Il est environ 16H, le cortège n’a fait que quelques centaines de mètres, il a été éloigné du centre-ville par le parcours imposé. Arrivé sur l’île de Nantes, la police a déjà gazé sur le Quai de la Fosse puis sur le pont Anne de Bretagne. Les esprits sont échauffés. Après ce parcours trop court, des milliers de personnes veulent continuer à défiler. Le pont est bloqué, et le seul chemin possible passe devant le Tribunal, en bord de Loire. Mais là encore, une ligne de policiers armés barre la route, met en joue la foule, menace. Une nasse en bord de Loire, un parcours inadapté, des provocations : tous les ingrédients pour attiser la tension. Sans sommation, de copieuses salves de gaz mettent tout le monde en panique sur ce quai qui surplombe la Loire, sans solution. Les gens sont perdus, tâtonnent plusieurs mètres au dessus du fleuve. Mauvais souvenir. C’est dans ce contexte de nasse et de mise en danger qu’au milieu des gaz, une flamme monte pendant quelques secondes aux pieds de la ligne qui venait de tirer les grenades.

Des « blessés graves » ? La presse évoque, en ce qui concerne l’agent « le plus gravement touché » des brûlures « au premier et au deuxième degré ». Pour celles et ceux qui n’ont pas de notions médicales, une brûlure au premier degré équivaut à un petit coup de soleil, et au deuxième degré à un gros coup de soleil. Le deuxième agent touché n’a pas arrêté son service, puisqu’il a été photographié en train de faire du maintien de l’ordre à la croisée des trams, plusieurs heures plus tard. Ces blessures sont malheureuses, mais les mots ont un sens : si les syndicats policiers qualifient cela de tentative de meurtre, comment nomment-ils le fait d’envoyer des explosifs et des balles en caoutchouc dans une foule non protégée ?

La compagnie qui a barré la route devant le Tribunal est la CDI – la Compagnie Départementale d’Intervention. Une compagnie connue pour sa violence, reconnaissable aux bandes bleues claires sur les casques. Créées par Sarkozy, elles sont l’équivalent de la BAC mais avec des uniformes et de lourdes protections. A Nantes, ce sont les CDI qui sont responsables de la plupart des blessures graves. C’est la CDI qui a mutilé un lycéen de 16 ans en 2007 en inaugurant le LBD. C’est la CDI qui a chargé le soir de la noyade de Steve. C’est la CDI qu’on envoie pour terroriser les manifestations. Ce sont les compagnies d’intervention de Rennes qui ont mutilé en 2016, et les mêmes compagnies qui sont mises en cause dans le 93 dans une vaste affaire de violences et d’escroqueries. Il s’agit de troupes de choc, aguerries, lourdement armées et très protégées. Loin du scénario diffusé par la presse.

On a plus parlé des policiers « choqués » à Nantes ou Paris que des manifestants gravement blessés le même jour. Un traitement médiatique à géométrie variable. Ces quatre dernières années, ce sont plusieurs centaines de blessés par la police qui sont recensés à Nantes. Ce sont au moins 4 personnes mutilées à vie. Ce sont plusieurs jeunes hommes morts lors d’interventions policières. Et une impunité totale, systématique. Présenter la colère qui enfle dans les rues de Nantes sans évoquer ce contexte est profondément malhonnête. Personne ne manifeste pour affronter la police. Les conflits n’ont pas lieu « ex-nihilo ». Ici, la revendication est claire : retrait de la « loi de sécurité globale ». Et elle n’est pas écoutée, elle est même étouffée. Un cri de justice, lorsqu’il est réprimé encore, et encore, et encore, explose parfois. Faut-il rappeler que c’est le gouvernement et les forces armées qui fixent le niveau de violence, jamais la population ?

Photo : Emeric Cloche