Le sujet est vaste, commençons par le sens des mots. « Assistante Sociale RSA ». C’est par ces mots que vous vous êtes définie dans le dernier message téléphonique que vous m’avez laissé. Je n’aurais pas voulu commencer par un cours de sémantique, mais il me semble essentiel de commencer par là… De mon point de vue, il y a ces gens, coincés sous les gros sabots de la « Société », comme on dit, et votre métier, qui consiste à les aider à ne pas se faire écrabouiller inlassablement, à faciliter la relation « personne en galère » versus « reste du monde ». Il se trouve que vous n’êtes pas juste une « Assistante Sociale », vous êtes « spécialisée » en RSA. En 2007, vous n’auriez pas été « Assistante Sociale RMI », vous auriez juste été « Assistante Sociale », le RMI faisant seulement partie de votre panoplie d’outils, vous l’auriez proposé à vos – tiens, comment s’appellent, dans votre langue, les gens de l’autre côté de votre bureau ? « Patients » ? « Clients » ? « Assistés » ? « Bénéficiaires » ? Passons… Aujourd’hui, votre travail consiste à réduire le nombre d’allocataires du RSA par tous les moyens. Autre note sémantique au passage, on ne fait pas d’épargne, de profit, ou de bénéfices sur le RSA, le mot « bénéficiaire » pour nous désigner me semble de fait peu approprié.

    Ce glissement du RMI au RSA, n’a pas eu lieu en une nuit le 31 décembre 2007, il est encore en court… S’il a pu se passer « en douceur » pour vous, de notre côté du bureau, on ne peut le voir que comme un broyeur dont le filtre est sans cesse amélioré. Les différences de traitement suivant le département ou l’AS ne faisant qu’en rajouter à l’arbitraire de la sanction et à la justification permanente auquel on est soumis dans ce pays lorsqu’on est pauvre. Que l’on soit bien d’accord : le RMI n’était pas la panacée, mais le recevoir était un droit. Aujourd’hui, le seul droit que vous nous laissez est celui de demander le RSA.

    Une certaine classe de la population « bénéficie » elle-aussi d’assistants. Ils en ont besoin pour aller chercher leurs gosses à l’école, leurs costumes au pressing, leurs courses à Monoprix, faire à bouffer, le ménage, répondre au courrier, voire pour des tâches fichtrement plus fictives que ça… Certains de ces assistants sont même payés avec de l’argent public, c’est dire. Personne ne s’est abaissé à traiter François Fillon d' »assisté », ou même de « bénéficiaire », avec ses 7000 € d’argent public à dépenser mensuellement, à sa discrétion. Moi et mes 500 balles, par contre…

    Ce que je veux dire par là, c’est que votre travail ne consiste plus à assister les gens de l’autre côté de votre bureau, il consiste à assister  ce monstre appelé « Insertion Sociale », à l’aider à gérer (pas « aider ») les gens de l’autre côté de votre bureau.

    On a vu fleurir, depuis 2012, des convocations pour mauvais allocataires devant ces « équipes », « conseils » ou « commissions », souvent « pluridisciplinaires » [1], jamais composées de la même façon (suivant le département, notamment), mais fonctionnant toujours sur le même mode : une tripotée de guignoles moralisateurs derrière un grand bureau, dont le discours tourne autour des priorités qu’a ou devrait avoir la personne assise en face d’eux. Il paraît que parfois une personne allocataire du RSA siège auprès d’eux [2], mais rien d’obligatoire dans les faits. Bref, un savant mélange de « Bureau du dirlo », et de « convocation au Tribunal de Police », le tout agrémenté de demande de justification des choix de vie de la personne convoquée, du magasin où elle fait ses courses à son lieu de vie (où et avec qui elle vit, etc.) et de menaces de « riposte graduée » et de suspension plus ou moins définitive de ses allocations [3].

    Vous êtes l’assistante de ce conseil de discipline. Pardon, « Conseil Pluridisciplinaire ». Un conseil représentatif de tout et de rien, un conseil « consultatif », mais qui décide, un Tribunal où on ne peut se défendre puisque ce n’est pas un procès, une Autorité qui se torche avec le contrat « d’engagement réciproque » que vous m’aviez fait signer. La signature d’un contrat était pourtant le principal motif de cette convocation.

    Vous êtes l’assistante de ce sous-directeur du « développement social et de l’insertion ». Il vous envoie faire le sale boulot. Il attend de vous que vous « administriez » la vie des gens que vous êtiez sensée « assister », comme on enverrait un administrateur judiciaire gérer une entreprise en dépôt de bilan. 

    Vous êtes aussi l’assistante de cet « élu de la république », qui vient m’accuser d’avoir « une éthique discutable » et de « presque détourner des fonds publics » parce que je suis bénévole dans une association et que je touche le RSA. Je parle bien de cet élu, fer de lance de la campagne de soutien à la candidature de François Fillon dans son département.

    Vous êtes enfin l’assistante de la Grande Amirale de l’Aide Sociale du département, bref, votre cheffe, et qui n’a fait que m’accuser de mensonges quand je lui racontais mon experience de ses services. J’exagère probablement, mais si j’étais un tantinet plus mesquin j’ajouterais « un peu comme un Heinrich Schwarz traitant un Primo Levi de sale petit menteur ».

    Je ne suis pas naïf, je sais bien le cynisme de cette société. Il n’empêche que, depuis l’intervention de cette (grosse) commission, et malgré votre « assistance », je suis passé du statut de « bénéficiaire du RSA, habitant en colocation dans votre département, avec un projet associatif à moyen-long terme » à celui de « Sans domicile fixe, domicilié administrativement dans un mairie à l’autre bout du pays, en phase de perdre le RSA, sans autre projet ou activité que de trouver un logement abordable avant l’hiver ». Dans ce nouveau département, on l’aime bien aussi, le recours à la « commission pluridisciplinaire » : on y est automatiquement convoqué après deux semaines sans « contrat d’engagement réciproque ». On y entend, comme partout, des gens (bien) payés pour donner leurs avis éclairé sur les choix de vie de gens dormant dans leur bagnole en hiver, qui ont, quelle audace, décidé que pointer à Pôle-Emploi n’entrait pas vraiment dans leurs priorités.

    Voilà. Tout ce que je peux vous souhaiter, si vous avez atterri dans ce métier par volonté d’aider les gens à ne pas se faire écrabouiller, c’est d’en changer, sinon vous finirez de l’autre côté d’un bureau, écrabouillée vous aussi. Je vous conseillerais aussi de vous informer, surtout auprès de celles et ceux qui viennent de l’autre côté du bureau.

Au bonheur de ne jamais vous revoir.

[1] http://www.onvautmieux.fr/2016/06/11/une-commission-rsa-cest-quoi

[2] https://www.actuchomage.org/2015031526592/Mobilisations-luttes-et-solidarites/voila-pourquoi-je-refuse-de-prendre-une-decision-de-suspensionradiation-de-rsa.html

[3] http://ccpl59.over-blog.com/cst-les-commissions-disciplinaires-du-rsa-les-conna%C3%AEtre-pour-les-combattre