Plus que des symboles. Vendredi 8 novembre à Santiago lors de la manifestation de 75 à 100 000 personnes, le bâtiment historique de l’Université privée Pedro de Valdivia nommé Casa Schneider et datant de 1924 a été saccagé puis incendié (cinq arrestations, dont un en préventive et 970 000 euros de dégâts) ; l’église de La Asuncion (datant elle de 1876) a pour sa part été saccagée, avec son mobilier (des bancs aux confessionaux) et ses fétiches statufiés qui ont alimenté les barricades enflammées ; l’ambassade d’Argentine a également été attaquée à Santiago non loin de là après que des manifestants aient réussi à franchir ses grilles, pénétrer dans son jardin et jeter des pierres dans ses vitres avant de repartir sans encombre. Ce même vendredi à travers tout le territoire jusqu’au soir, ce sont également les cabines du péage El Paico qui sont parties en fumée à Talagante ; le hall du ministère du logement et de l’urbanisme (Serviu) qui a subi le même sort à Orsono (mobilier, ordinateurs et archives détruits) ; le siège de la compagnie d’électricité CGE, un tribunal, une trésorerie et l’Université de Technologie (Inacap) qui ont été saccagés et/ou incendiés à Copiapó ; les locaux de la compagnie aérienne Latam, de la compagnie d’électricité Saesa, d’une agence bancaire Itaú qui ont été saccagés à Puerto Montt, sans parler de la Cour d’appel qui a perdu toutes ses vitres ou de l’institut linguistique Tromwell qui a été pillé. Il y a également eu sept attaques de commisariats et casernes, dont le bâtiment de la Dipolcar (les services de renseignement des carabiniers) du 54° commissariat à Huechuraba, le 10° comico à La Cisterna et le comico de Quillota (en plus de la trésorerie et de la préfecture régionale saccagée). Sur la quinzaine de pillages conséquents, on notera également les attaques destructrices contre la préfecture régionale à Coyahique, contre un tribunal et une Maison du Droit à Viña del Mar, contre un collège à Arica (une quinzaine de mineurs arrêtés), et contre les mairies de Puerto Varas et de Loncoche.

Zone mapuche. Lundi 4 novembre à Valvidia, près de 200 personnes ont déboulonné le buste du conquistador espagnol Pedro de Valdivia, puis l’ont pendu à un pont, tandis que le 2 novembre à Cañete ce sont ceux de Pedro de Valdivia et García Hurtado de Mendoza qui ont fini face contre terre lors d’une manifestation de 500 personnes ; et le 1er novembre à Arica, des inconnus ont réussi à fracasser en plusieurs morceaux la statue historique de Christophe Colomb, érigée en 1910 dans cette ville. Le 1er novembre à Labranza (Temuco), trois camions et une pelleteuse d’une entreprise de BTP sont partis en fumée, tandis que le 4 novembre à Contulmo ce sont trois camions d’entreprises d’exploitation forestière qui ont brûlé en pleine route, après que leurs chauffeurs aient dû descendre sous la menace d’armes à feu. Enfin, tandis que les banderoles de manifestants portent des slogans comme “No son 30 pesos. Son 500 años” (ce ne sont pas 30 pesos -prix initial de l’augmentation du métro à Santiago- mais 500 ans), plusieurs représentants de communautés mapuches ont accepté le processus de révision de la Constitution chilienne afin qu’elle leur fasse une place plus importante.

Concepción. Dans cette ville de 220 000 habitants qui est un des foyers de la révolte, le ministère des Biens nationaux et la préfecture régionale ont estimé le 7 novembre à 2000 mètres carrés la surface de rues dépavées, et les bâtiments de l’Etat gravement endommagés à une dizaine depuis fin octobre (des vitres brisées à ceux incendiés) pour un montant minimal de 120 000 euros, tandis que 1.365 personnes ont été arrêtées et accusées de pillages ou destructions. S’il est un objectif qui a été particulièrement attaqué au cours des manifestations quotidiennes, c’est bien la Caja de Compensación de Los Andes, une tour de bureaux de 15 étages qui héberge de nombreuses entreprises et institutions. En plus de ses nombreuses vitres brisées, son deuxième et troisième étages ont déjà été incendiés, et le 2 novembre, ce sont les derniers étages qui sont partis en fumée, en même temps que les bureaux du service électoral (Servicio Electoral de Chile, Servel). Parmi les autres attaques de la semaine, il y a eu le siège local du parti UDI au pouvoir des frères et soeurs (député et sénatrice) Van Rysselberghe qui a entièrement cramé lors d’une manifestation après avoir été saccagé le 7 novembre ; le pillage le même jour du grand magasin Kamadi avenue Los Carrera, par une cinquantaine de personnes en plein jour qui ont vidé le contenu de ses caisses comme de ses rayonnages ; la veille, le 6 novembre, au milieu de gros affrontements, ce sont une nouvelle fois deux pharmacies du centre qui ont été pillées (Ahumada et Cruz Verde) ; le 5 novembre, c’est une agence de la Banco Edwards qui a été saccagée, ainsi qu’un local Western Union et un magasin Claro. Certains jours il y a eu de 11 à 17 foyers simultanés d’affrontements en ville, débordant largement les carabiniers. Enfin, signalons que la banlieue de Concepción est également concernée, comme à Coronel, où le 8 novembre c’est le centre commercial (Mall) Paseo Montt qui a été pillé dans la nuit.

Rentrée. Au retour des vacances de la Toussaint, et alors que la fin de l’année approche (les saisons sont inversées au Chili, et l’été arrive), le mouvement lycéen est en train de se mobiliser de façon spécifique pour arrêter les cours et refuser de donner l’impression d’un retour à la normale. Huit lycées de la région de Chiloé sont en grève, dont cinq occupés ; certains restés ouverts ont été attaqués à Puerto Montt ; le lycée commercial de Los Ángeles (région du Bío Bío) est occupé pour appuyer le mouvement de révolte ; lors de la tentative d’occupation du lycée n°7 Teresa Prats pour filles à Santiago mardi 5 novembre, les carabiniers sont entrés sur appel de la directrice et ont blessé deux élèves de 16 et 17 ans par balles ; et tous ont d’emblée été fermés par les autorités municipales à Antofagasta, Calama, Copiapó, los Andes, Valparaíso, Puente Alto, Renca, La Florida, Coronel et Punta Arenas.

Beaux quartiers. Mercredi 6 novembre, des messages postés sur les réseaux sociaux, appelaient cette fois à porter la révolte non plus Plaza Italia, mais directement dans les quartiers aisés de Santiago. Des centaines de personnes se sont ainsi donné rendez-vous aux abords du centre commercial Costanera Center, le plus grand de toute l’Amérique du Sud. Bloqués par les forces de l’ordre, les manifestants se sont alors éparpillés en divers endroits du quartier de Providencia vers celui de Las Condes, entrée du secteur financier et des zones les plus riches de la capitale. Une pharmacie Ahumada, un supermarché Líder Express, le siège de la caisse de retraite AFP Provida, un McDonald’s et deux agences bancaires ont notamment été pillés au milieu d’affrontements avec les flics (sans parler des vitrines brisées), tandis qu’un manifestant est parvenu à monter sur un canon à eau des carabiniers (Guanaco) puis à neutraliser son canon, ou que d’autres ont grimpé aux mâts pour détruire des caméras de vidéosurveillance. Au cours de cette importante émeute sauvage où les anarchistes n’ont pas été en reste, d’autres objectifs de choix ont été attaqués : le siège national du parti UDI situé à Providencia (avenida Suecia), dont les députés et sénateurs participent à la coalition de droite de Piñera a été saccagé à l’intérieur et son mobilier (meubles, ordinateurs) a servi de barricades à l’extérieur. Celui du parti RN (Renovación Nacional) de Piñera vite protégé a été caillassé, et le Mémorial Jaime Guzmán, situé non loin à Las Condes a été saccagé. Jaime Guzmán ne fut pas seulement le fondateur de l’UDI (Union démocrate indépendante) qu’il présida entre 1983 et 1989 sous la dictature, ce fut aussi un intellectuel qui a participé dès 1970 à la fondation du mouvement paramilitaire d’extrême droite Patria y Libertad, financé par la CIA, et a intégré le gouvernement de la junte militaire dès 1973, pour laquelle il rédigea la Constitution de 1980. Juste avant son assassinat par des révolutionnaires en 1991, il déclarait encore dans un grand journal « Je m’affirme pinochetiste, avec beaucoup d’honneur ». Trente ans plus tard, beaucoup n’ont rien oublié, et le portrait de ce fasciste érigé en martyr par ses fidèles gît désormais au milieu du verre brisé de son sinistre Mémorial. Des A cerclés et autres tags (Putchistes, Assassins, Ils le méritent,…) ont été laissés sur place lors de ces attaques ciblées. Face à toutes ces incursions chez les riches, la maire effrayée de Providencia n’a pu que lâcher un laconique « Nous vivons un niveau de violence et de destruction jamais vu auparavant dans le centre de la capitale », sans oublier qu’au cours de cette même nuit (du 6 au 7 novembre), ce sont également les bureaux de l’état civil et le McDonald’s à Providencia, ainsi que les locaux du resto pour bobos Fuente Chilena situés non loin qui sont tous partis en fumée.
Enfin, parmi les attaques incendiaires des jours précédents dans le Grand Santiago, on peut citer l’hypermarché Central Mayorista à San Bernardo le 5 novembre (entièrement détruit par un incendie et déjà pillé) ou le supermarché Santa Isabel à Conchalí le 6 novembre (précedemment pillé, et cette fois incendié). Le commandant des pompiers de la région de la capitale a chiffré le nombre d’incendies de locaux à 1600 depuis le début de la révolte (un chiffre quintuplé par rapport à la normale), dont une centaine de grande amplitude, y compris les stations de métro.

Institutions. En plus du saccage du siège national de l’UDI et du caillassage de celui du RN (tous deux au pouvoir) à Santiago le 6 novembre, d’autres locaux ont été détruits ces derniers jours : le 2 novembre à Cañete, la permanence du député UDI Iván Norambuena a été incendiée ; le 7 novembre à Concepción le siège local du parti UDI des frères et soeurs (député et sénatrice) Van Rysselberghe a entièrement cramé lors d’une manifestation après avoir été saccagé ; le 31 octobre à Castro (Chiloé) les bâtiments de la préfecture régionale (Gobernación) et de la mairie ont été saccagés ; le 31 octobre à Angol la maison du maire a été caillassée et perdu ses vitres ; le 1er novembre à Viña del Mar dans le quartier de Reñaca Alto, le domicile d’un sous-officier des carabiniers a été caillassé (pierres, oeufs, bouteilles) ; le 31 octobre, une des portes latérales de la cathédrale d’Iquique a été incendiée juste après minuit, et c’est la prompte intervention des pompiers qui a empêché d’importants dégâts. Pour illustrer la tension grandissante contre le parti du président Piñera, RN, alors que celui-ci devait tenir sa réunion politique nationale avec élus et dirigeants samedi 9 novembre dans son siège de Santiago, il vient de l’annuler sine die pour des raisons de sécurité. Concentrer autant de responsables du parti au pouvoir en un même lieu aurait en effet créé une belle occasion pour les enragés, et c’est donc un sommet de plus qui saute au Chili, après celui de l’APEC de novembre et la COP 25 de l’ONU sur le climat de décembre, sans parler côté football de l’annulation du match amical de la sélection chilienne contre la Bolivie le 15 novembre, ou de la finale de la Copa Libertadores, compétition de tous les clubs sud-américains, entre les finalistes argentin et brésilien River Plate et Flamengo, finalement délocalisée le 23 novembre au Pérou.

Terrorisme d’Etat. Jeudi 7 novembre, le président Sebastian Piñera a annoncé un paquet de lois sécuritaires durcissant les peines de prison : une « loi anti-pillages » (“vols commis en profitant de la foule“), une autre visant les personnes avec le visage dissimulé (en tant que circonstance aggravante lors de troubles à l’ordre public), une autre contre celles qui dressent des barricades (“entrave à l’ordre public en empêchant la circulation“), ainsi que la création d’une équipe judiciaire chargée de poursuivre les auteurs de troubles à l’ordre public, d’un statut spécial pour protéger les policiers, le renforcement des “moyens aériens” des carabiniers et de la PDI (drones), et la “modernisation” du système de renseignement. Ce même jour, il a également réuni le conseil supérieur créé sous Pinochet qui intervient lorsque la sécurité nationale du pays est en jeu, le Consejo de Seguridad Nacional (Cosena), dont les précédentes convocations exceptionnelles en 2005 et 2014 avaient concerné le litige frontalier avec le Pérou sur l’accès à la mer. Les décisions prises lors de ce Cosena (qui réuni le chef d’Etat, les présidents du Sénat, de l’Assemblée nationale et de la Cour suprême avec les Commandants en chef des quatre corps militaires et des carabiniers) ont été tenues secrètes, mais nul doute qu’il s’agit d’amplifier un plan contre-insurrectionnel face à une révolte qui dure depuis trois semaines et ne cesse de s’approfondir. Le ministre de l’Intérieur Blumel a par exemple précisé à la sortie du Cosena que l’objectif des forces armées était désormais (après l’état d’urgence avec couvre-feu de la première semaine) de se concentrer sur son rôle de renseignements…

Terrorisme d’Etat – bis. Parmi les centaines de personnes incarcérées pour les incendies, saccages et pillages, le pouvoir en met régulièrement certains en avant. Il y a par exemple ce prof de maths embastillé dans une prison de Haute Sécurité et accusé de destruction de tourniquets et composteurs à la station de métro San Joaquín le 17 octobre ; mais aussi trois autres embastillés du Movimiento Juvenil Lautaro et accusés d’avoir monté le 30 avril des barricades enflammées sur une ligne de train à Pedro Aguirre Cerda (Santiago) ; ainsi qu’un mineur de 16 ans accusé de l’incendie de la station de métro Pedrero le 18 octobre (tandis que tout son groupe de supporters du club de Colo-Colo, la “Garra Blanca“, est également soupçonné d’y avoir participé) et d’un majeur de 33 ans accusé d’avoir incendié la station de métro La Granja le 18 octobre (tous deux sont en préventive depuis le 8 novembre) ; un jeune de 19 ans accusé d’un incendie de banque à Copiapó le 29 octobre ; ou un autre de celui de la mairie de Quilpué ce même jour. Tous ont été placés sous le statut de la Ley de Seguirdad Interior del Estado. Enfin, le 7 novembre au soir, le seul soldat (sur 10 000 engagés dans cette opération) qui avait refusé de participer à la répression lors de l’état d’urgence en refusant de prendre son fusil a été remis en liberté conditionnelle par la Cour Suprême sous la pression de la rue, et le 6 novembre deux hommes de 20 et 27 ans ont été enfermés en préventive, accusés de l’incendie d’un péage à San Fernando (Colchagua) la veille ; le 8 novembre une femme de 26 ans a été arrêtée à Puerto Montt pour tentative d’incendie de la cathédrale (elle passera dimanche 10 devant un juge), et un jeune de 19 ans accusé de l’incendie de l’Université Pedro Valvidia à Santiago le 8 novembre.

Terrorisme d’Etat – ter. Le 8 novembre, l’ophtalmologue et vice-président du Colegio Médico Patricio Meza a lancé une alerte sanitaire nationale pour dénoncer le terrible “record mondial” d’yeux crevés par les flics. Il a précisé que du 19 octobre au 7 novembre, l’unité spécialisée en traumatismes occulaires de l’Hospital Salvador de Santiago a comptabilisé 149 cas graves provoqués par des balles en caoutchouc/en plomb et des grenades explosives lacrymogènes, plus 42 dans les autres hôpitaux et cliniques, soit au moins 190 en tout : “Nous ne savons plus quoi faire d’un point de vue sanitaire. On sait à présent que la moyenne est de 10 nouveaux patients qui présentent de sévères dommages aux yeux chaque jour, et on continue à utiliser ce qui provoque ces dégâts. Cela dépasse tous les indicateurs au niveau mondial, dans toute l’histoire. Nous tenons au Chili plus de lésions occulaires qu’en Israël, en Palestine, à Hong Kong, en France, etc.” Le dernier touché est un jeune étudiant de 21 ans, qui a perdu l’usage de ses deux yeux vendredi 8 novembre plaza Italia à Santiago vers 18h après avoir été visé en plein visage par les balles des carabiniers, et dont l’opération d’urgence menée cette nuit dans la Clínica Santa María tente désespérément de sauver une vision partielle à l’un des deux. Selon les dernier chiffres de l’INDH sortis le 8 novembre, et qui sont le minimum officiel, il y a eu depuis le 17 octobre près de 5.500 arrêtés, 1.915 blessés hospitalisés (dont 42 par “balles réelles”, et un millier par balles en caoutchouc ou en plomb), tandis que cet Instituto Nacional de Derechos Humanos qui sert de façade garantiste à l’Etat chilien suit les plaintes de 171 cas pour tortures et 52 pour violences sexuelles de la part des flics. On laissera à chacun.e le soin d’imaginer par combien multiplier ces chiffres pour avoir une idée de la réalité…

Poulet grillé. Le 6 novembre à Renca, un quartier populaire du nord de Santiago, le 7°commissariat a été attaqué avec pierres et molotovs par un petit groupe, envoyant cinq flics à l’hôpital. Lundi 4 novembre, alors qu’un cortège tentait de s’approcher du palais présidentiel de La Moneda, les carabiniers ont utilisé lacrymos et canon à eau contre la foule. C’est alors que des molotovs sont parvenu à enflammer un petit groupe de ces derniers, envoyant deux d’entre eux à l’hôpital pour un moment (brûlures au 3e degré).

Jusqu’au-boutisme. Interrogé mardi 5 novembre par la BBC, le chef de l’État, silencieux depuis plusieurs jours, a balayé l’éventualité d’une démission  : « J’irai jusqu’à la fin de mon mandat. J’ai été élu démocratiquement, bla bla bla  », et dans une seconde donnée à Meganoticias, il a précisé ne pas vouloir lâcher les miettes supplémentaires réclamées par les réformistes (non au salaire minimum à 500 000 pesos, non aux 40 heures de la durée de travail hebdomadaire, non au transport gratuit pour les étudiants et les retraités, non à l’abrogation des péages routiers (TAG)). Le président actuel du Chili, Sebastian Piñera, âgé de 69 ans, est l’un des hommes les plus riches du pays, après avoir fait fortune pendant la dictature. Sa fortune est estimée à 2,7 milliards de dollars selon Forbes (qui le classait 589e homme le plus riche du monde en 2013), dans un pays où le salaire minimum est de 301.000 pesos (375 euros). Dans un rapport publié en 2018, l’ONU estimait que les 10 % les plus riches du Chili y détenaient plus des deux tiers de la richesse nationale.

Politicailleries. A côté des cabildos abiertos (forums et assemblées ouvertes de quartier) déjà évoqués ici où toute la gauche citoyenne organise des ateliers de réécriture d’une nouvelle Loi Suprême, l’Asociación Chilena de Municipalidades (AChM) présidée par le maire RN de Puente Alto va organiser les 7 et 8 décembre prochains un référendum dans 330 communes portant sur ce même sujet. Ayant finalement capté la main tendue par la gauche pour tenter de trouver une diversion à la révolte, Piñera a de la même façon annoncé être prêt à réviser la Constitution et qu’un projet de loi à ce sujet est en cours de rédaction urgente. Maintenant que le Grand Débat à la Macron de Piñera a été torpillé par les forums d’en bas comme par les référendums à venir des municipalités, la course de vitesse entre les politiciens de tous bords pour tenter de ramener une révolte autonome vers les institutions s’accélère.

Sans foi ni loi. Au Chili, la révolte semble bien partie pour durer vers une quatrième semaine de suite, toujours autonome et sans leaders ni partis capables de l’encadrer ou de la contrôler. Elle se caractérise toujours par de gros affrontements ponctués de réappropriations et d’attaques destructrices dans la rue, même si quelques débuts d’occupations de lycées commencent à poindre. Dans ce combat, les compagnonnes et les compagnons anarchistes ne sont pas en reste, si bien que même Piñera a commencé officiellement à les nommer dans une grande interview (El Pais, 9/11), bien que cela ait certainement dû lui arracher la langue : “A cette vague de violence participent des groupes très organisés que nous ne connaissions pas auparavant au Chili, à laquelle s’ajoutent la délinquance traditionnelle, les trafiquants de drogue, les anarchistes et beaucoup d’autres. Ils ont démontré leur volonté de tout détruire sans respecter rien ni personne. Ils ont brûlé et détruit la moitié des stations de notre système de transport sous-terrain, vandalisé plus de 2800 bus, incendié des centaines de supermarchés, d’établissements commerciaux, de petits commerces. Sans pitié, sans aucun égard pour rien. Nous allons identifier ces groupes, nous allons les traduire en justice et ils vont répondre de leurs crimes.” Ce qu’un cerveau aussi étroit que celui d’un autoritaire à la tête d’un Etat qui voit le monde à son image ne peut évidemment pas comprendre, c’est que l’ampleur de la révolte au Chili n’est pas liée à tel ou tel groupe, mais à quelque chose de bien plus profond : la soif de liberté. Une liberté partagée qui ne pourra que passer sur le cadavre de la domination -des églises aux partis, de l’économie à la politique en passant par le patriarcat- pour s’affranchir des chaînes de l’existant. Une liberté contagieuse qui ne peut avancer qu’en détruisant tout ce qui fait la misère de nos vies, à travers un négatif d’où pourra surgir quelque chose de complètement différent. Et certes, sans pitié et sans égard pour l’ordre actuel qui nous écrase.

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Précédents aperçus :
Chili, révolte incendiaire et état d’urgence, 19 octobre
Chili, étendre le feu plutôt que le couvrir, 21 octobre
Chili : 3e nuit d’émeutes sous couvre-feu, 22 octobre
Chili : détruire ou réformer l’existant, 23 octobre
Chili : la grève n’éteint pas les feux de la révolte, 24 octobre
Chili : contre tout retour à la normale, 25 octobre
Chili : rien n’est fini !, 27 octobre
Chili : contre tout pouvoir, 29 octobre
Chili : l’oasis sent encore le brûlé, 1er novembre