» Je tranche donc en faveur de Pièces et main d’œuvre, dont l’argumentaire refuse le chantage à l’emploi et donne matière à s’extraire du fétichisme du travail abstrait (qui relève précisément de la logique de l’emploi, pure dépense d’énergie mesurée en unités homogènes de temps, indépendamment de tout contenu). En ce sens, ma décision théorique est claire. Je reste sur les bases du philosophe Moishe Postone – qui nous a malheureusement quittés tout récemment – qui dans toute son œuvre, et particulièrement dans la somme Temps, travail et domination sociale, s’est efforcé de bousculer les cadres conceptuels du marxisme orthodoxe en proposant une critique du travail sous le capitalisme (cette activité abstraite prise dans une contrainte impersonnelle de temps, qui devient sous le capitalisme une méditation sociale générale, le prisme par lequel s’organisent pratiquement tous les rapports sociaux) au lieu d’une simple critique du point de vue du travail (opposant la classe productrice de valeur à la classe des accapareurs et cherchant à mieux distribuer les fruits généraux du travail). La thèse de Postone pose certes de vrais problèmes, comme celui de la place à accorder aux rapports d’exploitation ou à la lutte des classes, lesquels se trouvent ainsi englobés sous la forme de socialisation capitaliste. Mais en même temps elle a l’immense mérite de sortir du cadre de questionnement admis, en se demandant à quoi pourrait ressembler une vie sociale articulée autour d’un autre centre que le travail sans qualités. »