JUSTICE SOMMAIRE

La procédure d’examen des litiges relatifs à la reconduite à la frontière est
régie par l’article L 776-1 et suivants du Code de Justice Administrative qui,
dans leur état actuel d’après Légifrance,
prescrivent notamment:

{{Article L776-1

(Loi nº 2003-1119 du 26 novembre 2003 art. 34 Journal Officiel du 27 novembre
2003)

Les modalités selon lesquelles le tribunal administratif examine les recours
en annulation formés contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la
frontière obéissent, sous réserve des dispositions de l’article 40 de
l’ordonnance nº 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et
de séjour des étrangers en France, aux règles définies par l’article 22 bis de
cette ordonnance, ci-après reproduit :

 » Art. 22 bis. – I. – L’étranger qui fait l’objet d’un arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière peut, dans les quarante-huit heures suivant sa
notification lorsque l’arrêté est notifié par voie administrative ou dans les
sept jours lorsqu’il est notifié par voie postale, demander l’annulation de cet
arrêté au président du tribunal administratif.

Le président ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à
compter de sa saisine. Il peut se transporter au siège de la juridiction la
plus proche du lieu où se trouve l’étranger, si celui-ci est retenu en
application de l’article 35 bis de la présente ordonnance.

L’étranger peut demander au président du tribunal ou à son délégué le
concours d’un interprète et la communication du dossier contenant les pièces
sur la base desquelles la décision attaquée a été prise.

L’audience est publique. Elle se déroule sans conclusions du commissaire du
gouvernement, en présence de l’intéressé, sauf si celui-ci, dûment convoqué, ne
se présente pas. L’étranger est assisté de son conseil s’il en a un. Il peut
demander au président ou à son délégué qu’il lui en soit désigné un d’office.

II. – Les dispositions de l’article 35 bis de la présente ordonnance peuvent
être appliquées dès l’intervention de l’arrêté de reconduite à la frontière.

Cet arrêté ne peut être exécuté avant l’expiration d’un délai de quarante-huit
heures suivant sa notification lorsque l’arrêté est notifié par voie
administrative ou de sept jours lorsqu’il est notifié par voie postale ou, si
le président du tribunal administratif ou son délégué est saisi, avant qu’il
n’ait statué.

III. – Si l’arrêté de reconduite à la frontière est annulé, il est
immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues à l’article 35 bis et
l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que le
préfet ait à nouveau statué sur son cas.

IV. – Le jugement du président du tribunal administratif ou de son délégué
est susceptible d’appel dans un délai d’un mois devant le président de la
section du contentieux du Conseil d’Etat ou un conseiller d’Etat délégué par
lui. Cet appel n’est pas suspensif.

A compter d’une date fixée par décret en Conseil d’Etat, cet appel sera
interjeté, dans les mêmes conditions, devant le président de la cour
administrative d’appel territorialement compétente ou un membre de cette cour
désigné par lui. Le même décret fixe les conditions d’application de cette
disposition ».}}

C’est très clair: 72 heures, un seul juge, pas de commissaire du gouvernement…
C’est ce que l’on
appelle une justice sommaire et simplifiée. Et ça ne date pas d’aujourd’hui, car
l’article L 776-1 se réfère à une ordonnance datant de 1945, juste après la
Libération. La France a « vécu » pendant soixante ans avec ce genre de procédures
d’expulsion.

Dans une telle procédure, l’instruction n’est close
qu’à la fin de l’audience où on peut encore produire toutes sortes de moyens et
de pièces. On voit mal comment faire autrement, s’il faut régler l’affaire en
seulement trois jours. Pourtant, d’après les médias, {{des magistrats rédigent
avant
l’audience des projets de jugement alors qu’ils n’ont pas encore entendu les
parties ou leurs avocats}}. Si le caractère sommaire de la procédure paraît en
soi très contestable (mais ce’est l’affaire du législateur), le fait que des
jugements soient rédigés pendant les trois jours précédant l’audience, avant
même d’entendre les parties, n’est pas prévu dans les textes et {{a de quoi
préoccuper tous les justiciables}}.

Tous

, y compris ceux qui ne relèvent
pas de la reconduite à la frontière ni d’une autre procédure d’urgence, ont de
quoi s’inquiéter de cet incident par la manière de procéder qu’il met évidence
et ceci alors même que le traitement de ces affaires est placé directement sous
la responsabilité du Président du Tribunal Administratif.

D’autres l’ont déjà dit, et ce n’est plus une véritable nouvelle, mais il est
urgent d’en prendre véritablement conscience: {{« notre » Justice, signée au nom
du peuple français, devient de plus en plus
sommaire et simplifiée.}}

Il est également exact que cette évolution reflète les « résultats » d’une ligne
de conduite
institutionnelle: {{devant la montée des contentieux à cause d’une politique
menée depuis deux décennies à « droite » comme à « gauche », les « élites » ont
choisi de ne plus augmenter le nombre des magistrats et, par conséquent, de
rendre les procédures de plus en plus sommaires}}. La logique est simple:
lorsqu’on prépare des choses qui ne plairont pas et qui ne feront qu’empirer,
« il faut bien » passer en force. « On ne va tout de même pas » augmenter le nombre
des juges en fonction de celui des mécontents.

Encore un bienfait de la « construction européenne ».

Comme d’autres articles l’ont déjà signalé, {{la Cour Européenne des
Droits de l’Homme, devenue instance
supérieure par rapport aux juridictions françaises}} mais qui compte en tout 45
juges pour 800 millions d’habitants des
pays membres du Conseil de l’Europe (Russie comprise), {{a été la première à
généraliser les procédures sommaires, et c’est elle qui va le plus loin en la
matière}}. Sur
quelques dizaines de milliers de justiciables qui saisissent la Cour tous les
ans, seules moins de mille affaires par an font l’objet d’une audience publique.
La
grande majorité sont rejetées par une lettre type qui ne contient aucun
descriptif de l’affaire ni motivation circonstanciée. C’est en soi toute une
philosophie, avec tout le respect dû à la Cour et à ses magistrats.

Voir par exemple:

Après la Cour Européenne des Droits de l’Homme, c’est la Cour de Cassation
française qui a entrepris d’introduire les mêmes méthodes suite à des
dispositions dans ce sens prises par le gouvernement Jospin de triste mémoire.

Voir notamment:

et, sur la disparition

de facto

du droit écrit au bénéfice de fonctionnements
de plus en plus « informels »:

ou sur l’éloignement croissant entre le sommet de l’Etat et les citoyens:

[http://paris.indymedia.org/article.php3?id_article=31387]

Dans un tel contexte, il semble bien que l’esprit du jugement sommaire tende
de plus en plus à se généraliser, au delà même de ce que prévoient les lois
écrites. Les « élites » nous disent que c’est normal. Et ça l’est, effectivement,
vu
sous l’angle des intérêts qu’elles défendent et qui ne sont pas ceux du « bas
peuple ». Mais nous, nous sommes le « bas peuple » (on se demande ce qu’est la
« haut peuple »…) et il nous appartient de ne pas
nous laisser faire.

COMMENT REAGIR?

Un point faible des citoyens par rapport à cette évolution de la justice réside
dans le fait que presque
personne n’est prêt(e) à dépenser un peu de son temps pour assister à des
audiences qui ne le(a) concernent pas directement. Le contraire est
exceptionnel. C’est précisément l’une des spécificités de cette affaire des
« sans papiers », qu’il y avait des militants dans la salle et que pour cette
raison les médias ont suivi, alors qu’en général les justiciables se retrouvent
seuls et les médias ne suivent pas.

Une autre circonstance exceptionnelle a été la présence dans plusieurs dossiers
de projets de jugement qui auraient très bien pu ne pas être communiqués aux
avocats. Lors des rejets par ordonnance, ou des procédures éliminatoires, les
justiciables n’ont pas cette chance.

Enfin, la présence d’esprit des avocats dans cette affaire a été exceptionnelle.
Leur réaction n’est malheureusement pas la règle.

{{A cette situation très grave, nous n’avons pas de solution toute prête. Les
dérives de la justice sont l’affaire de tous les citoyens. Mais il est rare
qu’on s’en soucie si on ne s’y trouve pas confronté(e), et là il est souvent
trop tard. D’autant plus qu’aucune assurance juridique ne peut régler de tels
problèmes. C’est sans doute par le renversement de cette attitude
d’indifférence citoyenne qu’il faudrait commencer.}}

Justiciable

justiciable_fr@yahoo.fr