PROJET DE REFORME
DE L’UNIVERSITE
DE RENNES II :

« Pour une université
démocratique et populaire »

soumis au jugement des étudiants par référendum
les 6, 7 et 8 mars 2007,

sur le campus de Villejean, Rennes II.

INTRODUCTION

L’approche des échéances électorales nous semble être le moment opportun pour soulever une question incontournable: celle du lien entre enseignement et démocratie. Tous les regards sont aujourd’hui invités à se tourner vers l’affrontement télévisuel de deux candidats, faisant ainsi passer les questions politiques, qui appartiennent à tous, au second plan. Mais pour qu’un processus électoral constitue un moment démocratique, il est indispensable que les candidats se fassent, autant que possible, simples porte-parole de positions politiques qui ne peuvent réellement s’affirmer que dans les délibérations publiques des citoyens, nécessaire préalable à tout acte d’élection ou de délégation. L’exigence démocratique ne s’affirme pas dans le sondage, la consultation, le temps de parole symboliquement consenti en guise de caution « participative », mais dans la parole prise, et gardée. Dans la parole qui exige de se traduire en actes.

Quand les institutions, comme c’est le cas aujourd’hui, oublient leur raison d’être qui est de favoriser cette prise de parole et de décision par tous sur l’ensemble des aspects de la vie collective, il devient nécessaire et urgent que quiconque estimant que le gouvernement, au nom d’une idée usurpée de la démocratie, accapare tous les leviers de la puissance publique, vienne rappeler à tous qu’il n’y a de démocratie que dans le gouvernement du peuple : quand celui-ci élabore librement les institutions et les lois. Ainsi est-il du ressort de chacun de proposer toute réforme de la vie politique et sociale qui lui paraîtra plus juste que le fonctionnement actuel des institutions, et il est également indispensable que chacun se prononce sur ces propositions. Certains, s’estimant incompétents pour juger de ces questions, s’en remettront aux experts en place. Mais il n’y a pas d’expert neutre, il n’y en a qu’au service d’une certaine politique, dont le sens, l’esprit doivent être déterminés au sein de la vie et du mouvement démocratique, c’est à dire, par nous mêmes, dès maintenant.

L’université fait l’objet, depuis une vingtaine d’années, comme les autres secteurs de la vie sociale, d’une vaste offensive de restructuration et de libéralisation. Cette entreprise a fait l’objet d’une résistance endémique, depuis la loi Devaquet (1986) jusqu’à la mise en place du LMD (2003). Résistance qui n’a pu enrayer l’adaptation forcée de l’université à un environnement économique progressivement délivré des concessions imposées au patronat par le mouvement ouvrier depuis un siècle. Cette évolution a contribué à incliner la fabrication des savoirs dans le sens de la production de connaissances valorisables sur le marché du travail, et de compétences fonctionnelles à la mainmise toujours accrue du monde de l’entreprise (dont le Medef se veut l’expresssion cohérente) sur tous les aspects de la vie. Aujourd’hui, qu’il est de bon ton de confondre égalité et totalitarisme, est souvent évoquée la nécessité de favoriser une plus grande « autonomie » des universités à l’égard de l’Etat. Mais c’est pour mieux nous vendre la progressive intégration des universités à un environnement économique où sévissent depuis vingt ans des politiques libérales exclusivement favorables au patronat. Ce qui (même pour les libéraux) doit pourtant subsister d’autonomie face aux exigences de rentabilité immédiate est ce sur quoi il s’agit de prendre appui pour refuser la fatalité de cette restructuration qui touche tous les secteurs. C’est ce qui rend possible d’aspirer non plus à l’autonomie de la recherche « pure » au sein d’un environnement économique qui l’oriente et s’en nourrit, mais à une autonomie politique, financière, intellectuelle de l’université, en désaccord, en dissensus avec l’ordre libéral des choses.

Il est plus facile pour les étudiants de prendre le temps de penser ce qui en nous se refuse à ce type d’oppression que constituent les rapports d’exploitation. C’est pourquoi lors de la lutte du printemps dernier, la plupart des étudiants savaient qu’ils se battaient aussi pour tous les mécontents, particulièrement ceux dont la parole est ordinairement méprisée. C’est dans les marges de l’université (conçue comme espace intégré à la production capitaliste) que continue à s’élaborer un autre sens commun : celui qui subordonne le travail à la communauté réelle, politique de ceux qui pratiquent la démocratie. Sens commun qui n’oublie pas le tort absolu fait depuis trop longtemps aux êtres et à leur environnement sensible par l’oligarchie (le gouvernement des professionnels de la décision) politico-économique. C’est tout naturellement que ceux qui confisquent la démocratie cherchent à éliminer ces marges de liberté, qu’au contraire nous voulons étendre bien au-delà de ce qui est stigmatisé par les patrons comme un « ghetto estudiantin ». Ceux-là n’ont et n’auront de cesse de nous appeler à faire preuve de « pragmatisme » : mais l’exigence démocratique implique de ne rien laisser à l’écart de la délibération collective, et notamment la question cruciale de l’organisation du travail, question de la subsistance matérielle indissociable de la mise en oeuvre d’une politique. S’approprier l’institution implique de constituer les conditions de cette appropriation: ne plus être tenus par le chantage libéral aux bourses, prêts et loyers, au marché du travail, mais faire du CROUS l’instrument adéquat pour se dégager du marché : une politique populaire se doit d’assurer la subsistance de tous ceux qui la font. Cela voudra dire se réapproprier la question du logement, de l’alimentation et de la médecine confisqués par des organismes bureaucratiques actuellement subordonnés aux politiques libérales.

Il ne s’agit donc pas de défendre peureusement l’université telle qu’elle est, en se félicitant de ce qu’elle résiste encore, alors qu’elle est partiellement restructurée et devenue déjà largement productive, mais d’élargir son autonomie en l’ouvrant à tous ceux qui aspirent à développer cet autre sens commun. La réforme que nous proposons vise à donner officiellement corps à l’esprit démocratique qui subsiste à l’université mais ne trouve pour le moment à s’affirmer qu’à l’occasion de surgissements ponctuels, tel celui du printemps dernier. Elle vise à faire de l’institution actuelle une université du peuple, ouverte à tous ceux qui étudient, travaillent et s’organisent pour donner consistance à cette souveraineté populaire tant galvaudée aujourd’hui. Université ouverte à tous ceux qui sont à la recherche d’agencements susceptibles de favoriser leurs passions tenues en bride par la contrainte économique, et qui souhaitent les mettre en partage.

Il nous a semblé que proposer cette réforme au référendum était la meilleure manière de faire percevoir à tous ceux qui ne confondent pas démocratie et consentement qu’ils ne sont pas seuls. La mise en oeuvre des mesures concrètes énoncées ici pour inverser la tendance générale à la libéralisation, doit nous permettre de nous réapproprier les enjeux politiques des mutations actuelles dans l’enseignement. Au-delà des vagues débats d’idées, des projections utopiques sans conséquence, ou des expérimentations marginales, cette mise en oeuvre effective, malgré les tenants du statu quo, sera alors, bien plus que le comptage des voix, l’événement à proprement parler démocratique. Démocratie synonyme d »intervention populaire dans les affaires publiques, de gouvernement de ceux qui n’ont pas de titre à gouverner.

UNE INSURRECTION DEMOCRATIQUE :
PLAIDOYER POUR LA REFORME DE L’ADMINISTRATION

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Sans cesse, la démocratie nous est avancée comme le régime politique ultime, et en même temps déjà atteint. Comme si la souveraineté du peuple était un fait acquis, à défendre face aux tendances fascistes que ce même régime produit. Plutôt que de s’indigner une énième fois sur le fonctionnement oligarchique de nos institutions politiques, il s’agit de regarder comment s’opère l’exercice de notre souveraineté sur notre lieu de vie, lieu de « travail » : l’université. Car c’est au sein même de l’institution dans laquelle nous sommes pris qu’il s’agit d’exercer notre souveraineté. Car cette idée de souveraineté n’a de consistance que lorsqu’elle donne la possibilité aux individus d’élaborer des choix et de les appliquer effectivement, là où ils vivent.

Où se situe aujourd’hui la souveraineté des étudiants à la faculté ? Dans les élections étudiantes. L’argument qui consisterait à dire que le taux de participation à ces élections est dérisoire (15 % pour les amateurs de chiffres) ne suffit pas. Il s’agit bien plutôt de voir en quoi la structure même de ces élections est un déni de souveraineté populaire, de la capacité des étudiants à décider des orientations de l’université.

Les étudiants ont une représentation au sein des instances décisionnelles officielles de l’université, que sont le Conseil d’administration (CA), le Conseil des Etudes et de la Vie Universitaire (CEVU) et le Conseil Scientifique, sans rapport avec leur nombre réel. Moyen pour la direction de l’université d’exercer au nom des étudiants le pouvoir qu’elle est obligée de lui reconnaître symboliquement. Cette reconnaissance symbolique n’est en réalité qu’une confiscation de la démocratie : les élus étudiants minoritaires dans les conseils n’ont en réalité aucun pouvoir. De plus, personne n’oserait soutenir de manière raisonnable que ces élections sont un réel moment de délibération collective et politique. En dehors d’un seul jour par an dévolu à « l’expression politique », nous devons nous en remettre à la gestion des affaires courantes par l’administration et les élus étudiants.

Par conséquent nous proposons :
Premièrement, d’imposer que siège désormais une majorité d’étudiants dans ces instances, ce qui sera plus conforme à leur proportion réelle dans l’université. Cette idée de proportionnalité, si elle est nécessaire, ne suffit pas à faire vivre l’idée démocratique. Pour cela, il faut établir des conditions propices à la délibération permanente et à la participation de tous à la marche de l’université.

Deuxièmement, la tenue régulière d’une assemblée populaire pesant suffisamment sur l’administration générale de l’université pour lui imposer l’ordre du jour. Il ne s’agit donc pas de faire de ces assemblées des sortes de référendums ponctuels d’initiative populaire où quelques administrateurs garderaient la main sur le pouvoir et laisseraient les étudiants se griser de démocratie dans un amphi déserté. Mais de faire de l’assemblée populaire de Rennes 2 le lieu de convergence des processus de délibération et de décision. A la lumière du dernier mouvement, nous préférons utiliser l’expression d’assemblée populaire par différence avec l’assemblée générale. D’abord parce que l’assemblée est ouverte à quiconque prend part au processus démocratique, qu’il soit formellement membre de l’université ou pas. L’assemblée populaire a selon nous pour condition le partage d’un consensus qui serait ici celui de l’esprit de cette réforme, réforme qui n’aura de consistance que dans notre capacité à l’imposer. Finalement, c’est considérer que tous ceux qui commencent à être partie prenante des mutations de l’université doivent s’accorder sur des bases communes. Ceci ne veut pas dire qu’il n’y aurait plus de place pour le conflit mais que l’assemblée populaire n’a pas vocation à être le lieu de confrontation des partisans et adversaires de la réforme mais entre les différentes tendances et manières de penser sa mise en œuvre. Une assemblée qui se refuserait à œuvrer en ce sens ne pourrait plus être qualifiée de populaire. La publicité des décisions de l’assemblée et la prise en compte des formes plus spontanées de prise de parole devront faciliter l’appropriation par tous des affaires de l’université.

Troisièmement, afin de favoriser la prépondérance des débats d’idées et l’explicitation publique des enjeux d’une décision et non le désir de pouvoir de ceux qui se mettent en avant, les étudiants qui siègeront seront soumis aux mandats impératifs de l’assemblée populaire. C’est-à-dire qu’ils devront défendre l’esprit des propositions votées par l’assemblée dans le cadre fixé par elle. Les délégués étudiants seront ainsi responsables devant l’assemblée populaire et révocables par celle-ci à tout moment.

Quatrièmement, ils seront désignés par tirage au sort, sans candidature, au sein de l’assemblée populaire, ce qui favorisera la responsabilisation de chacun, sachant que quiconque peut être amené à exercer un mandat au nom de l’assemblée populaire. Les oligarques de tous poils jugeront scandaleux que n’importe qui puisse être amené à exercer les fonctions du gouvernement au sein d’une institution, sans qu’il ait à passer au crible de l’évaluation de ses compétences. Mais en disant cela, c’est proprement l’idée démocratique qu’ils estiment scandaleuse, car elle n’est réelle que là où se présuppose et se vérifie l’égalité, « la compétence des incompétents ». Il ne s’agit pas d’obliger les étudiants à être mandatés mais d’admettre que si l’idée de souveraineté populaire a un sens, c’est dans l’affirmation que tout un chacun est amené à occuper le poste de gouvernant. Refuser cette idée, c’est refuser de voir que « notre » démocratie n’est, aujourd’hui, qu’une oligarchie s’auto-légitimant par des procédures de consultation sans dangers pour elle.

Avant de conclure, il ne faut pas négliger de lever un certain nombre d’amalgames complaisamment relayés sur le rapport entretenu entre référendum, consentement et démocratie : l’évènement démocratique ne sera pas dans la consultation référendaire en tant que telle mais bien plus dans le processus de délibération et dans l’affirmation corollaire de l’égale capacité de tous à la prise de décision. Mais aussi, ne l’oublions pas, dans l’imposition de cette réforme, par la partie des étudiants qui ressentent le fonctionnement actuel de l’université comme une oppression, autrement dit par le dèmos. Un résultat négatif du référendum ne serait pas un résultat démocratique mais bien une défaite pour le mouvement d’insurrection démocratique actuel, en ce sens qu’il témoignerait de la volonté des étudiants de ne pas être souverains et de laisser les décisions qui concernent l’université à d’autres.

En définitive, il n’y aura pas, il ne peut y avoir de démocratie achevée, car vouloir le réel de l’idée démocratique, c’est accepter le principe que le peuple est toujours divisé et que n’importe qui peut décider de faire sécession avec l’assemblée populaire, du fait qu’il ne consent plus à la nature des décisions qui y sont prises. Mais l’assemblée populaire pourra s’opposer à ces agissements.

DE L’UNIVERSITE LIBERALE A L’UNIVERSITE DU PEUPLE : PLAIDOYER POUR LA REFORME DU STATUT DE L’ETUDIANT

En quoi pouvons-nous aujourd’hui parler d’un élément populaire persistant à l’université, sur lequel nous pouvons prendre appui pour envisager et amorcer le passage de l’université libérale-productive (fondée sur la concurrence) à l’université démocratique et populaire (fondée sur l’égalité) ?
Il y a d’abord le retour périodique des « mouvements étudiants », mouvements qui ont trouvé avec les évènements de février-avril 2006 (contre le CPE-CNE-LEC) à renouer avec la lutte politique, c’est à dire avec les actes, après une longue période de paralysie. Lors du printemps dernier s’est enfin posée la question des moyens adéquats pour faire reculer effectivement le gouvernement libéral : les premiers réflexes de défilés molassons une fois dépassés, les moyens se sont imposés d’eux-mêmes, entraînant la progressive mise en pièces du carcan légaliste : blocage des universités, des flux de capitaux et des institutions responsables des politiques libérales, confrontation assumée en maints endroits avec les forces de l’ordre chargées de protéger ces flux et ces institutions.

L’élément populaire s’affirme manifestement ici, dans ce bref et tout relatif gouvernement de la rue, opposé à un gouvernement oligarchique chargé de maintenir une guerre latente entre nous: par la mise en concurrence de tous sur le marché du travail. Car le peuple n’a d’existence qu’en affirmant sa puissance politique, et s’autorisant de son absence de titre à gouverner pour surgir sur la scène de ceux qui sont soit-disants légitimes à occuper les places de gouvernants.

Ces irruptions politiques sont toujours par quelque côté en rapport avec ce que les sociologues nomment « massification » ou « démocratisation » de l’université : le fait que l’université soit devenue accessible à un nombre toujours plus grand d’étudiants issus des classes pauvres a réduit, sans toutefois le dissoudre, le rôle majeur joué par celle-ci dans la ségrégation sociale. La seule condition d’être titulaire d’un bac, le caractère relativement modique des frais d’inscription, le cadrage national des diplômes, la possibilité de garder des bourses en cas de redoublement ont indéniablement favorisé une certaine égalité dans « la condition étudiante ».

Cette massification, fonctionnelle en son temps à l’évolution du marché du travail, constitue aujourd’hui pour les libéraux un double obstacle. D’abord parce qu’elle apparaît aujourd’hui comme une force de limitation relative, mais réelle, des effets de la concurrence en vigueur sur le dit marché. Ensuite parce que cette inadéquation aux exigences souveraines de l’économie est un terreau favorable à la révolte, à l’apparition de manières de vivre et de penser résolument hostiles aux valeurs capitalistes-libérales. Ce n’est donc pas un hasard si l’élément populaire dont nous parlons a fait régulièrement l’objet d’attaques de la part des gouvernements, depuis la loi Devaquet (1986) jusqu’au rapport Hetzel (dernière forme en date du vaste projet libéral « d’autonomisation des universités » à l’anglo-saxonne), en passant par la LMD (2003).

Il aura fallu vingt ans pour que le vocabulaire de l’entreprise prenne racine à l’université, au point que l’ennemi n’hésite plus à parler, avec les savoirs acquis dorénavant évalués en crédits ECTS, de «compétences capitalisables ». Mais il ne s’agit pas pour le peuple d’une défaite unilatérale : l’offfensive libérale a contribué à matérialiser un front, et par là, à dégager l’horizon d’une possible victoire. Grâce à l’expérience et à la mémoire des luttes, il est clair aujourd’hui pour beaucoup d’étudiants que l’université ne doit plus en aucune façon participer de la reproduction des inégalités sociales. Car l’université actuelle malgré la massification continue d’assurer l’accès aux grandes écoles pour certains, l’échec en première année pour beaucoup d’autres (notamment les plus pauvres qui doivent se salarier). Elle se prépare à aggraver une sélection de fait entre les « pôles d’excellence » richement dotés et voués à voir leurs frais d’inscription augmenter et les « facs généralistes » s’apprêtant à employer contre les étudiants issus des classes pauvres des méthodes de contrôle social comparables à celles qui sévissent aujourd’hui à l’ANPE.

L’élément populaire tire sa consistance de sa capacité à traduire son refus des politiques de libéralisation par une affirmation elle aussi politique : n’en déplaise aux « pragmatiques », nous ne voulons pas la soustraction de l’université d’avec le travail, mais sa soustraction d’avec le marché. Mettre en oeuvre un nouage adéquat entre étude et travail n’implique pas de reconduire une logique de rentabilité, par laquelle se superpose jusqu’à se confondre le degré de justesse de ce qui se dit ou se fait, et sa valeur marchande. La communauté politique à laquelle nous aspirons se veut, par la mise en commun des propriétés et le partage des passions, une puissance de désactivation de la guerre économique. Il n’y a à proprement parler de politique populaire que dans la mesure où c’est l’organisation capitaliste du travail et le type d’existence auquel elle condamne qui, de manière conflictuelle, sont sapés dans leurs fondements par l’action d’une partie grandissante de la population.

L’université actuelle ne peut devenir véritablement une université du peuple, et non une université dont l’élément populaire fait constamment l’objet d’attaques de la part du gouvernement libéral, qu’en approfondissant ce qui ne permet aujourd’hui que de résister. Un tel processus implique en premier lieu le transfert démocratique de souveraineté du conseil d’administration de l’université à l’assemblée populaire de Rennes 2, ouverte à tous ceux, étudiants, personnels, simples citoyens, qui sont désireux de prendre part à la mise en place de la réforme. L’irruption démocratique étant en son principe illimitée, il est indispensable que l’assemblée populaire soit ouverte à quiconque pour ne pas la reclore sur la « communauté universitaire ». Mais il importe également de ne plus conditionner l’accès à l’université: que tous puissent s’y inscrire, parce que tous sont également capables de comprendre, et que favoriser

la compréhension de tous ceux qui prennent part au processus est la visée d’une communauté politique réelle. Les seuls que l’université doit exclure sont ceux qui cherchent à détruire ses efforts vers sa mutation démocratique; elle doit au contraire accueillir ceux qui partagent le présupposé de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui (personne n’est fait pour commander ou pour obéir), et de ce fait, sont disposés à partager l’expérience solitaire et commune de l’étude, à en partager les exigences et progrès sous une forme démonétarisée.

ETUDE ET EXAMENS :
PLAIDOYER POUR LA REFORME DES PROGRAMMES A L’UNIVERSITE

Parmi les choses qui peuvent rendre l’Université désirable, il y a un certain rapport d’exploration des savoirs distancié de l’injonction étouffante à mettre en œuvre immédiatement les savoirs appris dans des activités professionnelles ou para-professionnelles. Ce rapport, on peut le nommer : « étude ». S’il constitue l’une des vocations de l’université, il fait pourtant l’objet d’attaques tous azimuts tant en terme de sélection de ceux qui pourraient y avoir accès, qu’en terme d’adaptation aux exigences du marché.

Cela s’illustre par une propension à passer sans cesse l’enseignement universitaire au crible des savoirs « utiles », entendons : soumettre les enseignements aux exigences du monde du travail, qu’elles soient celles de la rentabilité ou de l’utilité sociale. En voulant fusionner sans autre forme de procès le rapport entre les savoirs et l’activité, cette conception parvient à se donner la force de l’évidence du fait même qu’elle tient dans l’ombre un certain effet du savoir sur la vie. Il s’agit d’un effet de vérité sur la vie du sujet qui peut être dit de deux manières. D’une part, tout savoir peut, bon gré, mal gré, transformer un sujet et définir une sorte de vérité pour laquelle il en va désormais de la vie du sujet. D’autre part, l’apprentissage de tel ou tel savoir va nécessiter un travail sur soi, une forme d’ascèse qui ne laissera pas le sujet inchangé. En somme, la conception utilitaire du savoir nous fait croire à la permanence et à l’inviolabilité du sujet apprenant. Cela lui permet de renvoyer la communauté éthique et politique que tout savoir présuppose et active pourtant, à de l’implicite, à de la naturalité.

La question du rapport qu’entretient et doit chercher à entretenir la vie et la pensée, ou « l’activité » et l’étude ne se résoud pourtant pas en défendant l’idée d’un savoir (ou d’une création) « pur » et « libre ». Cette conception croit pouvoir s’opposer à l’invasion de la conception utilitariste et professionnalisante des savoirs en s’attribuant une autonomie fantasmée vis à vis de toute contrainte extérieure socio-économique. Aussi, ceux qui s’en font les défenseurs s’attribuent-ils modestement le qualificatif de « résistant » intrinsèque à l’ordre libéral du seul fait qu’ils enseignent, apprennent ou élaborent des savoirs selon cette conception. Mais un savoir sera d’autant moins libre, que celui qui le porte l’estimera a priori tel, qu’il se refusera en toutes circonstances à outrepasser la loi qui le gouverne. Car consentir à cette loi pour que lui soit reconnue la profession d’homme de science ou de culture et prodigués les moyens de l’exercer, c’est aujourd’hui plus que jamais, s’assujettir à son service.

Ces deux conceptions cohabitent au sein même des filières universitaires et sont en fait nécessaires au fonctionnement de la machine économique : les industries technologiques, culturelles et sociales ont besoin sans cesse de nouvelles idées que ne peuvent leur fournir la seule innovation « appliquée » ou utilitaire. De la même manière, par exemple, les laboratoires dit de « recherche fondamentale » élaborent des programmes qui puissent répondre aux demandes des firmes pour obtenir des financements.

Dans ces conditions, dira-t-on, pourquoi les libéraux veulent-ils réformer l’université ? Ce qui les gêne encore à l’université, et que l’existence du mouvement anti-cpe a rappelé, c’est le caractère flottant des subjectivités dans l’espace de l’étude. La « professionnalisation » vise à dissoudre la disjonction entre les savoirs et la vie qui définit l’étude et à tracer une voie sans détours entre enseignement et attribution d’une place sociale. Au travers de l’expérience de formes d’étude, les étudiants ne sont pas encore pris, à l’inverse de nombreux enseignants, dans une identification trop rigide qu’opère le « métier » entre un savoir partiel et une fonction sociale. Ce flottement permet l’expérimentation de savoirs dans la vie sans que ceux-ci correspondent nécessairement à une place attribuée dans l’ordre social. Elle rend donc les étudiants plus disponibles à la politique et à la révolte. C’est pourquoi, il faut à tout prix, aux libéraux, combler l’écart entre les savoirs et la vie par la professionnalisation accrue de l’université.

Nous pouvons ici avancer quelques jalons concernant les orientations et les formes d’enseignement que devrait mettre en œuvre une université démocratique et populaire. On commencera par se méfier de l’usage des termes totémiques de « scientificité » et d’« objectivité » qui n’ont bien souvent pour rôle que de fermer la bouche des positions adverses. Cela ne signifiera pas pour autant accepter une sorte d’équivalence relativiste à l’égard de toutes les positions sur un même sujet, ou encore de céder à une sorte d’irrationnalisme « new-age ». La rigueur argumentative et démonstrative doit être au contraire favorisée comme jamais peut-être elle ne l’a été. Les grandes orientations et les formes d’enseignement devront faire l’objet d’une élaboration permanente et d’une explicitation publique de leurs présupposés axiologiques et politiques lors des assemblées de filières étudiants -personnels puis lors des scéances de l’assemblée populaire. La décision d’intégrer ou non une orientation aux programmes d’enseignement appartiendra aux deux assemblées.

Manière aussi de donner consistance à l’idée d’une élaboration en partie collective des savoirs et de briser en acte le mythe de l’instruction où la connaissance passe d’un sujet qui sait à un sujet qui ne sait pas.

Nous avons vu plus haut combien une université démocratique ne pourrait se contenter de favoriser une conception « puriste » des savoirs. Nous pensons qu’elle doit a minima faire en sorte que les grandes orientations d’enseignement et de recherche favorisent un dissensus avec l’ordre libéral. Ce qui n’implique pas une nouvelle forme d’orthodoxie dans la mesure où l’explicitation sans cesse renouvelée de la loi (la nature de ce dissensus avec l’ordre libéral) doit permettre une grande latitude d’interprétation et de formes de concrétisation. Là où l’université actuelle se pavane sous l’apparence d’une autonomie de création et de savoirs, nous disons qu’elle n’acquièra une autonomie réelle qu’en explicitant la loi à laquelle elle s’assujettit et en déterminant cette loi dans le sens d’un dissensus politique avec l’ordre libéral-capitaliste. Cette autonomie n’existant que par rapport à cette loi, aussi bien dans la recherche d’une conformité avec elle que dans sa transgression, mais pas sans elle.
Précisons, les savoirs ainsi dispensés ne constitueront pas en tant que tels des formes de « résistance » à l’ordre en cours mais ils seront seulement ce par quoi une décision d’existence pourra être habitée, décision qui a besoin d’être continuellement soutenue par des actes.

EXAMENS

Cette forme « examen », telle qu’elle est aujourd’hui imposée à l’université concentre principalement trois défauts liés les uns aux autres.
Premièrement, elle renvoie par la sanction toute étude au « bachotage » et ne peut que favoriser la passivité des étudiants.
Deuxièmement, la « loi LMD-ECTS » a radicalisé l’idée selon laquelle les diplômes équivalent à la propriété d’un capital-compétences favorisant une conception abstraite du savoir (du fait de son caractère quantifiable et cumulable) et monétaire ou putassière du savoir (déliée des implications politiques et éthiques, rendant équivalentes les différences éthiques supposées par des savoirs adverses voire antagonistes).
Troisièmement, la forme examen reconduit un principe de sélection légitimant la distribution qui sépare ceux qui auront part à la conduite des affaires publiques et ceux qui doivent se contenter de fournir leur assentiment. Ceci d’abord à travers la division de ceux qui n’ont pas accès aux études supérieures d’avec ceux qui le peuvent, et parmi ces derniers, entre ceux qui « réussissent » des études « sérieuses », professionnalisantes et ceux qui, se cherchant, explorent les possibilités d’existence ouvertes par l’immensité des régions du savoir L’ouverture des conditions d’accès à l’université contemporaine (gratuité, bourses, entrée à tous les bacheliers…) avait permis de limiter la concurrence du marché au sein de l’université sans pour autant la faire disparaître, comme l’illustre
la sanction des examens. C’est pourquoi, les examens tels qu’ils sont aujourd’hui, doivent à terme perdre leur visée évaluative et sélective. Aussi ce rendez-vous périodique deviendrait seulement un pur exercice, un nécessaire entrainement, une manière de vérifier le passage du savoir appris au savoir inscrit à même la vie de celui qui le sait.

SUBSISTANCE : PLAIDOYER POUR LA QUATRIEME PROPOSITION

La lutte contre la précarité fut considérée comme le dénominateur commun de tous les acteurs du mouvement social du printemps dernier. Beaucoup se sont satisfaits du seul retrait du CPE. Cette « victoire » n’a pourtant en rien inversé le processus de précarisation libérale : développement de la flexibilité et des contrats au rabais dans tous les secteurs, obligation de se salarier pour plus de la moitié des étudiants, hausse des loyers, du ticket RU, du coût des transports, contrôle social de plus en plus resserré sur la distribution des allocations.
En guise de réponse au mouvement du printemps, le gouvernement Villepin nomma une commission « Université-emploi » censée répondre aux « inquiétudes de la jeunesse ». Le résultat fut le rapport Hetzel, qui sous couvert de lutter contre le chômage des jeunes, propose tout simplement d’adapter les formations universitaires aux exigences des entreprises, d’accentuer la précarité étudiante et de tracer une voie sans détours entre enseignement et marché du travail.

Comment faire pour que l’université ne perde pas l’élément populaire qu’elle portait en elle, qu’elle ne devienne pas un simple lieu de reproduction sociale, mais qu’à l’inverse elle permette à tous d’étudier et de subsister sans sacrifier l’un pour l’autre ?
L’université doit en premier lieu assurer la subsistance matérielle de tous ceux qui y étudient et y travaillent, afin que tous ceux qui souhaitent étudier puissent effectivement le faire. L’université ne sera populaire que si elle assume la question de l’étude comme étant inséparable de celle de la subsistance.
En effet, une université ouverte à tous doit nous donner les moyens d’étudier et de vivre sans être requis par l’obligation de se vendre sur le marché du travail. L’université populaire devra chercher à obtenir auprès du CROUS et des pouvoirs publics, les moyens matériels et financiers permettant à chaque étudiant de s’assurer l’accès au logement, à une restauration de qualité, aux transports et à la santé. Cela passera par des mesures fortes : élargissement des critères d’attribution des bourses (en particulier la suppression de la limite d’âge pour y prétendre) et augmentation de leur montant , baisse du ticket RU, baisse des loyers, gratuité des transports et des soins médicaux.
Assumer la question de la subsistance matérielle c’est aussi commencer à la prendre directement en charge, en fonction des moyens dont pourra disposer l’assemblée populaire. D’ou la nécessité d’élaborer, au sein même de l’université, une organisation du travail autonome. Il s’agira par exemple de remettre à l’assemblée populaire le soin d »organiser une partie de la restauration universitaire en coopération avec les personnels et en se liant directement à des pratiques agricoles non productivistes. Quant au fonctionnement technique de l’université au niveau de l’hygiène, de l’entretien des locaux, de l’achat de matériel, il sera de la même manière pris en charge par l’assemblée populaire conjointement avec les personnels.
Enfin, assurer la subsistance matérielle de tous ceux qui étudient et travaillent à l’université signifie aussi garantir à tous les personnels un emploi correctement rémunéré, un statut égal à ceux des enseignants, des conditions de travail convenables. Pour ce faire, l’université populaire devra intégrer tous les personnels y travaillant (IATOSS et autres agents) comme salariés de l’université populaire de Rennes 2, et donc de l’Education Nationale. Cette mesure permettra d’éviter tout licenciement ou « réorganisation du personnel » de la part des différents employeurs actuels (conseil régional, boîtes privées), dans le seul but de créer de la division au sein de l’université.

Subsister c’et aussi exister politiquement. Une université populaire et démocratique ne pourra subsister si elle se réduit à un oasis perdu dans un vaste désert libéral. S’employer à soutenir et relayer les luttes populaires est nécessairement un enjeu primordial pour une université populaire.
C’est ainsi que des mouvements tels que ceux existant aujourd’hui chez les salariés de la restauration rapide ou chez les salariés du CROUS seront susceptibles de faire l’objet d’actes de solidarité effective.
Faire de l’institution actuelle une université du peuple c’est également l’envisager comme un foyer de solidarité pour tous ceux qui subissent la violence économique et raciste du système capitaliste et sécuritaire français. Dès lors, le soutien juridique et matériel aux sans papiers, la réquisition des locaux vacants pour les mal logés devront constituer des missions importantes de l’université.

REFERENDUM : MODALITES DES VOTES

Sera soumis au vote l’ensemble des propositions relatives à la réforme de l’université (Administration, Statuts, Programmes, Subsistance), énoncées en dernière page de cette brochure.

La question posée sera :

« Souhaitez-vous faire de l’université de Rennes II une université démocratique et populaire dans le sens de la réforme proposée ? ».

On pourra répondre par oui ou par non à cette question. Il n’y aura pas de possibilité de vote blanc ou nul.

Pourront voter les étudiants inscrits à l’université de Rennes II, au titre de l’année universitaire 2006-2007 et qui se présenteront munis de leur carte d’étudiant de l’année en cours.

Le vote se déroulera les mardi 6, mercredi 7, jeudi 8 mars 2007 entre 10h et 17h dans le hall B du campus de villejean à l’université de Rennes II.

ENSEMBLE DES PROPOSITIONS SOUMISES AU REFERENDUM

Administration
L’assemblée populaire de Rennes 2 est le lieu effectif de la délibération et de la décision. Elle se réunira régulièrement. Elle est ouverte à quiconque soutient la réforme sans pour autant être inscrit à l’université.
Le conseil d’administration, le CEVU et le conseil scientifique seront composés en majorité d’étudiants tirés au sort parmi l’assemblée populaire de Rennes 2 et soumis à ses mandats impératifs et révocables ; présence de lycéens, chômeurs, salariés du quartier en particulier et de la ville en général, prêts à soutenir la mise en place de la réforme, au sein des différents conseils.

Statuts
Est étudiant quiconque s’inscrit à l’ensemble des cours d’une année: il n’est pas nécessaire d’avoir le bac. Pour les non-exonérés de frais d’inscription : dégressivité des frais d’inscription selon les revenus du foyer fiscal.
Chaque étudiant peut délibérer et proposer au sein de l’assemblée populaire toute orientation nouvelle relative à la vie de l’université démocratique et populaire.

Programmes
L’assemblée populaire de l’université de Rennes 2 sera en charge conjointement de l’élaboration des programmes et des modalités d’examens avec les assemblées de filières étudiants-professeurs-personnels.
Les différentes assemblées chercheront à inscrire et à expliciter un dissensus avec l’ordre libéral dans les orientations de recherche et les programmes d’enseignement.
L’université populaire et démocratique n’aura pas pour visée principale l’intégration des étudiants à la société capitaliste mais sa transformation.

Subsistance
L’université populaire de Rennes 2 a pour mission de pourvoir à la subsistance matérielle et financière de tous ceux qui y étudient et y travaillent. Elle y pourvoira de 3 façons : en intégrant comme salariés de l’université tous les personnels; en élaborant une organisation du travail autonome vis à vis du marché; en intervenant auprès du CROUS et des pouvoirs publics pour imposer l’amélioration des conditions de vie.
L’université populaire de Rennes 2 doit également, pour éviter l’isolement, assurer sa propre subsistance politique. Cela impliquera de soutenir et de relayer activement les luttes populaires.