Devant la préfecture, c’est l’affrontement rituel, presque théâtralisé. Projectiles en tout genre contre lacrymogènes. Floraison de tags. Quelques téméraires tentent d’enfoncer la porte qui mène aux jardins du préfet avec un panneau de signalisation, sans succès. La manifestation finit par s’engouffrer sur le cours Saint-Pierre, où des gendarmes tirent des salves de gaz et reçoivent des projectiles insolites, notamment une couronne de fleurs. Des munitions d’un genre nouveau sont envoyées, puisqu’un épais nuage extrêmement irritant remplit tout le cours, très vaste, sans se dissiper. C’est sans doute le gaz lacrymogène le plus puissant tiré à Nantes. Pour trouver un échappatoire, le cortège s’échappe du parcours infernal balisé par les autorités. Passage devant le musée des Beaux Arts, reflux et construction d’une première barricade. Nous sommes 2000.

Place du Bouffay, la BAC débarque et tire, gratuitement en direction de la foule. Persuadés de terroriser les manifestants, les agents commencent à avancer pour percer le défilé. Mais pour une fois, personne ne recule. De façon tout à fait improvisée, des dizaines de personnes courent en hurlant vers la bande de dangereux cagoulés. D’un coup, la peur semble changer de camp. La BAC recule piteusement après avoir tiré des grenades explosives et des balles en caoutchouc. Elle se tiendra à distance pour le reste de la journée.

Le parcours devient inhabituel. La peur qui tétanisait habituellement les manifestations de Gilets Jaunes se dissipe progressivement. Un peu d’audace : le cortège emprunte les petites rues qui mènent au cœur privilégié de la ville. La Place Graslin et ses enseignes de luxe sont envahies. Gazage, puis slogans particulièrement repris. « Révolution ! Révolution ! » Bonne ambiance. Des syndicalistes sont dans le cortège, en soutien, et parlent de la grève décisive du 5 décembre. Des caméras sont sabotées, la rue de la banque de France est atteinte, mais pas l’hôtel de luxe qui est protégé avec zèle par les forces de l’ordre. La manifestation retourne vers Bouffay. Les forces de l’ordre semblent totalement dépassées. Plusieurs fois, des enfants et des passants se retrouvent coincés dans d’épais nuages de gaz, notamment un manège de la rue du Calvaire et des voitures avec des familles.

Les petits gestes de résistance sont alors multiples. Des dames en gilets jaunes bloquent des camions de CRS, les empêchant de manœuvrer. L’une d’elle monte sur le véhicule. Un CRS sort une gazeuse, mais une autre femme donne coup sec dans sa main, et désarme l’agresseur.
La Rue de Strasbourg, systématiquement militarisée d’habitude, est reprise. Une barricade ornée d’un Bicloo est allumée. Retour dans les ruelles, et face à face avec un groupe de gendarmes débarqués en renfort. Il y a plusieurs cortèges dans la ville. Du gaz sur le Cours des 50 Otages et des affrontements sporadiques.

Alors que la nuit tombe, quelques Gilets Jaunes ont pénétré dans la gare et chantent en déployant une banderole. Pendant ce temps, certains font de la résistance. Une barricade brûle sur la ligne de tram près de la Médiathèque.
Cette manifestation aura fait tomber bien des peurs qui paralysaient les mobilisations nantaises depuis de longs mois. La répression a été déjouée calmement, dans une ambiance assez joyeuse. L’habituel parcours cadenassé le long de deux grands axes a été débordé.

L’état d’esprit combatif de cette manifestation d’anniversaire promet-il des révoltes victorieuses ? Les mobilisations lycéennes, étudiantes, hospitalières, et la perspective d’une grève générale reconductible à partir du 5 décembre le laissent penser.