Plus le soulèvement dure et s’étend, et plus il devient compliqué d’avoir une vision globale, et on peut bien sûr voir de tout : des habitants de quartiers (les fameux « vecinos« ) s’organiser en gilets jaunes (« los canarios« ) pour protéger les biens des pillages, les leurs ou tout ce qui les environne (supermarchés et institutions compris) ; d’autres qui soutiennent les émeutiers en multipliant les cacerolazos bien après le couvre-feu (comme ces 5000 personnes à Talca, 2000 à Puerto Montt ou une partie des 35 000 manifestants de Concepcion) ; une multiplication des rumeurs en tout genre ou d’images spectaculaires sur les réseaux sociaux censées indigner la population ; des tentatives de la gôche d’offrir un débouché politique au pouvoir en multipliant les revendications (de la démission de Piñera à une assemblée constituante !) ; de plus en plus de blessés par balles militaires, dont les premiers morts, et nombre d’accidents. Ainsi, à propos des 15 morts qui tournent en boucle, il s’agit pour beaucoup de personnes coincées dans les incendies post-pillages : 2 dans celui du Lider de San Bernardo (19/10), 5 dans l’usine de vêtements Kayser à Renca (20/10), 1 dans celui d’un supermarché Lider à Matucana (Santiago, 20/10), 2 dans celui du magasin de BTP Construmart à Pintana (20/10), 1 électrocuté dans un Santa Isabel pillé à Santiago (21/10) ; et les autres tuées par les forces de l’ordre : 1 par une balle dans le thorax à La Serena près du Mall (centre commercial) en voie d’être pillé (20/10), 1 à Talcahuano écrasé par un camion militaire (21/10), 1 d’une balle dans le thorax lors d’une manifestation à Curicó (21/10), 1 à Coquimbo lors du pillage d’un magasin (21/10) . Bien sûr, d’autres personnes ont été tuées ou grièvement blessées par les militaires dans la rue, mais elles ne sont pas comptées, puisque selon la bonne vieille technique policière, « le procureur doit enquêter pour savoir d’où venaient les tirs » !

En début d’après-midi lundi 21 octobre, l’Instituto Nacional de Derechos Humanos (INDH) recensait de son côté 84 blessés par balles depuis le 17 octobre, et l’Etat annonce ce matin 2653 incarcérés pour « pillages » et « destruction ». Mais qu’on ne s’y trompe pas, alors que la gôche appellait en vain à une grève générale illimitée, à laquelle le syndicat CUT et la coordination No Más AFP (mouvement pour un système public de retraites, initié par des syndicats) se refusent jusqu’à présent au profit d’un seul jour (mercredi), des individus commencent à réagir à la hauteur : à Valparaiso, huit commissariats ont été attaqués dimanche, à Pudahuel cette nuit, en banlieue de Santiago, des pilleurs ont répliqué par des tirs à l’intervention de la PDI (police musclée de type BAC) en blessant l’un d’eux, tandis que le 6° Comisaría de carabiniers de San Pedro de la Paz (province de Concepción) a également essuyé des coups de feu. Enfin, sur les 93 carabiniers blessés lors de la journée de lundi, 6 sont dans un « état grave », dont 2 par balles.

Pour avoir une idée non exhaustive des incendies et pillages qui se sont produits lundi en journée et cette nuit, on peut noter l’incendie d’un hypermarché Líder à San Ramón (Santiago) au croisement des rues Santa Rosa/Los Franciscanos ; le saccage du péage de Chivilingo (Concepción) sur la Ruta 160 ; un second pillage du supermarché Unimarc à Antofagasta ; l’incendie des bureaux de l’Instituto de Seguridad del Trabajo (IST) à Puerto Natales (Magallanes) ainsi que partiellement le commissariat avec des molotovs ; l’incendie de l’immense Homecenter Sodimac (ameublement, construction et bricolage) à Concepción mais aussi l’ancien immeuble de l’Etat civil, la Cour d’Appel (partiellement) et le bâtiment du Ministère de l’Education (dont le mobilier alimente les barricades) ; le pillage de l’hypermarché ACuenta à La Ligua (Valparaiso) ; l’incendie des bureaux d’Essal (traitement des eaux, Suez) à Orsono et des vitres de nombreux commerces ; l’incendie des bureaux de AFP Capital (fonds de pension) à Rancagua ; l’incendie d’un bâtiment de la mairie à Quilpué ; l’incendie du Ministère du Travail à La Serena et le saccage du Mont-de-Piété (Caja de Crédito Prendario, dans les deux cas le mobilier alimente les barricades) ; le pillage de l’hypermarché Lider à Quilicura (Santiago) ; l’incendie d’un bus après avoir fait descendre conducteur et passagers à Cañete (province d’Arauco) ; le pillage pour la seconde fois de l’hypermarché ACuenta à Viña del Mar ; le pillage d’un Ripley à Puerto Montt,… tout ceci effectué par des centaines de révolté.e.s mobiles.

Aujourd’hui, le général Javier Iturriaga chargé de l’état d’urgence parle de 932 arrêtés supplémentaires cette nuit de lundi à mardi 22 octobre, de 49 uniformes blessés et de 20 000 soldats et flics déployés dans la capitale. De même, il est confirmé que trois stations de métro de Valparaiso (Quilpué, Miramar et Bellavista) ne pourront pas rouvrir de si tôt : comme 22 d’entre elles à Santiago, elles ont été incendiées par les émeutiers ! A présent, les grandes manoeuvres de négociation politique commencent aussi, avec d’un côté le gouvernement qui va recevoir les présidents des partis politiques de la majorité et de l’opposition pour voir quelles miettes leurs semblent adéquates afin d’acheter un semblant de paix sociale, et de l’autre une grève générale appelée par les syndicats rassemblés sous le nom Unidad Social pour un seul jour, mercredi, demandant de d’abord retirer les militaires de la rue (et même pas cet autre minimum qui est la libération de tous les incarcérés) avant « d’ouvrir un dialogue social« . On le sait depuis longtemps, la revendication est la mort de toute révolte, c’est dialoguer et quémander à l’ennemi plutôt que de s’auto-organiser de façon autonome pour prendre par l’action directe ce qui nous intéresse et détruire le reste. En somme, ce qui se passe depuis vendredi dans plusieurs villes du Chili et que la politique de droite comme de gauche va essayer à tout prix de stopper…

A l’heure où certains rassemblements solidaires commencent à avoir lieu ici ou là, parfois blindés de politiciens comme à Paris et d’autres plus conflictuels (Berlin, Buenos Aires), il est encore temps d’étendre les feux de la révolte partout où nous vivons, et pas que devant les ambassades…

Précédents aperçus :
Chili, révolte incendiaire et état d’urgence, 19 octobre
Chili, étendre le feu plutôt que le couvrir, 21 octobre