« Aujourd’hui, il y a une rebellion plus forte face aux agressions de l’Empire » a estimé Evo Morales à Capinota, dans la province de Cochabamba, en marge des festivités pour le dixième anniversaire du Mouvement au Socialisme (MAS). L’ambassadeur de la République Bolivarienne du Vénézuéla, Azael Valero, le conseiller de la représentation cubaine, Andrés Pinedo, et le délégué du Parti des Travailleurs brésilien, Francisco Campos, étaient présents pour manifester leur soutien au leader cocalero.
Le 27 mars 1995, un groupe d’organisations paysannes approuvait la Thèse de l’Instrument Politique (qui ensuite prendra le sigle du MAS), avec l’objectif d’obtenir la projection politico-électorale des organisations syndicales paysannes. « Après des décennies de soutien aux partis traditionnels, les paysans avons décidé d’arrêter d’être des marche-pieds et de voter pour nous-mêmes », signalait le document fondateur. Et depuis cette date, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Aidé par la perte de prestige du système politique qui a introduit le modèle néoloibéral au milieu des années 80, ce mouvement paysan s’est étendu aux quartiers pauvres des villes et s’est consolidé comme une force politique de dimension nationale. Pour en arriver, en juin 2002, à disputer la présidence de la république avec Gonzalo Sanchez de Lozada. A cette occasion, le MAS avait recu un involontaire soutien de l’ambassadeur étasunien d’alors, Manuel Rocha, qui avait menacé les boliviens, si le leader cocalero, passé de dirigeant syndical à chef de l’opposition, avec un discours anti-impérialiste, était élu. Plusieurs fonctionnaires étasuniens -y compris la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice- avaient manifesté leur inquiétude pour la consolidation de cette force de gauche dans le pays andin.
Cependant, l’ascension de ce parti -qui combine des éléments de nationaliste révolutionnaire des années 50, de l’idéologie katariste (indigéniste) des 70, de la gauche marxiste et de la Théologie de la Libération- n’a pas été exempte d’obstacles. Après avoir modéré son discours -et soutenu critiquement Carlos Mesa- pour conquérir les clases moyennes urbaines et améliorer ses chances électorales, le MAS a opéré un retour à ses origines : les mobilisations sociales. Ce qui, selon quelques analystes, compromet une victoire possible de Evo Morales aux présidentielles de 2007, en raison du refus des barrages de routes de la part de ces secteurs « privilégiés » -qui s’ajoute aux traditionelles discriminations raciales qui modèlent les relations sociales dans ce pays-. Entretemps, le MAS a perdu le vieux leader mineur et actuel sénateur, Filemon Escobar, artifice de l’alliance avec Mesa et maintenant qui fait parti du groupe officialiste au Sénat. Et les sept autres sénateurs, bien que continuant dans la MAS, répondent faiblement aux décisions partidaires.
Nombreux sont ceux qui font remarquer la faible institutionnalisation interne de cette « fédération de mouvements sociaux » et les pratiques « caudillistas » dans son intérieur, ce qui conspirerait contre ses possibilités de conduire efficacement l’appareil d’Etat. « Nos principes idéologiques sont fermes mais il nous manque un programme » a admit Evo Morales durant les festivités de dimanche.
Dans les derniers mois, ce mouvement s’est transformé en défenseur des 50% des revenus pétroliers pour l’Etat et de la convocation à une Assemblée Constituante qui « refonde le pays ». Lors des dernières élections municipales, les masistes ont conquit 463 élus municipaux et 47 mairies, fondamentalement en milieu rural, depuis lequel -inspirés par l’expérience du PT du Brésil- ils rêvent de parvenir au Palacio Quemado (palais présidentiel).

Pablo Stefanoni
Pagina12, 29 mars 2005
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)