Certaines d’entre nous ont une vision très personnelle du monde. Nous disons que ce qui nous arrive dans nos vies de femmes nous arrive à nous, en tant qu’individues. Nous disons même que chaque violence que nous avons vécue dans nos vies de femmes – par exemple, un viol ou une agression commise par un mari, un amant ou un inconnu – s’est déroulée entre deux individu.es. Certaines d’entre nous s’excusent même à la place de l’agresseur – nous sommes désolées pour lui ; nous disons que c’est un individu dérangé, ou qu’il a été provoqué d’une certaine manière, à un moment précis, par une femme bien précise.

      Les hommes nous disent que eux aussi sont «opprimés». Ils nous disent qu’ils sont souvent victimisés dans leurs propres vies par des femmes – des mères, des épouses et des «petites amies». Ils nous disent que ce sont nous les femmes – avec notre appétit sexuel, notre malfaisance, notre cupidité, notre vanité ou notre stupidité – qui provoquons les actes de violence. Ils nous disent que leur violence trouve son origine en nous et que nous en sommes responsables. Ils nous disent que leurs vies sont remplies de souffrance et que nous en sommes la source. Ils nous disent que, en tant que mères, nous les meurtrissons de manière irrémédiable ; en tant qu’épouse, nous les castrons ; en tant qu’amantes, nous leur volons leur sperme, leur jeunesse et leur masculinité – et jamais, jamais, ni en tant que mère, qu’épouse ou qu’amante, ne leur donnons assez.

      Et que devons-nous en penser ? Car si nous commençons à assembler les pièces du puzzle – tous les actes de violence, les viols, les agressions, les mutilations, les meurtres, les massacres ; si nous lisons leurs romans, leurs poèmes, leurs tracts politiques et philosophiques et constatons que leur idée de nous aujourd’hui est exactement identique à l’idée que les inquisiteurs avaient de nous hier ; si nous prenons conscience que le gynocide n’est pas une simple erreur historique, un excès accidentel, un terrible coup du sort, mais qu’il s’agit bel et bien de la conséquence logique de ce qu’ils pensent être notre nature telle que dieu ou la biologie l’ont faite ; alors nous devons en arriver à la conclusion que, dans le système patriarcal, le gynocide est la réalité permanente de la vie des femmes. Puis nous devons nous tourner les unes vers les autres – pour trouver le courage d’affronter cette réalité et de la changer.

      La lutte des femmes, la lutte féministe, n’a pas pour objet l’augmentation du salaire horaire, ni l’égalité des droits dans le système légal patriarcal, ni plus de femmes députées qui devront se soumettre à la loi patriarcale. Toutes ces réformes ne sont que des mesures de crise, ayant pour objectif de sauver des femmes, autant que possible, aujourd’hui, maintenant. Mais ces réformes ne permettront pas de contenir le raz-de-marée gynocidaire ; ces réformes ne mettront pas fin à la violence incessante commise par la classe des hommes contre la classe des femmes. Ces réformes ne mettront pas un terme à l’épidémie de viol qui va toujours en s’accroissant dans ce pays, ni au nombre astronomique d’hommes qui tabassent leur épouse en angleterre. Elles ne mettront pas un terme aux stérilisations forcées de femmes noires, ni à celles de femmes blanches pauvres, qui sont les victimes des docteurs qui haïssent la sensualité des femmes. Ces réformes ne videront pas les institutions psychiatriques, remplies de femmes enfermées là par des hommes de leur famille qui les détestent de s’être rebellées contre les limitations imposées aux femmes ou contre les conditions de leur servitude. Elles ne videront pas les prisons, remplies de femmes qui, pour survivre, se sont prostituées ; ou qui, après avoir subi un viol, ont tué le violeur ; ou qui, alors qu’elles se faisaient tabasser, ont tué l’homme qui était en train de les tuer. Ces réformes n’empêcheront pas les hommes de prospérer en exploitant le travail domestique fournit par les femmes, et elles n’empêcheront pas non plus les hommes de consolider l’identité masculine en atteignant mentalement les femmes liées à eux dans des relations soit-disant « amoureuses ».

      Et aucun arrangement personnel au sein du système patriarcal ne mettra fin à ce gynocide incessant. Dans ce système, aucune femme n’est libre de vivre sa vie, ni d’aimer, ni de materner. Dans ce système, chaque femme a été, est et sera une victime. Dans ce système, le fils de chaque mère est peut-être l’homme qui la trahira ainsi que l’inévitable violeur et exploiteur d’une autre femme.