Pendant la nuit du 20 au 21 mars, qui est celle de Nowrouz (nouvelle année), et malgré les pressions et intimidations des forces de répression, les familles de prisonniers politiques se sont rassemblées dans une rue proche de la prison Evin de Téhéran pour célébrer ensemble Nowrouz et réclamer la libération de leurs proches.

des manifs nocturnes des toits ont aussi éclatées a téhéran
Toujours cette même Nuit de Nowrouz ( equivalent du Nouvel an iranien) à Téhéran : Dans la nuit du 20 au 21 mars qui célèbre le nouvel an en Iran (ainsi qu’au Kurdistan) et pour le début de l’année 1389, les cris « mort au dictateur » (barg mar diktator) et allah akbar (une manière d’irriter le régime comme ca ce faisait a l’époque de la révolution confisquée de 1979 )ont à nouveau résonné depuis les toits de Téhéran et dans d’autres villes du pays les gens ont également fait exploser des pétards

http://www.youtube.com/watch?v=64nKZqL3yPE

http://www.youtube.com/watch?v=m0CeSLZ6DZY

Ces manifs des toits sont assez impressionnantes surtout quand on s’aperçoit que les gens se répondent comme ca de toits a toits et de quartier a quartier

Témoignages de prisonniers de Evin

Fouad Shams: « Je suis encore en vie pour raconter l’histoire »
Lettre de Fouad Shams après sa libération: « Je suis encore en vie pour raconter l’histoire »

Du blog personnel de Fouad Shams, récemment libéré après trois mois de détention.

Mercredi 10 mars 2010

Je rêve encore

Quatre-vingt-dix-sept jours à moité éveillé sur les collines d’Evine ne m’ont rien apporté d’autre que des rêves. Les plus beaux enfants du soleil et du vent sont sur les collines d’Evine pendant les derniers jours de froidure d’automne et d’hiver, ces mêmes collines qui sont, depuis des décennies le point de rencontre des amoureux de la liberté. Tout ce qui reste des « portes de la grande civilisation » ce sont les murs d’Evine [note du traducteur : quelques années avant la révolution de 1979, le shah d’Iran prétendait que l’Iran progressait rapidement vers les « portes de la grande civilisation ». Ici, l’auteur utilise ce terme ironiquement, pour nous rappeler que la prison d’Evine a été construite à l’époque du shah]. Oui, depuis des années il y a une fête sur les collines dont les « Parrains » sont les hôtes. J’ai eu la chance de partager cette fête avec beaucoup de monde pendant le second semestre de cette année.

Cette expérience de la prison pendant le second semestre de cette année [calendrier persan] est la meilleure chose qui me soit arrivée. C’est une expérience qui ne se répètera pas. Pour nous, la prison n’était pas aussi restrictive que les gardiens l’auraient espéré. Au contraire, notre génération a tourné la page et la prison est devenue pour nous un lieu de création. Les hôtes de cette fête nous demandaient d’oublier nos idéaux, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Nous rêvions, même en prison. Ils ont essayé de nous limiter par leurs propres méthodes. Bon, ça nous a peut-être un peu contraint. Mais à l’isolement, alors qu’ils pensaient m’avoir tout pris, mes rêves me permettaient de m’envoler par la meurtrière, dans une nuit de pleine lune, comme un papillon.

Quand vous croyez ne rien avoir à perdre, quand vous vous enfoncez dans le silence de la cellule 105 du bloc 209, tout d’un coup, vous entendez Hashem qui siffle pour vous dire qu’il y a encore une flamme qui brûle dans les cœurs. Et vous entendez Moussa tapant sur les murs pour vous dire que vous n’êtes pas seul. Et le bruit que fait « Orange » [un surnom] venant d’une cellule, ce n’est pas seulement une voix, c’est de l’espoir. Dans les rêves, quand le crépuscule tombe, ils chantent soudain « Le Crépuscule ». Quand vous vous pensez seul, que personne n’est avec vous, soudain, Alrahman-ol-Rahim [surnom], vous parle de sa « fleur » qu’il a vu quelques minutes, après des semaines sans aucun contact, il l’a même embrassée. Vous avez envie de pleurer, mais vous souriez à Alrahman-ol-Rahim et vous lui dites de rester fort: ils ne peuvent pas briser les racines de ta fleur.

Vous passez le plus clair de votre temps à écouter une partie d’échecs entre Mahtab et Sogand [deux prisonnières] et les tricheries de Mahtab. Quand je pense à Sogand, à son moral, je deviens triste, je me reproche de lui avoir dit que nous resterions longtemps en prison. Maintenant, je suis dehors, elle y est toujours. Quand je pense à Sogand, je ne pense qu’aux aubes du lendemain, un avenir dans lequel Sogand serait avec nous au nom de la liberté. Rêver veut dire quelque chose quand vous êtes à l’isolement et que le silence règne. Même le son du Coran récité par les frères d’Al-Qaida vous manque. Il n’y a quel le son de vos rêves pour vous donner de la force à l’isolement. Quand Roya [prisonnière] vous dit que tout le monde était dehors non seulement le 16 du mois, mais aussi le 17 et le 18, vous avez envie de hurler de joie.

C’est pourquoi l’isolement m’a manqué au bout de 80 jours. J’étais dans un isolement qui n’avait ni la couleur, ni l’odeur de la solitude, une solitude dans laquelle j’ai trouvé les meilleurs amis de ma vie, des amis dont je ne me souviens pas du visage, mais c’est comme si nous avions vécu 10 ans ensemble.

Mais l’expérience de la cellule, où le simple son d’une voix familière vous remonte le moral, où vous sentez la présence d’un ami que vous n’aviez pas vu depuis deux ans est une expérience précieuse. Taper sur les murs, chanter de la musique Bandari est la plus grande joie des jours qui se traînent. En confidence, rêver, être à demi éveillé 97 jours, ça veut dire que rien n’a plus de goût que le berlingot de lait et les quelques concombres qu’Abbas vous a donnés quelques heures avant sa libération. Ce sont les discussions avec Abbas et les nouvelles sur l’action héroïque de Madjid [Tavakoli], le vrai animateur du mouvement étudiant, qui ont été mes plus grandes sources d’énergie.

Le souvenir de ma visite d’un jour à Kianoush et la chanson immortelle d’Aghassi : « Je vis de ton amour » m’accompagna jusqu’à mon dernier jour de détention. Kianoush m’a appris à résister et il a appris de notre génération comment s’avouer que l’on a changé intérieurement. Et bien sûr le souvenir du plus grand tricheur de l’histoire « Abbas Eslami » dont les histoires étaient aussi longues, belles et divertissantes que les films indiens; bien sûr, elles étaient fausses. Mais les rêves ne prennent leur vraie signification que, lorsqu’au bout de 40 jours, soudain un ami vous aborde pour vous demander : « Monsieur ! Monsieur ! Quelle heure est-il ? » pour essayer de réduire, même un tout petit peu, la pesanteur de la cellule.

Et bien sûr, la nuit, nous chantions notre spectacle « maudissant ceux qui vivent à l’étranger » et le top ten de nos spectacles nocturnes ! Mehrdad m’a appris comment profiter de la vie même dans les pires circonstances pendant ces deux semaines. Oui, je rêve encore. C’est comme si tout n’était que rêve. Ca ne pouvait qu’être un rêve quand nous avons fabriqué des cartes à jouer avec des boîtes de dates et que nous avons joué toute la nuit avec les jeunes d’Al-Qaida. C’était sûrement aussi un rêve ; je me souviens avoir joué au jacquet avec les membres officiels d’Al-Qaida si longtemps qu’ils en ont oublié l’heure des prières. J’ai du rêver que pendant 20 à 25 jours, je me trouvais dans un endroit où le chant communiste « l’Internationale » ne voulait plus sauver le genre humain mais internationaliser la prison elle-même. Des Américains, des Arabes, des Afghans, des Kurdes, des Canadiens et des Sri-Lankais étaient à cinq mètres les uns des autres. Comme si je rêvais : « tout va vien… tout va bien…Le seul qui manquait c’était Lénine en personne »

Ca a réellement dû être un rêve ; sur la route du tribunal, un agent m’a suggéré ironiquement de pousser un bouton pour qu’une belle dame apparaisse ; j’étais assez bête pour regarder le bouton 15 secondes avant de comprendre qu’il se moquait de moi. C’est comme si je rêvais d’être en train de marcher dans ma cellule, revoyant tous les souvenirs de ma vie. J’ai tué tous mes regrets. J’ai dû rêver Heshmat [Tabarzadi]. C’est lui qui s’est tenu à mes côtés, solide comme un roc pendant les jours les plus durs de mon emprisonnement. Il souriait à tout ce qu’il y a de sérieux dans la vie et il m’a invité à une partie d’échecs. C’était comme un rêve quand j’ai vu que la porte de la salle commune du bloc 209 était encore plus populaire que tous les chats de Yahoo ! Tout le monde y laissait des messages à tout le monde.

C’est comme si je rêvais encore ; le gardien vient à moi et me dit : « Fouad, ramasse tes affaires. » Après 97 jours, pour la première fois, j’ai eu les larmes aux yeux quand j’ai quitté l’étreinte d’Heshmat, que je lui ai tourné le dos pour le laisser dans son coin.

C’est comme si je rêvais encore ; je passe les portes de la prison et que soudain, les gens commencent à crier de joie et que je suis dans les bras de mon père. Je rêve encore. Ce n’est qu’un rêve. La prison et ses limites m’ont accordé le don de créativité. J’ai encore des rêves dans lesquels la prison n’est qu’un conte.

Je dois d’abord remercier mes chers parents, semblables au soleil et à la mer. Pendant ces 97 jours, ils m’ont donné la lumière et la pureté. J’aimerais aussi remercier tous mes amis dont je ne ferai pas la liste, elle serait trop longue. Ces amis étaient avec moi, en dépit des murs élevés d’Evine, et ils ne m’ont pas oublié. Et bien sûr, je voudrais remercier tous les médias qui ont couvert les nouvelles me concernant de toutes les manières possibles.

Enfin, j’espère que le jour viendra où les rêves de milliers d’êtres humains, parmi les plus beaux enfants du soleil et du vent, se réaliseront. Ce sont eux qui ont eu raison à la fin, là, sur ces collines d’Evine ; l’hiver est finalement terminé, le printemps fleurira.

Mais jusque là, je continuerai de rêver. Bien que les hôtes de la fête ne voient en Evine qu’un rêve, moi et des millions d’autres pousses vertes la voyons comme une réalité indubitable. Nous rêves deviendront réalité et leurs prisons deviendront un conte.
Farzad Kamangar est un enseignant qui a travaillé dans les zones déshéritées du Kurdistan. Il milite pour les droits humains et l’environnement. Il a été arrêté, torturé et condamné à mort lors d’un procès qui a duré moins de trois minutes.

Version anglaise de cette lettre

http://persian2english.com/?p=8258

Farzad Kamangar est un enseignant qui a travaillé dans les zones déshéritées du Kurdistan. Il milite pour les droits humains et l’environnement. Il a été arrêté, torturé et condamné à mort lors d’un procès qui a duré moins de trois minutes.

11 Mars 2010

Version anglaise de cette lettre
11 Mars 2010

http://persian2english.com/?p=8288

Les anges qui rient le lundi

J’écoutais la berceuse de mon camarade de cellule, il chantait pour ses filles Parya et Zahra. Cette berceuse mélancolique était suivie des sanglots d’un autre camarade de cellule, et moi aussi j’éclatais en sanglots. C’est la deuxième fois qu’il est arrêté. La première fois, il avait été condamné à un an de prison et cette fois il va devoir y rester 10 ans. Toute sa joie et son excitation venaient de la visite prévue de ses enfants lundi.

Le jour de la visite, les enfants, sans s’occuper des gens qui les entouraient, devant les yeux de leurs parents, au milieu des sièges de la salle de visite, sautaient partout et marchaient sur les mains pour montrer à leur père leurs progrès en athlétisme.

Le père, fier de ses enfants, souriait. La mère à l’expression innocente, essayait de nier ses peines, sa solitude et ses espoirs. Elle regardait son mari avec joie et l’excitation de ses enfants avec amour.

Eloigné du milieu scolaire depuis des mois, je n’arrêtais pas de regarder Parya et Zahra ; j’en parlerai à ma mère. L’un des moments les plus forts gravés dans mon esprit est ce moment que cette famille a passé réunie.

On aurait dit qu’ils étaient dans le vide, dans les cieux, dans un endroit hors du monde, sans environnement. Ils n’avaient que compassion les uns pour les autres. Ils ne faisaient pas attention aux gardes, aux murs, aux autres prisonniers, ils partageaient leurs sourires. J’espère toujours voir Parya et Zahra en dehors de la prison, j’aurais voulu qu’elles restent une demi-heure de plus. Alors qu’elles disaient au revoir, j’ai essayé de ne pas les regarder pour que ce moment spectaculaire de leur réunion soit gravé à jamais dans mon esprit. Ces belles fillettes se moquaient du monde factice qui entourait leur père par chacun de leurs mouvements et de leurs sauts.

Le destin d’enfants comme Zahra et Parya, c’est l’histoire de notre époque. Cela fait des années qu’elle s’écrit et, chaque jour, d’autres Zahra et Parya rendent visite à leur père. Ou bien une enfant comme Ava s’assoit près de la table des Haft-Sin (décoration sur une table traditionnelle du nouvel an iranien) et chante à son poisson rouge : « Cette année, papa est en prison ! »

J’ai vu Parya et Zahra sur le point de partir, tenant encore la main de leur père. Elles marchaient vers la sortie, le sourire aux lèvres, comme si elles partaient pour la fête foraine.

Moi aussi je voulais leur tenir la main et partager leur joie. Avant que le père ne dise au revoir, je détournais les yeux pour ne pas voir ses yeux pleins de larmes. Et là, j’ai vu ma mère, les yeux pleins de larmes se préparant à se séparer de son fils. En embrassant ma mère, j’ai imité Parya et Zahra.

Quand Parya et Zahra nous rendaient visite, je ne pouvais plus détourner le regard. Les deux anges me faisaient signe de la main. Ce sont des anges, sauf qu’elles n’ont pas d’ailes.

Farzad Kamangar
Prison d’Evine
10 mars 2010