Nous sommes en mai 2017 à Trivy, en Saône et Loire.
Jérôme Laronze, comme il le raconte dans ce texte, est un agriculteur éleveur en bio, qui rencontre pas mal de soucis avec l’administration.

Il refuse de se faire interner en psychiatrie [1] ainsi que de se faire saisir son troupeau, suite à son refus de se soumettre à un certain nombre de normes administratives.

En effet, Jérôme Laronze est connu pour son mépris de la réglementation, qu’il juge sans réelle efficacité si elle devait protéger les consommateurs, et d’une lourdeur chronophage pour les petites exploitations.
Ce type d’opinion lui a sûrement valu une certaine renommée et surveillance supplémentaire du fait des administrations dont il dépendait et qui lui faisaient subir des pressions.

Le 11 mai 2017, il refuse de se soumettre à un énième contrôle mené par les services vétérinaires de la Direction Départementale de la Protection de la Population (DDPP) venus pour compter son troupeau dans le but de le saisir ultérieurement. Les gendarmes reviennent pour lui proposer de l’interner.

Il fonce alors, avec son tracteur, sur les gendarmes présents.
Il part en cavale pendant presque 10 jours, sa voiture est prise en chasse au moins deux fois, jusqu’au 20 mai 2017, où il est abattu par un gendarme dans le bois de Sailly, juste à côté de son exploitation. Touché par 6 balles, il meurt de ses blessures avant l’arrivée des secours.

Les flics disent avoir tiré sur la voiture qui leur fonçait dessus : malheureusement les tirs sont latéraux, et d’autres ont été tirés par derrière…
Et le premier appel des gendarmes a été pour leur supérieur, juste avant les pompiers.

Malaise : la procureur ordonne une enquête interne de l’Inspection Technique de la Gendarmerie Nationale (équivalent de l’IGPN).

C’est pendant cette cavale que Jérôme Laronze rédige ce texte, d’une extrême importance pour lui, qu’il envoie à un journaliste du Journal de Saône-et-Loire, mais ne sera pas publié ou très partiellement.

Plus d’un an après son assassinat, sa famille a créé une association ainsi qu’un comité de soutien dont on peut lire un communiqué résumant l’affaire ici: https://blogs.mediapart.fr/guillaumecayet/blog/240618/justice-et-verite-pour-jerome-laronze

Voici donc ce texte, à l’état brut.

Chacun-e pourra se faire ainsi une idée de cette affaire ; alors que les policiers clament qu’ils ont « peur », on dénombre toujours plus de victimes de l’État, la plupart parmi les couches les plus fragiles de la population.

CHRONIQUES ET ETATS D’AMES RURAUX

Nous sommes en septembre 2014, quand, je reçois un courrier m’informant que mon exploitation fera l’objet d’un contrôle portant sur l’identification de mes bovins. Celui-ci se passera bien, et ne mettra en évidence aucun défaut majeur, juste des hors délais de notifications (déclaration des mouvements des animaux à l’Etablissement Départemental de l’Elevage).Automatic word wrap
Par la suite, sans doute frustrée d’une chasse si maigre, l’administration, via la Direction Départemental de la Protection des Populations m’informe qu’à la vue de ces hors délais elle refuse de valider mes déclarations de naissances et exige que je prouve, à mes frais, les filiations mère/veau par des tests ADN et que dans l’attente de ceux-ci mon cheptel est interdit de tout mouvement.

Quelques jours plus tard, en entretien téléphonique avec un agent de la DDPP, j’exposais mes réticences à justifier que la meumeu 9094 est bien la mère du voveau 4221 par des méthodes relatives à l’identification criminelle. Cette personne me récita alors son catéchisme administratif et bafouilla quelques arguments que je mis facilement à mal ce qui, me valu d’entendre que ce n’était pas grave et que si je refusais de me conformer à ses exigences, mes animaux entreraient en procédure d’élimination, (entendez abattus) à mes frais et collectés par le service de l’équarrissage puis de clore en déclarant cette phrase qui me revient quotidiennement en tête : « Moi, je m’en fiche ce ne sont pas mes bêtes ».
Pour avoir en d’autres temps cotoyé cette personne, je peux pourtant affirmer qu’elle est ni de sotte ni de méchante nature et me demande quel est le mal qui a corrompu son esprit.

Si la Grèce antique avait ses rites et ses croyances, aujourd’hui, au nom de quels dieux, sur l’autel de quelles valeurs m’a-t-on promis l’hécatombe ?

Dans la continuité, la DDPP me submergera de menaces, de mises en demeures, d’injonctions, d’intimidations et de contrôles sur ma ferme avec à chaque fois toujours plus de gens en armes alors que j’ai toujours étais courtois et jamais menaçant. Ces manœuvres furent pour moi l’occasion d’observer des comportemenrts inopportuns comme par exemple le jour où, venu me confisquer mes documents d’accompagnement bovins (DAB), la chef se plaira à taquiner les gendarmes au sujet de la signalétique défectueuse de leur véhicule, dans un comportement relatif à celui de l’adolescente cherchant à évaluer sa cote auprès des hommes, émettant éclats de rire et blagues analogues à celle du poulet aux amandes.

N’a-t-on jamais appris à cette personne qu’il est des circonstances ou la bonne humeur affichée des uns est une insulte faite aux autres ?

Cela étant si j’avais soupçonner un tel effet de l’uniforme peut-être aurais-je moi même passer ma tenue de sapeur pompier volontaire.
En outre j’invite à une pensée compassionnelle pour ces gendarmes, dont, le vieux véhicule souffrait de dysfonctionnements électriques généralisés, et qui ont pour de peu étés contraints afin de le redémarrer, de solliciter l’aide de celui qu’ils étaient venus intimider.

Ultérieurement, souhaitant cocher les animaux présents sur sa grille d’inventaire, cette même personne s’agacera de n’en trouver aucun et se mettra à déblatérer jusqu’à que sa collègue vienne lui chuchoter que tout concordé et que, manifestement elle n’avait pas le bon inventaire. Si l’erreur est humaine et certainement imputable à un bureau surchargé de dossiers, en revanche, l’empressement à tirer de méchantes conclusions est lui, lourd de sens.

Le six juin 2016 cette administration est revenue avec encore davantage de gens en armes qui m’encerclèrent immédiatement, et, après des salutations négligées de la part de tous ces importuns, toujours la même chef débuta par un rappel de sa liturgie administro-réglementaire et, alors que je pensais la logorrhée arrivée à sont terme , celle-ci m’annonça avec grande satisfaction les lourdes peines prononcées mon égard et, avec tout autant de satisfaction que le délais pour un éventuel appel était expiré.

Plombé d’apprendre ainsi la perte de ma virginité judiciaire, mais face à une telle orthodoxie administro-réglementaire, je déclarais néanmoins mon étonnement, en évoquant une surface marchande maconnaise, que l’on pourrait nommer « intersection marché » qui a pendant deux semaines, en Juillet 2015, (au plus fort de la crise de l’élevage) fait une promotion sur la viande d’agneaux, en arborant au rayon boucherie un ostentatoire panneau de cinq mètres carrés, avec la mention « agneaux de Bourgogne » alors que, la viande fraîche était irlandaise et la surgelée néo-zélandaise et que de plus, la viande de bœuf bénéficiait d’un étiquetage aussi approximatif que fantaisiste. Durant ma brève allocution, l’agent ne cessera d’afficher un mépris surjoué et me fera pour toute réponse un sourire des plus cynique.

J’ajoute aujourd’hui qu’une immense banderole vantait ce magasin comme étant le premier débit de viande du maconnais et que celui-ci, le siège de la DDPP, et le domicile de la très zélée fonctionnaire se situent dans un rayon de 3500 mètres.
Comprendra qui peux, mais voilà qui met en exergue que la bruyère et la ronze (ronce en patois de chez moi) ne sont pas du même côté du manche.

A cette même époque, sous mandat syndical, je siégeais à la cellule d’urgence départementale mise en place pour la crise de l’élevage. A cette occasion, la directrice adjointe de la DDPP a présenter la mesure douze du plan de soutien à l’élevage, portant sur un renforcement des contrôles de l’étiquetage des viandes et sur les mentions trompeuses en grande surface de 25%. A cette annonce, je pris la parole pour signifier mon approbation et l’interroger sur les moyens financiers et humains mis à sa disposition pour atteindre ces objectifs. Non sans embarras, elle m’a répondu pas un sous de plus pas un agent de plus. En toute évidence 25% de zéro ne font toujours pas beaucoup plus que la tête à Toto !

J’en reviens à la journée du six Juin 2016.
Après avoir entendu moult menaces, intimidations et humiliations, les sinistres lurons ont décidé de faire un tour des pâtures. Arrivant dans une où paissaient plus de vingt bovins, les agents de la DDPP eurent fantaisie de les serrer à l’angle d’une clôture en barbelé et d’un ruisseau puis , ont débuté la vocifération du matricule des animaux, qui, eux-même paniqués parla meute hurlante, se sont précipités dans le ruisseau avec un fracas extraordinaire. Voyant que des animaux étaient en difficultés dans le ruisseau je m’approchais de ceux-ci. La première réaction de la chef fut de me dire que cela était entièrement de ma faute, même si je me demande encore comment, puisque j’étais à 100 mètres de là sous le joug de matraques, tasers, et autres fusils mitrailleurs.

Toujours est-il que, cinq animaux gisaient au fond du ruisseau ayant abondament bût la tasse et lourdement souffert du piétinement des presque vingt autres. J’ai donc, dans l’urgence et à mains nues tenté de sortir les animaux. Agents DDPP et gens en armes se joindront à moi en prenant bien soin de ne pas mouiller leurs chaussettes. Les uns tirant sur les pattes, les autres donant des coups de matraques, ou suggérant l’emploi du taser et les fusils mitrailleurs devenant plus encombrants qu’autres choses… La nécessité d’un tracteur s’imposant, je suis rentré seul à la ferme en chercher un avec des cordes,et celles-ci en main, je me suis demandé s’il n’y aurait pas un usage plus radical à en faire en les associant à une poutre et à un quelconque point surélevé. Mais pour aboutir la chose prend un certain temps et ne me voyant pas revenir, ils pourraient arriver avant. Et puis cette bande de dégourdis arrivera-telle à extraire les animaux sans moi ?

Il est bon de préciser que cette pâture est mis en valeur par ma famille depuis le 19e siècle et que jamais le moindre incident ne fût à déplorer sur celle-ci.
Des suites de cet « incident » les cinq bovins périront.
Là dessus la chef décidait d’interrompre le contrôle. Me trouvant seul avec elle (alors qu’elle prétendait avoir besoin de huit gens en armes pour garantir sa sécurité) qui changeait de chaussure, elle m’exprima tout le dégoût que je lui suscité et m’insinuait l’encombrant que j’étais pour la société. Chuchotant entre collègues, je les entendaits dire que je n’avais pas l’air très gai et qu’il n’était peut-être pas prudent de me laisser seul et s’en allèrent.

J’apprendrai plus tard que toute cette petite troupe s’était donnée rendez-vous sur la place de l’école, ce qui, dans l’ambiance actuelle, ne manqua pas de causer une certaine émotion dans la cour de récréation. De même, de manière spontanée des parents d’élèves me mentionneront avoir observés des opérations sous le commandement d’une personne agressive et teigneuse.

Une fois seul, et hébété, je suis retourné voir les gisants et leur prodiguer quelques vains soins. J’ai déconnecté mes téléphones et entrepris de faire un peu de ménage dans la maison et, ce faisant je me mis à penser à mon député et mon imaginaire me transporta dans une conversation avec lui dont voici la retranscription :

Moi. Salut Thomas, ça me fait plaisir de te voir ! Assieds-toi, je vais déboucher une bouteille. T’as le temps maintenant que t’es plus ministre ! Tu sais que je me suis senti con d’avoir voté pour toi ! C’était bien du foutage de gueule ton histoire de phobie administrative, mais bon, dans l’urgence on peut comprendre. Allez santé !

Thomas . Tchin-tchin, in vino veritas !

Moi. Absit révérentia vero ! Tu sais, autant j’ai du mal à avaler ton histoire de phobie qu’en je vois ton parcours estudiantin autant, je suis disposé à croire que totalement investi dans ton travail parlementaire, tu as négligé quelques impératifs administratifs parce qu’en tant que paysan je m’y reconnais un peu. Nous avons toujours une vache à soigner, une terre à labourer, de l’orge à moissonner, une vigne à tailler, une prairie à faucher et des fruits à cueillir alors, la paperasse, elle attend, parce que dans l’ordre naturel des choses le superflu ne commande pas au vital. Permet moi de te dire que nous, les lois naturelles nous sommes y sommes tous les jours soumis, et quand on vit dans une République hors sol, qui ne cesse de vouloir les transgresser, ben tu peux me croitre qu’on fait un putain de grand écart.

Il nous est souvent reproché de ne pas être administratophile, et on s’adresse à nous comme des demeurés qui ne comprendraient pas ce qu’on leur demande, alors que c’est justement parce qu’on comprend bien où que ça nous mènent qu’on a du mal à le faire.

Aujourd’hui en agriculture la pire calamité c’est pas la sécheresse, c’est pas la grêle, c’est pas le gèle, c’est la calamité administrative qui nous pond des textes qui profitent toujours aux mêmes, abscons, contradictoires, contre-productifs, absurdes qui sont l’antimatière du bon sens paysan !

Pis je vais encore te dire une chose, contrairement à certains parasites, qui officient dans la confidentialité d’immeuble maconnais par exemple, notre travail il est à la vue et au su de tous, exposé le long des routes et des chemins, alors quand le paysan est en mesure de bien faire il en tire satisfaction, orgueil, amour-propre et accessoirement salaire, mais qu’advient-il lorsque celui-ci est mis en incapacité de faire ?Automatic word wrap
En définitive ce n’est rien d’autre que la persécution du vital par le futile.

Tu sais Tom, il y pas si longtemps en France, la population comptait 50% de paysan et le sol 50% d’humus, aujourd’hui, nous sommes 4% et il reste pas bien plus d’humus dans le sol. Ben quand on sait qu’étymologiquement, humus est la racine du mot humanité, je me demande si il y a encore beaucoup d’humanité dans notre société8
Moi je pense que la République est une pute et la finance sa mère maquerelle !

Thomas. Tu peux pas dire ça, des gens se sont battus pour obtenir la République !

Moi. Et les Vendéens y ont plongé de leurs plein grès dans la Loire ? Alors ferme ta gueule de franc-maçon et rebois un canon. Toi et ta bande à Flamby vous pouvez vous vantez d’avoir fait de la France un sacré pays de cocus !
Pis mon gars, si on compare nos négligences réelles ou supposées, ben on paye pas le même prix, toi tu vas tranquillement finir ton mandat, je ne peux pas te destituer, tu vas toucher ta retraite parlementaire, bien plus conséquente que celle de mon père qui à treize ans travaillait déjà, alors que moi, c’est taule, amande, pénalités et une partie de mon troupeau à la benne.

Thomas. (En riant la mine réjouie par le vin) Oui mais la France est un territoire ordonné sur lequel ne peut pénétrer n’importe quel terroriste !

Moi. Quand je dis que ce vin est un élixir de vérité !
C’est con j’aimais bien ta petite gueule de premier de la classe. Au début, moi j’aimais bien quand tu emmerdais Mcdo avec sa TVA et tes propositions de lois visant à moderniser la vie politique. J’ai pas fait la dépense de ton livre, mais si tu veux m’en offrir un exemplaire dédicacé je le lirai avec l’attention qu’il mérite. Je sais bien que ta situation administrative était connue de tous les initiés, et qu’elle fût soudainement dévoilée quand ton mentor s’est fait débarquer de Bercy, mais faut savoir que quand là haut, vous vous faites des coups de putes entre putes c’est nous en bas qui payons la note !

Ceci dit, avec le purgatoire que tu as subit, tu es peut être devenu le moins pire de tous alors tourne le dos à ces crevures de libéro-libertaires, demande une investiture au Front National, je revote pour toi et je te casse pas la bouteille sur la tête.

Mon ménage terminé j’employais mon esprit à la rédaction d’une succincte lettre et à la clôture de mon compte sur le livre des visages. Après quoi, muni d’une corde et d’un tabouret, je me mis en route avec le dessein de mettre en œuvre le message subliminal de l’agent DDPP et pour destination la proximité de sa résidence. Manière de rendre à César les honneurs qui lui reviennent. J’arrive au crépuscule dans un joli village qui s’endort paisiblement. En m’approchant, je vois une belle demeure aux abords soignés, où l’on devine une vie de famille heureuse. Rien de commun avec l’antre du diable, mais plutôt le chaleureux foyer du couple fonctionnaire et cadre de l’industrie agroalimentaire soumis au paradigme légalo-marchand et heureux de l’être, tant que cela lui finance bâti ancien, piscine, voitures cossues, loisirs coûteux et chevaux de valeurs. Ici, le salaire de la terreur cumulé à celui de la spoliation des producteurs de lait est converti en un espace bucolique transpirant de bonheur. La nature est autorisée à s’y exprimer, tant qu’elle produit de beaux légumes, de beaux fruits, du bon miel et qu’elle ne porte pas atteinte à la rigueur du lieu.
Un cadavre y ferait fausse note.

Il y a non loin de là, un cheval qui par tout ses moyens cherche à attiré mon attention. Je m’approche de lui, il se calme, je le câline et lui parle. La nuit est fraîche, le dessous de son crin me réchauffe les mains, son encolure le cou et son souffle le dos. Il reste là, immobile, ni moralisateur ni condescendant, ni traître ni lâche, n’obéissant qu’à lui-même, sa chaleur animal rayonne d’humanité, elle.
Un instant j’aurais voulu le chevaucher, sauté la barrière, mais le galop du meilleur pur sang est bien dérisoire pour fuir l’absurdité du monde.
Alors, ainsi installé, je pleurais sur le paradoxe du suicide qui satisfait ceux qui ne vous apprécient pas, et est susceptible de peiner les éventuelles personnes qui vous apprécient.

Je pleurais aussi sur la trahison de ma propre colère, celle que je ressentais aux funérailles de mes camarades d’école respectivement pendu et noyé. Car,outre la peine et la tristesse, je me souviens avoir été envahie de colère à leur encontre, de nous laisser avec notre chagrin et l’image de cette jeune femme effondrée sur la boîte qui renfermée sont petit frère, de n’avoir rien dit, de ne pas s’être battu autrement qu’en utilisant pour seule arme le sacrifice de leurs vies que la société rangera, avec leur dépouille, purement et simplement six pieds sous terre.

Si je devais ici faire vivre leur mémoire je parlerai de ce que sont les paysans. Ils étaient de ceux qui ne travaillent pas en priorité pour un salaire mais pour l’amour du travail bien fait, du sillon droit, des animaux bien conformés, du cep bien taillé, du lait propre et de la couleur des blés, quitte trop souvent, et on doit le déplorer, à se laisser éblouir par l’agrochimie et autres doux leurres sources de douleurs. Car ils sont là les vrais artistes, ces conservateurs du savoir faire qu’au Japon on nommerait « trésor national vivant », les virtuoses de l’adaptation et les artisans de votre satiété.

Récemment encore, une enquête menée en lycée agricole indiquait que le revenu arrivait en lointaine position dans les objectifs de leur futur métier. Dans cette société du fric quel avenir pour ces jeunes candides ? Mais si ceux-ci réclament rémunération de leur travail, qui le leur paiera ? L’État ? (qui paiera peut-être en 2017 les aides de 2015), Bigard ? Lactalis ? Auchan ? Carrefour ? Qui est prêt à remettre 60 % de son pouvoir d’achat dans la nourriture ? Les précarisés de Macron ?

Les syndicats qui soutiennent la paysannerie comme la corde soutient le pendu ?Automatic word wrap
Si Elzéard Bouffier n’a eu qu’une existence fictive sous la plume de Giono, ils existent encore les travailleurs, les opiniâtres, les taiseux, les humbles, les enracinés qui oeuvrent en communion avec leur territoire, ces paysans, ces artisans, ces soignants, ces maires, ces curés, ces institutrices, ces facteurs, ces épiciers… qui sont assassinés quotidiennement dans un crime silencieux mais très réel lui.

Apaiser par l’humanité de ce cheval, et ne pouvant trahir ma colère, je me suis, aux chants des oiseaux diurnes, résigné à rentrer chez moi.

L’inquisition républicaine viendra finir sont contrôle, me laissant l’issue de celui-ci, que des carbones illisibles et des bleus à l’âme. Puis de manière aussi soudaine qu’inattendu elle m’indiquera qu’après expertise de mon dossier la très grande majorité des animaux figurant sur la liste de ceux à éliminer n’avait pas lieu d’y figurer, qu’elle passait l’éponge sur les autres et que ma situation serai régularisée dans les plus brefs délais.
Je laisse à chacun le soin de trouver les mots pour nommer et qualifier ceux, qui d’abord cognent et ensuite réfléchissent.
A toutes fins utiles, je tiens les documents qui en attestent à la disposition de mes collègues paysans confrontés à cette procédure.
Je fis quand même faire à mes frais, quelques tests ADN qui confirmèrent l’honnêteté de mes déclarations.

Celle qui, orgueilleuse d’avoir bloqué mes boucles à Macron me dira sur un ton badin que mes boucles sont récupérables à l’EDE.

Bien qu’étant en règle, je tardais à recevoir mes DAB, je téléphone donc à la DDPP où la chef de service me répond. Je lui fait immédiatement part de mon soulagement d’être régularisé mais m’étonnais de ne pas recevoir mes DAB, et, de m’entendre répondre sur le ton maniéré, agaçant et méprisant qui lui est intrinsèque, qu’elle à effectué toutes les démarches, que cela ne la concerne plus, et qu’ elle a autres choses à faire que de courir après les cartes vertes de Mr Laronze, sur ce merci au-revoir.

Les mois passaient et je n’avais toujours reçu qu’une partie des DAB, quand j’ai appris que le reste s’était noyé dans les marécages administratifs des bords de Saône et personne ne savait quels DAB. De leur coassements les crapauds du marécage demandaient à moi, l’Al Capone de l’élevage qui nécessite d’être mis sous le joug de huit gens en armes, moi le faussaire qui doit prouver ses déclarations par des tests ADN, moi que l’on a mis à l’amende, moi le taulard sursitaire, de produire une liste des DAB me manquants et me les rééditèrent sur la bonne foi de celle-ci.

Pour éclaircir l’image noire que mon propos peu donné de la DDPP je vais citer les paroles de son directeur alors qu’en cellule d’urgence j’étais assis à sa gauche la plus immédiate :Automatic word wrap
« J’entends bien ici tout le désarroi qui est exprimé, je prends bien toute la mesure des difficultés de l’élevage, j’en déduis l’impact psychologique sur les humains […] et naturellement la DDPP n’a pas vocation à venir compliquer les choses sur les exploitations ».

Dans tout ça, cette usine à eau de boudin, a sacrifié le bien être animal dont elle est supposée être la garante en me mettant en incapacité de l’assurer sur ma ferme, et en jetant elle-même des animaux à la rivière pour voir aboutir les exigences, d’une réglementation dont la genèse est un roman noir à elle seule (farine animal/vache folle) et qui n’évite pas les lasagnes à la viande de cheval.

J’invite donc quelques vétérinaires ratés et pantouflés dans une administration à beaucoup d’introspection. Pour leur gouverne, je leur indique qu’ils sont des nains arrogants posés sur les épaules d’un colosse aux pieds d’argile, que j’invite à s’instruire de la fable des deux mulets.

Constante dans ses incohérences, la DDPP m’ordonnait de souscrire à un suivi personnalisé payant auprès de l’EDE, sur qui pourtant, elle rejette la faute de l’envoi tardif des documents, alors voilà pourquoi, un beau matin un brave type de l’EDE que je connais, et une très emmitouflée jeune femme(qui n’a pas jugé utile de se présenter) sont venus me faire signer les trois feuilles du contrat. Après un échange franc et courtois, et refusant le café que je leur proposais, ils sont repartis avec douze morceaux de feuilles non signées.

Dans les dommages en cascade, étant devenu un « client à emmerdes », mes vétérinaires ne souhaitent plus intervenir chez moi. J’étais pourtant l’un de leurs presque rares clients à régler ses factures à échéances exactes ( un cabinet comme celui-ci à facilement un million d’euros d’impayés par les rues) malgré une situation économique devenue tendue en me disant qu’une fois tout cela fini, au moins, je ne serai pas brouillé avec eux. Les vétérinaires étant des partenaires importants dans la conduite d’un élevage. Je constate que ce cabinet à une façon très personnelle de rendre grâce. D’autant plus qu’au cours de successives acquisitions, fusions et absorptions il est en situation de monopole sur mon secteur.

Toujours dans la période 2015/2016 je participais aux réunions d’élaboration de la charte des contrôles en exploitations agricoles. Cela a débuté à la préfecture, sous la présidence du préfet. Je m’y rends sans a priori, riche de mon expérience et avec la volonté de construire quelque chose. Après la déception de découvrir que la chose n’était pas une initiative locale, mais une injonction de Matignon via la circulaire 5806/sg du 31 juillet 2015, et que l’administration avait déjà bien ficelé le dossier avec la FNSEA (opérateur historique du syndicalisme agricole mais non représentatif et non majoritaire). Un modèle étant même en annexe de la circulaire. Un sentiment de complicité de tartuferie montait en moi alors qu’en même temps j’apprenais qu’en Saône er Loire 50% des notifications sont faites hors délais, me rassurant ainsi sur la pérennité de certains emplois.

A une autre date, voulant m’assurer de l’honnêteré de ce projet, je prenais la parole et, à franches coudés mais avec sincérité et courtoisie je commençais d’exposer mon point de vue quand soudain, une petite sotte s’est dressée sur ses talons de six et m’a intimé l’ordre de me taire.

En toute flagrance iségoria ne présidait pas à la séance et parrésia n’y était pas la bien venue. En revanche lapalissades et autres exsudats du Pipotron étaient mis en éloges.
Si Molière faisait dire à son bigot de Tartufe « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » la République à ces dévotes qui veillent à ce que tout ne soit pas dit car, peut être que « Par de pareils objets les âmes sont blessées , et cela fait venir de coupables pensées ».

Sous son vernis de mesurettes et d’éléments de langage en novlangue orwelliènne, cette charte n’apporte aucune sécurité aux contrôleurs, est avant tout un outils de communication au service de quelques hauts responsables, vers qui, se tournent les médias quand un contrôleur se fait assassiner (les suicides de paysans corrélatifs à un contrôle sont très vite étouffés par l’administration et la profession) afin qu’ils puissent la main sur le cœur, la bouche en cœur et en choeur évoquer la charte, et dire : « nous avons tout fait pour éviter cela » et ainsi se disculper de toutes responsabilités.

« Preuve est faite que visages dévots et pieuses actions nous servent à enrober de sucre le diable lui-même. » William Shakespeare.

Ne disposant pas suffisamment d’hypocrisie, je me suis abstenu de signer cette charte.

Printemps 2017 Jérôme Laronze paysan à Trivy entre Saône et Loire

[1] C’est semble-t-il une « solution » au malaise des paysan-nes qui ne se conforment pas aux normes (sympa)