Révolte des quartiers : la répression continue
Publié jeudi 8 décembre 2005
http://rebellyon.info/article1198.html

Ceux qui avaient eu la chance d’être remis en liberté le 11 novembre par
le juge des libertés et de la détention (quel nom charmant …) et qui
comparaissaient libres aujourd’hui ne le resteront pas : deux et trois
mois de prison ferme ont été prononcés par le marchand de justice, pour
respectivement une bouteille de white spirit et un feu de poubelle.
Mais reprenons dans l’ordre chronologique cet après-midi du 7 décembre
2005 au tribunal, pour bien rendre l’ambiance particulière qui règne dans
ce genre de lieu.

Un femme, « multirécidiviste » puisque condamnée deux fois pour vol (à 5
et 3 mois ferme), comparaissait pour avoir volé 8 bouteilles de gaz pour
chauffer la caravane où elle passe l’hiver avec ses 4 enfants et son mari.
Le proc’ a requis 8 mois de prison ferme et, fin connaisseur des réalités
sociales, n’a pas manqué de lui signifier que la meilleure façon de se
procurer de l’argent est de travailler. « Mieux vaut crever la gueule
ouverte que d’exercer le métier de procureur » a dû penser une bonne
partie de l’assistance, majoritairement présente pour soutenir les
prévenu-es, à part deux contrôleurs TCL venus réclamer leurs
dédommagements à un jeune fraudeur, qu’ils ont un peu « secoué » avant que
l’un d’eux se prenne un direct dans les dents…
La femme, qui doit s’occuper d’un de ses enfants gravement malade, part
pour six mois en prison, sans même que son frère, ou son mari, ne puisse
lui donner les quelques billets qui lui auraient permis de cantiner : elle
attendra le mandat-cash a décidé le juge.

Plus tard, c’était au tour d’une jeune fille d’une vingtaine d’années de
devoir justifier son comportement devant le représentant de la Société et
les garants de l’Ordre. Rarement de mémoire de spectateur de mascarade
judiciaire en free-lance nous n’avions vu et entendu d’explications et de
justifications plus claires et plus évidentes, ce qui a d’ailleurs fait
tomber d’accord tout le petit cercle des « gens de robe » pour considérer
qu’on avait là à faire avec un cas relevant de la psychiatrie, tant ils
ont l’habitude des réponses types « je ne sais pas » ou « je regrette ».
En effet la jeune fille, accusée d’avoir mordu, insulté et frappé des
policiers, et à qui le jugeur demandait « pourquoi vous vous comportez
comme ça ? », lui a répondu, de la façon la plus naturelle qui soit : «
c’est que j’aime pas la police ». Et quand le même enjuponné, visiblement
marqué par son agressivité toute particulière envers les flics mâles, lui
demanda pourquoi elle n’aimait pas les hommes, elle lachâ un définitif «
c’est tous des enculés » ; on lui pardonne cette insulte homophobe.
Les parties civiles, comme à leur habitude, fixent le prix de leur dignité
bafouée (« enculé », vous vous rendez compte !) aux alentours de 500 €.
Le proc’, prenant très au sérieux son rôle de défenseur de la Société,
société grandement menacée par une chômeuse SDF qui a arrêté les
neuroleptiques, évoque tour à tour dans son réquisitoire « obligation de
soin », « obligation de domicile » et « obligation de travail ».
Mais quand il réclame la prison, c’en est trop pour celle qui, non
seulement anti-flics et féministe radicale, respecte aussi le slogan «
vive libre ou mourir », puisqu’elle a fait une tentative de suicide
quelques jours avant pour échapper à une probable « peine privative de
liberté ». Alors elle se lève et balance à la face de tout ceux qui
veulent lui imposer de vivre comme la Société est sensée l’avoir décidé :
« vous êtes tous des enculés, le juge, tous ! je la ferai pas votre prison
de merde ! ». Puis elle sort, démolissant au passage le mobilier qui se
trouve dans le couloir du tribunal. Comme elle comparaissait libre, qu’il
n’y avait à ce moment là pas de flics et que les juges était au fond
soulagés de la voir partir, car il ne savaient pas quoi faire de cette
fille qui ne respecte pas leur autorité, même pas en apparence comme les
autres, elle a pu sortir du tribunal, à la grande satisfaction de
l’assistance qui lui souhaite bon courage pour la suite.
La morale de cette histoire, c’est que la franchise paie : elle n’a été
condamnée qu’à trois mois avec sursis, par pitié et par incompréhension
totale du tribunal. Salut à elle.

Seulement certains n’inspirent pas les mêmes sentiments, comme ce
sans-papier, interpellé illégalement dans un squat (comme le rappelle son
avocate, squatter ne constitue pas une infraction répréhensible au pénal,
donc rien ne justifiait le contrôle d’identité) qui heureusement ne s’est
pas présenté à l’audience. Quand il s’agit de faire du chiffre et
d’expulser pour faire plaisir au gouvernement, on ne s’arrête pas sur ce
que dit la loi, et interpellation légale ou pas, la condamnation tombe : 6
mois et interdiction du territoire de trois ans. Au passage, on notera le
réquisitoire « à la louche » : « je demande à ce qu’il soit condamné à …
pfff [hésitation] … 9 mois ».

Venons-en à nos émeutiers, ou pseudo émeutiers puisque chacun nie les faits.
Le premier est un jeune de 18 ans, au casier vierge, arrêté à Vénissieux à
19h40 (« en pleine nuit… enfin tard en tous les cas » d’après le juge),
le 10 novembre avec une bouteille de white spirit. Il dit l’avoir trouvée
dans la rue, mais cela n’a aucune importance, puisque le simple fait
d’être en possession d’un produit inflammable dans certaines circonstances
peut lui valoir 5 ans de prison.
Il est interpellé à quelques mètre de chez lui, entre le commissariat et
la mairie, mais des voitures ont brûlé ce soir-là, et il faut un coupable.
De plus un RG a prévenu les flics en patrouille qu’une personne aurait vu
quelqu’un répondant à son signalement : « veste blanche » ou quelque chose
comme ça, enfin un truc qui permet d’identifier sans hésitation un jeune
« en pleine nuit ». À ce propos on peut donc reprendre l’expression d’un
camarade : les flics sont parfaitement nyctalopes.
Le procureur requiert 6 mois dont 3 ferme, le tribunal en donne 2 ferme,
et peut-être du sursis, tout se passe très vite pendant les rendus des
délibérés.

Le second a été arrêté en même temps que Gregory F., dont le procès a été
relaté sur Rebellyon (http://rebellyon.info/article1067.html). Le juge,
qui en connaît un rayon en matière de justice, n’a pas voulu faire de
jaloux, et l’a condamné à la même peine : 3 mois ferme. Pour un p***** de
feu de poubelle !
On aura quand même appris avec ce second procès sur la même affaire :
que ce n’est pas la gérante de la station service qui a parlé de
jerricane d’essence mais les flics dans leurs PV,
qu’un type dont les parents doivent être européens depuis Clovis peut «
correspondre parfaitement » au signalement « nord africain » (NA comme
le dise si administrativement les flics),
que le témoin à charge (« un bonne citoyenne », selon le juge, délatrice
bien comme il faut) s’était fait brûler sa voiture la veille et
n’entretenait pas de très bonnes relations avec les prévenus,
et que les procureurs ne reculent devant aucune crapulerie pour rajouter
un mois de prison à quelqu’un (enfin ça on s’en doutait). Celui qui
officiait ce jour a en effet allégué que la position de A. était pire
que celle de Gregory, sans dire en quoi et alors qu’ils ont dit tous les
deux la même chose grosso modo, ce que je sais parce que j’étais présent
aux deux procès, contrairement à lui.
Ses amis et parents présents ont également manifesté bruyamment leur
mécontentement, jusqu’à se faire sortir du tribunal par un flic, et les
institutions policières et judiciaires en ont pris pour leurs grades.

Pour conclure, j’encourage tout-es celleux qui veulent prendre conscience
de ce que sont ces institutions de se rendre un après-midi au Tribunal de
Grande Instance, rue Servient, salle G, au fond à droite. C’est l’occasion
de voir des familles de prolos et de gens du voyage partager leur haine
des autorités, de disserter avec un ancien militant communiste du manque
de politisation supposé des jeunes des quartiers populaires, de comprendre
la révolte de ces derniers, et aussi de diffuser l’info qu’un collectif de
soutien contre la répression dont ils sont l’objet s’est créé :
collectifetatdurgence(arbase)no-log.org, 04 78 27 34 06 (numéro de
l’association Témoins).