Pendant onze jours, c’est par mon corps, dans un jeûne, relayant cinq autres personnes, que j’ai exprimé ma solidarité avec le combat de Roland Veuillet. J’ai voulu attirer l’attention de tous, et notamment d’un monde enseignant endormi, sur ce cas emblématique de ce que devient l’éducation dans notre pays et de la place qu’on veut désormais nous y laisser.

Roland Veuillet, dans ses activités syndicales à Nîmes s’est opposé
. à l’entrée des élus d’extrème droite dans les conseils d’administration des lycées de la Région (avec la complicité du maire d’Alès et le silence du personnel, ils ont finalement siégé dans le mien),
. à la mise en place de la PFT (plateforme technologique) intrusion sournoise des financements et contraintes d’entreprises dont nous mesurons les dérives aujourd’hui dans mon propre lycée,
. à la casse du statut des surveillants d’externat et maîtres d’internat (MI-SE), au cœur du lien avec les élèves dans les établissements scolaires, aujourd’hui remplacés par des caméras de vidéo-surveillance et des emplois précaires et sous-payés, demain par des policiers.

Pour ces engagements légitimes, Roland Veuillet a été menacé physiquement, muté à 300 km de sa famille et récemment interné d’office en hôpital psychiatrique. Comment expliquer ces attitudes du ministère et de l’administration à nos élèves sinon en ces termes :
1. tous les jours, nos enseignements sont marqués par « l’éducation à la citoyenneté », « l’apprentissage de la démocratie » … Voici ce qui vous menace si vous les prenez au sérieux.
2. pour l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Mais cet article n’est pas valable au sein même de l’Education nationale.

A nous tous dans les lycées et les collèges qui avons cessé d’utiliser ces droits qui fondent l’humanité de nos enseignements, quelle crédibilité nous reste-t-il ? Qu’avons nous à gagner à nous taire et à nous effacer, alors que progresse la logique froide de l’individualisme, du profit et que les machines remplacent les humains autour des enfants ? Toutes ces libertés, tous ces droits que nous n’utilisons pas, nous sont progressivement retirés, dans l’indifférence et l’apathie. Nos propres élèves nous regardent chaque jour reculer. Par l’exemple, nous les éduquons chaque jour à la résignation.

Nous avons besoin de pratiquer la liberté pour éduquer à la liberté. Nous avons besoin d’éduquer à la liberté pour éduquer à la responsabilité. Tout nous pousse, aujourd’hui, à maintenir les élèves dans l’infantilisme, à les appareiller pour les tenir dans la dépendance. Notre liberté est la condition de notre génie et notre soumission d’aujourd’hui nourrit la médiocrité d’un système qui plonge nos enfants dans la Misère et l’Ennui. La liberté était notre sève ; aujourd’hui nous fanons.

Roland Veuillet n’est pas libre et sa sanction est injuste. Je suis solidaire de son combat parce que nous tenons tous les uns sur les autres, parce que c’est ce qui nous rend « solides » : ce que l’on fait à l’un de nous, je sais que c’est à tous qu’on le fait. Après onze jours, j’ai décidé aujourd’hui de rompre mon jeûne. Onze jours de silence d’un ministère qui a su nous montrer le peu de cas qu’il fait de nos vies. Avec des milliers de personnes, je demande toujours l’annulation de la sanction, la réhabilitation de Roland Veuillet et une enquête administrative.

Plus que jamais, aujourd’hui, je sais que la mise en pratique de la liberté et de la solidarité est une lutte quotidienne. Elle reste au cœur de mon enseignement et de mes rapports avec les élèves.

Jean-Philippe JOSEPH
Professeur agrégé d’Economie-Gestion
Lycée JB Dumas – Alès.