Manifeste pour en finir avec le travail, la société industrielle et les illusions de la gauche

Des millions de personnes dans la rue. Des appels à la grève illimitée. Des ports bloqués depuis deux
semaines. Des raffineries en grève annonçant une prochaine pénurie de carburant. Des milliers de lycéens qui
bloquent leurs lycées. Le ras-le-bol se généralise et le mouvement contre la réforme des retraites prend de
l’importance. Partout se diffuse le sentiment que quelque chose est en train de se jouer. Ce mouvement, nous en
faisons partie, et nous sommes solidaires des personnes en lutte, contre la réforme des retraites, et contre
l’exploitation en général. Il est légitime que des personnes qui ont travaillé toute leur vie refusent de rempiler pour
deux années supplémentaires.
Pour autant, une grande partie du discours tenu aujourd’hui par la gauche et par les opposants à la réforme
des retraites, nous semble au mieux une impasse, au pire clairement dangereuse. En effet il n’y a pas de lutte
possible contre la réforme des retraites, sans refuser la robotisation de nos vies, sans refuser le travail tel que nous le connaissons (travail créateur de valeur) et sans sortir du dogme de la croissance et de l’emploi à tout prix. Il n’y a
pas non plus de lutte possible sans dénaturaliser la société capitaliste dans laquelle nous vivons et qui nous impose sa richesse économique (l’argent, la valeur, le capital, les marchandises, l’investissement) comme étant normale, naturelle, évidente et ayant soi-disant existé dans toutes les sociétés humaines complexes. De plus la gauche et les syndicats croient à une redistribution moins injuste (moins pour les riches, plus pour les pauvres) de l’argent produit par le sacro-saint travail, défense du travail qu’ils partagent avec Nicolas Sarkozy. Mais cela ne nous fait en rien sortir du capitalisme, puisque la redistribution alternative présupposera une bonne croissance de la valeur capitaliste (donc des profits) en nous pressurant au travail comme des citrons pour faire sortir de nous le jus de la valeur économique. Il faut sortir clairement de cette réalité insupportable que nous vivons qui réduit tout à l’économie. Ce n’est qu’en prenant ces critiques en compte qu’un mouvement peut émerger avec de vraies perspectives.

La crise du capitalisme : Quand les robots rendent l’humain inutile…

TF1 ne nous le dit pas, mais ce que nous appelons le « travail » n’a pas toujours existé. Car le travail ne crée
pas naturellement de la valeur comme le prétend la science économique. Le travail tel que nous le connaissons (le
travail créateur de valeur) n’existe que dans la société capitaliste présente. La valeur incorporée au machine
dépendant du travail fourni, dans un cadre de concurrence telle que la guerre économique que se livrent les capitaux
des entreprises de part le monde, gagner des parts de marché et faire des profits consiste à augmenter la productivité dans l’appareil de production. Depuis plusieurs dizaines d’années, les machines et les ordinateurs suppriment massivement le travail humain pour tenter d’augmenter les profits. Après les ouvriers et les employés (de la Poste, de la SNCF, des magasins ou des banques), c’est aux enseignants de devenir obsolètes. L’école elle aussi devient numérique. Grâce aux progrès de la science et de la technologie, l’accumulation de profit exige moins d’humains à exploiter qu’avant. Pour autant en substituant le travail des humains par le travail des machines, le capitalisme scie la branche (le travail) sur laquelle il est assis, car en pressurant les salaires et en augmentant le chômage, des millions de gens ne sont plus solvables, et perdent leur pouvoir d’achat. La demande s’effondre et c’est la course à l’endettement. Ce mécanisme implacable du capitalisme, n’est pas réformable car c’est sa logique même. Le capitalisme ne peut plus créer assez d’emplois pour tous. Le capitalisme est donc depuis 40 ans dans une crise généralisée dans les centres capitalistes, il s’effondre, mais il fait tout pour nous amener dans sa chute.

…se faire exploiter devient un « privilège »

Les robots nous remplacent donc. Le problème, c’est que nous restons tous plus ou moins contraints de
travailler, car le travail créateur de valeur est le lien structurant dans la société capitaliste. Sans travail, pas de
salaires, et le frigo reste vide. Tous les humains mis au rebut par les machines n’auront pas assez cotisé pour
prétendre à la retraite. Nous en sommes arrivés au stade où pouvoir vendre sa force de travail à une entreprise est
devenu un privilège. Mais quel privilège ? Les emplois que créent encore péniblement le capitalisme sont de plus en
plus vides, et déconnectés de nos besoins fondamentaux, les travailleurs réduits à n’être que les auxiliaires des
ordinateurs, des rouages au sein de la machinerie industrielle. Les gains de productivité devant sans cesse
augmenter, les personnes qui travaillent doivent travailler toujours plus, toujours plus vite, de manière toujours plus
efficace. Exclus et inutiles, ou exploités et pressurés. Voilà à quoi nous en sommes réduits. Il n’y a pas de solution
au problème des retraites ou du chômage sans sortie du capitalisme et de la société industrielle. Combien de temps pensez-vous que ce système s’encombrera d’une main d’oeuvre inutile ?

La solidarité ne repose pas sur la croissance !

Pour justifier la réforme des retraites, la droite nous explique : « il y a aujourd’hui moins de travailleurs
actifs, et plus de personnes inactives. Il est donc normal de travailler plus longtemps pour payer les retraites » Ce à
quoi les économistes de la gauche et de l’extrême-gauche rétorquent : « Même avec une croissance inférieure à 2%,
le produit intérieur brut aura doublé d’ici 40 ans, on pourra donc en consacrer une part plus importante au
financement des retraites, sans effort financier supplémentaire de la part des salariés. » Pour la gauche, le problème est donc uniquement un problème de répartition des fruits (pourris) de la croissance de la valeur, forme de richesse intrinsèquement capitaliste. Comme si les retraites, et donc la solidarité humaine, reposaient sur la croissance économique. Il faut en finir avec l’idéologie de la croissance. Compter sur un doublement de la production d’ici 40 ans est une aberration. Non seulement le capitalisme est à bout de souffle en venant au terme de sa logique folle et contradictoire, mais notre environnement ne survivrait pas à un tel désastre écologique. Sans compter la dégradation de la vie en société. Car produire plus, c’est produire toujours plus de marchandises, d’ordinateurs, de télévisions à écrans plats, de téléphones portables, et autres gadgets high-tech qui abrutissent, individualisent et finissent par détruire toute relation véritable entre nous. (Et vous, combien d’amis virtuels avez-vous sur facebook ?)

Lycéens refusez d’intégrer la machine-travail planétaire !

Le second argument de la gauche contre la réforme des retraites, consiste à refuser l’allongement de la
durée de cotisation parce qu’il serait un frein à l’emploi des jeunes. Quels emplois ? Des emplois qui répondent à
quels besoins ? Aucune importance finalement et là n’est même plus la question dans le capitalisme, puisque pour
tout « travail » seul compte combien de valeur et d’argent il aura produit pour la formidable machine à fric dans
laquelle les lycéens et étudiant devront trouver leur place. Il faut sortir de cette logique de l’emploi à tout prix.
D’abord parce qu’il n’y a plus de travail pour tous. (voir plus haut) Ensuite parce que non seulement cela revient à
défendre des emplois qui nuisent au reste de la société, mais que finalement tout travail créateur de valeur fait partie
intégrante de la société capitaliste en tant que son noyau et fondement. Il n’y a pas de honte à ne pas avoir de «
travail » au sens où l’entend cette société, c’est à dire un travail que l’on ne fait que pour l’argent, sans aucune
considération pour son contenu. Il est plus digne de ne pas travailler, plutôt que d’être d’aller dans n’importe quel
« taf » pour participer à l’augmentation perpétuelle de la sainte-croissance capitaliste. Remettons en cause notre
société sur sa base, le travail créateur de valeur. Pour autant, nous ne voulons pas passer notre vie à ne rien faire.
Nous préférons alors parler d’activité en tentant collectivement de sortir de l’économie.

Par où commencer ? Battre en retraite… un débat permanent !

Dans ce monde « à l’envers » qu’est le capitalisme, les choses que le travail fabrique (sous forme de
marchandises et de services donc sous forme d’argent et de capital) commandent aux humains et dressent en face de nous comme des divinités barbares qui exigent de nouveaux sacrifices humains. Nous ne sommes que des créatures, des rouages, des supports de ce travail de valorisation économique qui nous dépasse et sur lequel il ne peut plus y avoir aucune maîtrise autre que celle de sortir de cette forme sociale de vie qu’est la vie capitaliste, qu’en dépassant le travail, l’argent, la valeur et la production de marchandises comme formes structurantes de « notre » société. Pour cela dans un premier temps, s’organiser à la base pour obtenir le retrait de la réforme et lutter contre
l’administration du désastre capitaliste. Se défier des centrales syndicales qui adorent le Dieu du travail et des partis
politiques qui ne retireront pas la réforme s’ils sont élus en 2012. Prendre le temps de réfléchir et de construire des
solidarités, pour repenser une théorie critique du capitalisme. Cesser les journées d’action ponctuelles, pour
construire un mouvement solide et continu pour nous rencontrer, discuter, échanger afin d’engager à gauche un
débat sur la remise en cause du travail, de l’argent et de la valeur comme formes structurantes de « notre » société.
Pour sortir de l’économie ! Nous organiser enfin pour empêcher tout retour à la normale. Paralyser les centres
économiques, scientifiques et politiques. Refuser le travail c’est bien, mais le dépasser comme forme structurante de la vie en société c’est mieux ! Produire collectivement ce dont nous avons besoin pour vivre, sans le concours de la machine-travail planétaire et sa production industrielle.

Rendre inutile ce système qui nous rend inutiles.

Tract remanié à partir du tract du groupe Libeludd (libertaires et luddistes de Grenoble), le 19 octobre 2010. Voir du
groupe Krisis, le Manifeste contre le travail, mais aussi le magazine Sortir de l’économie:
http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/ et http://palim-psao.over-blog.fr/ (sur la wertkritik) A Bourges plus d’infos
sur http://groupededecroisseursberrichons.hautetfort.com/