« Tout le pouvoir au peuple »: c’est la devise que l’on trouve le plus fréquemment au bas des tracts de l’Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca (APPO). Et il ne s’agit pas que de mots. Car, dans cette ville du sud du Mexique, une partie du pouvoir politique est effectivement passée entre les mains des organisations syndicales, populaires, citoyennes, paysannes, ouvrieres et indigenes réunis au sein de l’APPO. Mais la lutte exceptionnelle qu’elles menent avec courage et détermination depuis des mois, est sur le point d’etre reprimée de maniere sanglante par les forces fédérales, policieres et militaires. La Commune de Oaxaca est en lutte et c’est peu de le dire.

Les organisations populaires sont depuis longtemps combattives dans cet Etat mexicain parmi les plus pauvres du pays. La Commune de Oaxaca est apparue dans un contexte bien particulier marqué par une longue tradition de luttes enseignantes et un syndicat de l’éducation puissant, une longue tradition de luttes ouvrieres, paysannes et indigenes et, a l’opposé, un gouverneur élu par la fraude qui , peut-etre plus que d’autres, confond l’argent du contribuable avec sa cassette personnelle.

C’est une greve des enseigants qui a été le détonateur des évenements historiques qui secouent Oaxaca. Fin mai, soixante-dix mille enseigants venus de toutes les régions de l’Etat se mobilisent et occupent le centre ville, avec pour principale revendication une augmentation salariale ainsi qu’une meilleure alimentation pour les enfants et le rejet de la privatisation de l’éducation. Mais ce mouvement change de nature lorsque le gouverneur, Ulises Ruiz Ortiz, ordonne l’evacuation par la force des occupants. Le 14 juin, la tentative policiere de délogement échoue face a la resístance des enseignants. L¨extreme violence de la repression cause la mort de quatre personnes (deux enseignants et deux enfants) et provoque l’indignation d’une grande partie de la population de Oaxaca qui se solidarise avec les enseignants.

De cette solidarité nait l’Assemblée Populaire des Peuples de Oaxaca. Appreciés des populations, au contact de toutes les miseres, les enseignants sont plus politisés que dans d’autres secteurs et jouent souvent un róle de leaders d’opinion. Ainsi, le mouvement, au départ uniquement enseignant, est devenue un mouvement a la fois enseignant et populaire. L’APPO se compose de plus de cent organisations, parfois marxistes ou marxisantes, mais aussi libertaires, comme le Consejo Indígena del Pueblo de Oaxaca-Ricardo Flores Magon (CIPO-RFM) ou sans autre idéologie que l’auto-défense politique, économique et sociale. Parmi les principales, citons le Comité de Defensa de los Derechos del Pueblo (CODEP), le Front Populaire Révolutionnaire (FPR), l’Organisation Indigene pour la Defense des Droits de l’Homme a Oaxaca(OIDHO), Movimiento Unificada de Lucha Trici Independientes (MULTRI), XANICA, Oaxaca Nueva Ciudadania etc. L’APPO est implantée dans toutes les régions de l’Etat et le organisations paysannes sont une de ses composantes essentielles. Au centre de la ville de Oaxaca, les commercants ambulants sont également nombreux a participer a la lutte.

Une fois par mois se tient la grande assemblée de base de l’APPO (300 a 400 personnes) qui réunit des délégués membres d’organisations ou représentants de villages et de quartiers. Elle nomme un bureau provisoire ( environ Quatre-vingt personnes) constitué de représentants des organisations. Ce bureau se divise en cinq commissions: organisation, presse et propagande, relations extérieures, finance et sécurité.

L’APPO place au centre de ses exigences le départ du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, responsable de la répression. Mais ses revendications sont allées bien au-dela. Car c’est une veritable dynamique révolutionnaire qui s’est enclenchée a Oaxaca. L’APPO a chassé les trois pouvoirs de la ville. Ses militants occupent les batiments du pouvoir judiciaire, la chambre des députés ainsi que le palais du gouverneur et les batiments du pouvoir federal. L’APPO a également controlé certains sieges du quatrieme pouvoir: une televisión, Radio oro et radio universitario (dont les émetteurs ont été détruits par les paramilitaires) et, encore aujourd’hui, la radio privée « La ley » rebaptisée « La ley del pueblo ».

Face a un pouvoir corrompu au service de la classe dominante, l’APPO est a la recherche d’une forme d’organisation politique réellement populaire. Dans son manifeste du quinze septembre 2006, un texte clairement anticapitaliste, l’APPO appelle a l’établissement d’une nouvelle constitution et a la création «a la base, d’un pouvoir populaire, un force organisée du peuple qui apporte des solutions a ses demandes, qui veille a ce que la fonction publique s’exerce dans la transparence en respectant toutes les populations, et qui impulse une véritable démocratie du peuple apportant une véritable participation populaire dans la prise des décisions.»

Pour conclure, le manifeste étend son projet a tout le Mexique : «Nous faisons savoir que c’est la volonté du peuple de Oaxaca de marcher tous ensemble, comme exploités et comme opprimés que nous sommes, dans cette lutte pour la nouvelle société, et pour le nouveau Mexique, car, comme Oaxaca, le Mexique et le monde ont besoin d’une nouvelle forme de gouvernement, organisé et dirigé par tout le peuple, nous appelons a lutter tous ensemble pour une nouvelle constituante, pour une nouvelle constitution, et pour cela nous avons besoin de construire la grande Assemblée Nationale des Peuples du Mexique qui ouvre la voie a la lutte pour un gouvernement populaire et démocratique auxquel aspire la majorité des mexicains.»

En dépit du machisme qui existe sans doute a Oaxaca comme ailleurs, les femmes occupent une grande place dans le mouvement. Elles sont nombreuses a adhérer aux diferentes organisations membres de l’APPO. Et a rejetter la domination masculine, revendiquant « la construction de nouvelles relations entre hommes et femmes », dont les droits (en particulier celui de disposer librement de son corps, « le 1er de tous les droits ») doivent etre garantis par le projet de nouvelle constitution de l’APPO.
Les femmes participent a toutes les activités notamment aux gardes des barricades et aux diferentes actions. Ainsi, le 1er aout, elles se sont emparées des locaux de la television(qui allaient etre mitraillé deux tours plus tard). Ce qui se dit ici, c’est que « lorsque les femmes avancent, les hommes ne reculent pas ».

Le 30 septembre, trois mille militaires, lourdement équipés, ont débarqué a Huatulco, sur la cote de Oaxaca. Le meme jour, deux hélicopteres et un avion militaire ont commencé a survoler la ville pendant que des forces fedérales arrivaient a l’aéroport. Depuis, l’APPO est en alerte totale. La tension est forte, a la mesure des risques encourus. Des centaines de barricades sont érigées chaque nuit aux entrées de la ville qui ressemble de plus en plus a une citadelle assiégée. Les hommes et les femmes qui en assurent la garde savent qu’ils risquent leur vie. Leur courage, ils le puisent dans la révolte qu’engendre l’injustice politique, économique et sociale, dans l’esprit de solidarité de classe et dans la volonté de construire un monde meilleur.

Mais la situation a Oaxaca n’est pas celle de Barcelonne en 1936. Car la population en lutte n’a aucune chance de sortir victorieuse d’une confrontation militaire. Malgré la présence possible d’un groupe de l’EPR(dont se sert la propagande du pouvoir pour criminaliser l’APPO), la population s’apprete a defendre les barricades avec des pierres et des cocktails molotov. Un bain de sang est programmé.

A moins d’y etre obligé, l’Etat ne peut accepter que les organisations du peuple favorables a la lutte de classe et a l’extension des libertés publiques s’emparent d’une partie de son pouvoir. IL ne peut accepter que l’APPO serve de modele radical aux autres luttes du pays. A cela s’ajoute des motivations plus politiciennes. Le PAN de Fox et Calderon souhaite preserver son alliance avec le PRI de Ruiz Ortiz. Et le départ d’un gouverneur sous la pression de la rue constituerait un précédent dangereux pour Calderon, accusé de fraude électorale et dont l’élection est toujours contestée par les partisans de Lopez Obrador, candidat du Parti de la Révolution démocratique.

Cependant, il est possible que d’autres considérations (comme des pressions internationales ou encore le risque d’embrasement du pays et l’exigence de stabilité), contraignent le pouvoir a suivre le chemin de la négociation et de la concession. Pour l’APPO, il ne s’agit évidemment pas de remporter un conflit militaire. La bataille se joue sur le terrain politique. La Commune de Oaxaca est d’ores et déja une grande réalisation et un exemple d’autonomie populaire a l’usage des luttes du Mexique et du monde entier. Celles et ceux qui l’ont fait exister sont gravement menacés. Ils attendent des actions solidaires.