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Nantes. Mort de Steve : l’espoir de « faire parler » le téléphone

Il y a un an, Steve Maia Caniço, 24 ans, périssait noyé la nuit de la Fête de la musique, fête dispersée par la police au terme d’une opération qui fait l’objet de plusieurs informations judiciaires. Sa famille espère une avancée décisive avec la géolocalisation précise du défunt lors de cette intervention controversée.

On savait qu’un homme, tombé dans la Loire, avait tenté de secourir une silhouette masculine se trouvant être selon toute vraisemblance Steve Maia Caniço, le samedi 22 juin 2019, à Nantes, nuit de la Fête de la musique. On savait que cet homme indiquait avoir chuté dans l’eau aux environs de 4 h 30 du matin, concomitamment à l’intervention controversée menée par la police pour disperser la soirée techno orchestrée quai Wilson, site dépourvu de parapet et de barrière de protection.

On savait enfin que cet homme-là affirmait avoir agrippé le malheureux partant à la dérive quelques instants, croyant parvenir à le sauver, avant de le lâcher, à bout de forces – la victime, de par ses battements désespérés, menaçant de l’entraîner par les fonds. L’homme a lâché le malheureux et a aussitôt acquis la certitude que ce dernier avait coulé, criant dans la nuit : Quelqu’un se noie.

Témoignage glaçant

On savait tout cela, rapporté par des témoins, mais on n’avait encore jamais entendu la parole de cet homme. C’est désormais chose faite et le rescapé, Alexis B., livre un témoignage glaçant qui occupe le centre de l’enquête portant sur la mort de Steve Maia Caniço, au cours de cette nuit de la Fête de la musique.

Une vérité se dessine à la lumière de ces déclarations : si la silhouette masculine qu’a tentée de secourir en vain Alexis B. s’avère être Steve Maia Caniço, alors oui, l’opération des forces de l’ordre – qui, cette nuit-là, ont fait usage de 33 grenades lacrymogènes, 10 grenades de désencerclement et de 12 tirs de lanceur de balle de défense après, disent-ils, avoir été pris à partie par des teufeurs – a sans nul doute entraîné la chute dans la Loire du jeune animateur périscolaire de 24 ans.

Ce dernier, qui ne savait pas nager, a péri noyé cette nuit-là ; fatigué, il avait prévenu ses amis, vers 3 heures du matin, qu’il allait se reposer à l’écart de l’agitation, sur le quai. Son corps a seulement été retrouvé le 29 juillet, immergé à proximité de la grue Titan jaune, après que ses proches ont remué ciel et terre et bousculé les autorités pour faire avancer les recherches.

Expertises techniques décisives

Une difficulté se fait jour en termes de preuve : Alexis B. et Steve Maia Caniço ne se connaissaient pas. La scène s’est nouée dans la nuit saturée de gaz lacrymogène, et Alexis B. n’est pas en mesure d’identifier avec certitude la victime.

Y a-t-il un moyen de lever les doutes qui pèsent sur l’affaire ? Oui, semble croire le juge rennais David Bénichou, en charge d’instruire l’information judiciaire ouverte contre X pour homicide involontaire dans le cadre de l’enquête relative à la mort de Steve Maia Caniço.

Le magistrat a en effet diligenté de nouvelles expertises techniques, dont les conclusions sont attendues avant la fin du mois, ainsi que le révèle à Presse Océan Johanna Maia Caniço, la sœur de Steve. En l’occurrence, il s’agit de « faire parler » le téléphone portable du défunt, remis en état de marche.

L’objectif, c’est d’obtenir une géolocalisation précise de la position de Steve au moment du drame, précise-t-elle. S’il est établi qu’au moment des tirs de grenades lacrymogènes, mon frère se trouvait tout près du fleuve, alors il sera difficile de contester l’existence d’un lien de causalité entre l’intervention des forces de l’ordre et la chute qui a entraîné sa mort.

Aucune mise en examen à ce stade

Les proches de Steve Maia Caniço considèrent qu’a minima la police a violé une obligation de sécurité en faisant usage de grenades lacrymogènes en grand nombre dans la nuit, en bordure d’un fleuve et d’un quai non protégé, et en dehors d’une opération de maintien de l’ordre, énonce Cécile de Oliveira, avocate de la famille, qui précise : Ils attendent le retour d’éléments d’enquête pour analyser la définition juridique qui sera la plus adaptée, en l’occurrence : soit des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, qualification qui est un crime, soit l’homicide involontaire, qui est un délit.

Aucune mise en examen n’est pour l’heure notifiée dans le cadre des différentes enquêtes lancées. Sollicités, le ministère de l’Intérieur, tout comme la direction départementale de la sécurité publique, se refusent à tout commentaire.

Trois informations judiciaires ouvertes

Une information judiciaire contre X du chef d’homicide involontaire est ouverte dans le cadre de l’enquête portant sur la mort de Steve Maia Caniço, la nuit de la Fête de la musique à Nantes en juin dernier.

L’enquête est dépaysée à Rennes et confiée au juge David Bénichou. Lequel a en charge d’instruire, depuis fin mars, deux autres informations judiciaires contre X relatives à l’opération policière menée pour disperser la soirée du quai Wilson : l’une vise des qualifications de « blessures involontaires, non-assistance à personne en danger, mise en danger de la vie d’autrui et violences volontaires sans ITT par personne dépositaire de l’autorité publique » et fait suite aux 89 plaintes de participants à la fête ; l’autre a trait à des violences sur les policiers.

Commissaire muté

En septembre 2019, l’Inspection générale de l’administration a pointé un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police menée par le commissaire Grégoire Chassaing, muté sur ordre du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner.

Et ce, d’autant que la mairie de Nantes et la préfecture disent ne pas avoir fixé d’horaire limite de fête. Ce soir-là, on était dans le cadre d’une mission de sécurisation de la Fête de la musique et non dans une opération de maintien de l’ordre. Il n’y avait aucune urgence à faire cesser le son,énonce Philippe Boussion, secrétaire régional du syndicat Unité SGP Police FO. Est-ce qu’à l’origine on était face à une population hostile ? Non, il s’agissait de jeunes qui s’amusaient. On n’a pas tenu compte de la configuration du lieu, il y aurait pu y avoir d’autres morts ».

Le Défenseur des Droits s’est aussi saisi du dossier afin « de comprendre et d’analyser les circonstances de l’intervention des forces de l’ordre et du lien éventuel entre celle-ci et la disparition » de Steve.

 

Presse océan le 12/06/2020 à 18h33 : https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nantes-mort-de-steve-l-espoir-de-faire-parler-le-telephone-b34105e6-aa60-11ea-a00a-1d2e41588cbb