus nombreuse.

Le mois suivant, lorsque le New York Times publia une photo de manifestants
anti-Chavez, ces derniers s’étaient démultipliés. Le Times parlait de
600.000 personnes qui avaient manifesté contre Chavez.

Une fois de plus, les manifestants pro-Chavez, plus nombreux, avaient
« disparu » comme on dit en Amérique latine. Je suppose qu’ils ne méritaient
pas d’etre mentionnés.

Observez la photo d’AP publiée par le Chronicle des manifestants anti-Chavez
au Venezuela. Remarquez leur couleur. Blancs.

Et pas n’importe quel blanc. Un joli blanc riche et crémeux.

J’en ai interviewé et enregistré dans l’ordre : un banquier en talons
aiguilles, un cadre de l’industrie pétrolière (meme tenue), et un
propriétaire de plantation qui était arrivé à Caracas au volant d’une Jaguar
argentée.

Et quelle était la couleur des manifestants pro-Chavez ? Brun foncé. Bruns
et ronds comme des noix de cola – tout comme leur héro, leur président
Chavez. Ils portaient tous des jeans et des T-shirts.

Que je vous explique.

Pendant 500 ans, le Venezuela a été dirigé par une minorité de gens très
blancs, descendants pure-sang des conquistadors espagnols. Pour les plus de
80 pour cent de Venezueliens qui sont bronzés, Hugo Chavez est leur Nelson
Mandela, l’homme qui a démoli l’apartheid économique et sociale qui a
maintenu les millions de peaux-colorées entassées dans des maisons en carton
dans les collines au-dessus de Caracas tandis que les blancs profitaient de
leur splendeur dans le centre de la ville. Chavez, comme me l’a dit avec
mépris un journaliste blanc de Caracas, leur donne des briques et du lait et
ils votent pour lui.

Pourquoi est-ce que je vous explique tout ceci ? Si vous avez regardé BBC TV
ou Canadian Broadcasting, vous le sauriez déjà. Mais si vous lisez le New
York Times, tout ce que vous savez c’est que Chavez est un « autocrate », un
« démagogue dispendieux », un « dictateur » en puissance, qui a démissioné
lorsqu’il a reconnu son impopularité.

Droles de mots – « dictateur » et « autocrate » – pour parler de Chavez, qui a
été élu par une écrasant majorité des voix (56 pour cent). Contrairement à
notre président à nous.

Le 12 avril 2002, Chavez démissiona de la présidence. C’était marqué là,
dans le journal. Dans chaque journal des Etats-Unis, tous. Apparemment, pour
citer le New York Times, Chavez avait admis son impopularité, et avait
décidé de partir : « avec la démission hier du Président Hugo Chavez, la
démocratie venezuelienne n’est plus menacée par un dictateur en puissance ».

Le problème est que l’histoire de la « démission » fut inventée, une pure
fantaisie. En fait, le Président du Venezuela avait été enlevé par la force
des armes et emmené en hélicoptère. Il n’avait pas démissioné. Il n’a jamais
démissioné. Et un de ses geoliers (qui était secrétement un partisan de
Chavez) lui tendit un téléphone portable. Chavez appela ses amis et sa
famille pour confirmer qu’il était toujours en vie – et toujours le
président.

Travaillant pour le Guardian et la BBC, j’ai pu, quelques heures seulement
après l’enlèvement, entrer en contact avec de hauts responsables du
gouvernement du Venezuela et leur annoncer que cette « démission » était une
pure invention.

Mais il s’agissait d’une invention importante pour le Département d’Etat des
Etats-Unis. La fausse démission apporta une pseudo-légitimité aux nouveaux
dirigeants du Venezuela soutenus par le gouvernement des Etats-Unis – Chavez
avait démissioné; le changement de gouvernement était légal, pas un coup
d’état. (L’Organisation des Etats Américains ne reconnait pas les
gouvernements qui prennent le pouvoir par la force.) Si les meneurs du coup
d’état ne s’étaient pas emmelés les pinceaux – le coup d’état échoua au bout
de 48 heures – où s’ils avaient assassiné Chavez, nous n’aurions jamais
connu la vérité.

Les journaux étatsuniens se sont largement plantés – mais comment ? Qui
était à l’origine du mensonge sur la « démission » ? J’ai demandé à un
journaliste étatsunien pourquoi les médias US avaient diffusé cette
absurdité comme un fait avéré sans vérifier l’information. Il me répondit
que l’information émanait d’une source sure : « C’est le Département d’Etat
qui nous a donné cette information ».

Mince, alors.

« Il est fou, » crie un manifestant, à propos du Président Chavez, dans un
reportage. Et si vous avez vu l’interview de Chavez diffusée dans l’émission
« 60 minutes », vous n’avez vu que quelques extraits d’une longue
conversation – en fait quelques secondes biens choisies – qui, hors
contexte, donnaient l’impression que Chavez était effectivement fou.

Dans l’ex-Union Soviétique, les dissidents étaient emmenés dans des asiles
pour etre réduits au silence et discrédités. Dans notre démocratie il y a
des moyens plus subtiles – et plus efficaces – pour réduire au silence et
discréditer les dissidents. La télévision, la radio et la presse écrite
enferment les ennemis de l’état dans les asiles des médias. C’est ainsi que
la Représentante Cynthia McKinney, critique de Bush, devint une « folle » et
Chavez un « autocrate » fou.

C’est l’asile électronique. Vous n’entendez plus ce qu’ils ont à dire parce
que le message est déjà passé à travers l’image, la répétition, et vous ne
faites pas attention à leurs paroles.. dans les rares cas où leurs paroles
arrivent à franchir le Mur de Berlin de la Télevision.

Essayez : faites une recherche internet par Google ou Lexis sur les mots
Chavez et autocrate.

Qui est l’autocrate ? Aujourd’hui, il y a des centaines de personnes
détenues sans motifs dans les Etats-Unis de George Bush. Au Venezuela, il
n’y en a aucune.

Il ne s’agit plus du Venezuela, mais d’un Venezuela Virtuel, crée pour vous
par les gardiens de l’information des Etats-Unis. Et toutes les issues sont
gardées.

5 janvier 2003, New York City. J’ai acheté le Sunday Times sur Delancey
Street. Semblerait que ce fils de pute de Chavez fait encore des siennes :
une grande photo d’une demi-douzaine de personnes couchées au sol. Le Times
raconte : « Les manifestants se protégent des gaz lacrymogènes au cours d’un
rassemblement anti-Chavez, vendredi à Caracas, Venezuela. Au cours de la
33eme journée de grève nationale, plusieurs manifestants furent tués par
balles. »

C’est tout. Toute l’histoire sur le Venezuela dans le Journal de Référence.

Il se pourrait bien que la taille n’ait pas d’importance. Mais ceci en a une
: meme ce tout petit bout d’article constitue une manipulation ouverte. Oui,
deux personnes furent tuées par balles – deux manifestants pro-Chavez.

Il serait faux de dire que tous les journaux étatsuniens ont imité
l’attitude lamentable du Times. Ailleurs, on pouvait voir une photo de la
grande manifestation pro-Chavez et la photo de la veuve « Chavista » avec un
depeche explicatif. Il est intéressant de noter que la version la plus
complète et sérieuse fut publiée par un journal peu amical à l’égard de
Chavez : El Diario, le plus vieux journal hispanophone de New York.

Ce qu’il fait en retenir : si vous voulez des informations fiables aux
Etats-Unis, il faut apprendre à parler une autre langue que l’anglais.

Vendredi, 3 janvier, 2003. Le New York Times publia une longue « analyse du
Venezuela ». Pour équilibrer l’information, quatre experts furent cités :
deux qui n’aimaient pas Chavez et deux qui le détestaient.

Le journaliste du Times écrivit que « le président dit qu’il s’accrochera au
pouvoir ». « S’accrochera au pouvoir » ? Drole de phrase pour un élu. J’ai
moi-meme parlé avec Chavez et ce n’est pas son style. Il a déjà déclaré
qu’il « effectuerait son mandat » – pas tout à fait la meme chose que
« s’accrocher au pouvoir ». Mais, pour etre franc, la citation du Times
n’avaient pas de guillemets.

Tout simplement parce que Chavez n’a jamais prononcé ces mots.

(FIN)

Source

: CUBA SOLIDARITY PROJECT

http://perso.club-internet.fr/vdedaj/cuba/

« Lorsque les Etats-Unis sont venus chercher Cuba, nous n’avons rien dit, nous n’étions pas Cubains. »