L’action du 6 mai 2023 sur le port de Douarnenez lors de la venue du Silver Wind déchaîne depuis les passions, au bistrot, à la mairie et surtout sur les réseaux sociaux. Si ces « médias » sont à prendre avec des pincettes quant à leurs flots de paroles décomplexées, ils sont aussi un signe clair à ne pas éluder. Toutes ces réactions, positives comme négatives, sont pour nous la preuve que ce sujet de société dans une petite ville côtière comme Douarnenez aurait dû faire l’objet d’un débat au sein de la population avant même d’être imposé à tous, d’autant plus quand des deniers publics sont investis dans un projet aussi clivant. A défaut de débat mené par les mairies successives sur le sujet, cette matinée de mobilisation, et le blocage des touristes sur le port, fut une réelle réussite à ce niveau. Plus possibilité d’éluder ce phénomène. Certains parlent même de « victoire ». Mais avant d’employer des grands mots, remettons un peu les pieds sur terre, prenons un peu de recul et revenons aux sources.

L’industrie de la croisière sauvera-t-elle les petits commerces de Douarnenez ?

Malgré la crise économique et l’augmentation des charges pour les entreprises et les ménages, gardons les yeux ouverts. Est-ce qu’un croisiériste, qui a les moyens de se payer plus de 7000€ une semaine de voyage all inclusive à l’autre bout du monde en navire de luxe, va venir dépenser 4€ pour acheter des pâtisseries, aussi bonnes soient-elles, dans les boutiques de Douarnenez. Il en va de même avec les cartes postales et souvenirs. Cela représente un revenu extrêmement faible par rapport à ce que dépense la population locale dans ces échoppes au quotidien. Les restaurants et bars du port le reconnaissent d’ailleurs, s’ils vendent 3 cafés à chaque navire en escale, c’est un succès. D’autres villes comme Barcelone, Marseille ou même de taille plus similaire à Douarnenez, et qui ont fait ce choix stratégique il y a quelques années en reviennent ou se mordent aujourd’hui les doigts, car l’économie des centres-villes ne sera jamais sauvée par ce genre d’industrie de la consommation…Au mieux ce sera un pansement qui ne tiendra pas longtemps, mais plus vraisemblablement un suppositoire pour mieux accepter de voir les centres-villes se muséifier et les habitants vivre du folklore passé de leur bourgade. Au-delà de toutes ces considérations, cela pose la question du modèle de société que nous voulons pour nos villes à l’avenir. Des logements inaccessibles aux populations qui vivent à l’année les bourgs, des commerces et restaurants fermés en hiver et du travail saisonnier, donc précaire, des loisirs uniquement à destination de populations de touristes…

Ces « petits bateaux » de croisière sont-ils moins polluants ?

Sans se perdre dans des considérations techniques, dont nous ne sommes pas spécialistes, en effet, ces bateaux, proportionnellement à d’autres sont de fait moins polluants. Mais restent-t-il légitimes pour autant. Par ailleurs, là n’est pas vraiment le problème. Le patron de l’entreprise BLB Shorex and Cruises, qui fanfaronne depuis notre action du 6 mai dans les médias, annonçant à qui veut l’entendre (sans vérifier) que ces bateaux sont « propres » et propriétés de « petites compagnies » semble bien mal informé ou alors un savant menteur. En effet, pour ne parler que du Silver Wind passé le 6 mai, comme le Silver Cloud qui arrive à la fin du mois, ces deux bateaux sont en effet de relatifs « petits bateaux » et donc potentiellement moins polluant qu’un gigantissime « Wonder of the Seas » (9000 personnes à bord). Mais pas de chance, SilverSea Cruises, à qui appartient ces petits navires, n’est qu’une filiale de luxe de la multinationale Royal Caribbean Group, propriétaire d’une vingtaine de bateaux de croisière, dont le « Wonder of the Seas ». C’est aussi le cas du Hanseatic Spirit qui était prévu à Douarnenez le 21 mai, pour finalement être dérouté vers Brest, de peur de nouvelles actions. Ce bateau est armé par la compagnie allemande Hapag-Lloyd, elle aussi filiale de la Royal Caribbean Group. Cette multinationale représente 20% des navires de croisière en circulation actuellement sur les océans du globe. Cette compagnie est-elle donc un exemple de protection de l’environnement ? Si tant est qu’elle en ait quelque chose à faire, soyons clairs, leur but est de rentabiliser ce secteur porteur et peu réglementé en exploitant l’environnement marin partout où il y en a, aux pôles, aux tropiques, à l’équateur ou chez nous. Bref ils sont plus adeptes de l’évasion fiscale que de l’altruisme environnemental. Par ailleurs, évoquer la question environnementale ne doit pas éluder la question sociale, qui de fait sont intimement liées. La Royal Caribbean Group, comme la Carnival Corporation, le leader mondial du secteur et qui évidemment a le même fonctionnement fiscal que son concurrent, a été épinglé par de nombreuses organisations américaines et internationales durant la crise du covid, parce qu’elle a confiné son personnel embarqué le plus précaire dans des conditions extrêmement lamentables et a empêché certain.es navigant.es de rejoindre leur famille. Certain.es sont resté.es cloîtré.es sur des bateaux mouillés au large des côtes, sans pouvoir rentrer en contact avec leur famille. De nombreuses mutineries, dépressions et suicidesii ont eu lieu chez le personnel dans les bateaux de ces compagnies, comme probablement chez d’autres. Alors oui, il n’y a pas que ces entreprises. Hurtigruten, qui fait des stops occasionnellement à Douarnenez, est une entreprise semi publique Norvégienne, mais est-elle plus « verte » pour autant ? Difficile à dire, mais de notre côté, nous considérons qu’il n’y a pas de croisière propre, ni environnementalement ni socialement.

A propos de nos actions de ces dernières semaines.

Pour rappel, lors de l’arrivée du Silver Wind le 6 mai dernier, un certain nombre de passagers a pu débarquer pour visiter Douarnenez à pied, et d’autres sont montés dans des cars en direction de villes comme Locronan ou Quimper. Un autre groupe, d’une petite quinzaine, a lui été empêché de débarquer en ville par notre action de casserolade, qui s’est transformée, dans l’improvisation collective, en blocage. Les conséquences, outre l’euphorie des manifestants, furent un déchainement de réactions diverses. Les plus attendues étant celles, évidemment véhémentes, de l’association des commerçants de la commune, ainsi que celles toutes aussi méprisantes de Jocelyne Poitevin, la maire. Plus imprévu, nous avons eu le grand plaisir de découvrir que notre action avait eu un retentissement plus large, la CCI de Quimper se targuant, dans un communiquéiii aussi paternaliste que scandaleux, qu’il n’est pas bien « d’opposer préservation de l’environnement et développement économique », tout en demandant « aux pouvoirs publics de veiller à ce que les désordres constatés ne se reproduisent pas ». Encore plus étonnant, l’Association Internationale des Compagnies de Croisière (CLIA), plus grande association à but non lucratif de l’Industrie de la Croisière en Amérique du Nord déplore « des attaques injustes ». Nous leur retournons bien évidemment ce compliment au sujet des atteintes environnementales, sociétales, fiscales, humaines et économiques que provoque leurs business !

Pas une victoire, mais une bien belle réussite

L’arrivée de l’Hanseatic Spirit, évoquée un peu plus tôt, s’annonçait de fait déjà plus compliquée. Pas d’effet de surprise de notre côté, pas de possibilité de sécuriser le port à moindre coût médiatique du côté des autorités. Nous avions prévu une action différente, mais nous n’avons pas pu la mettre en place car la compagnie nous a devancé en annulant son escale prévue le dimanche 21 mai dans la baie. Une seconde victoire, très symbolique, montrant dans un premier temps à ceux qui en douteraient encore, qu’une action coup de poing est bien plus efficace que des actions juridiques et actions institutionnelles (pétitions par exemple) lorsqu’il s’agit de toucher une industrie vivant sur son image. D’autre part, cela montre aussi qu’en refusant de prendre en compte les avis très clivés de la population dans son entièreté (et non juste les avis favorables), la mairie a coupé la branche sur laquelle elle était assise… Nous ne clivons pas plus la population qu’elle ne l’était déjà !

Effet boule de neige

Soyons honnêtes, si nous ne sommes pas promoteurs de cette industrie dans la baie de Douarnenez, nous ne le sommes pas non plus sur les autres façades maritimes du monde. Le fait que l’escale de l’Hanseatic Spirit soit transférée à Brest ne nous réjouissait pas plus. Nous avons donc activé notre réseau afin de voir si d’autres collectifs sur Brest seraient partants pour organiser de leur côté un événement chez eux. Youth for Climate et Extinction Rebellion Brest ont répondu favorablement. Une quinzaine de personnes se sont donc réunies sur le port de Brest le dimanche 21 mai en après-midi pour une casserolade lors du retour des croisiériste sur leur navire. Comme un second paquebot, bien plus grand et bien moins guindé, de Aida Aura arrivait au port à peu près au même moment, les croisiéristes de ce second bateau eurent droit aussi au concert de casseroles et à un blocage partiel et rapide des cars qui les emmènent en ville. Cette petite action brestoise à laquelle nous nous sommes bien-sûr joints, est la preuve que l’effet boule de neige de notre action du 6 mai est fortement possible. D’ailleurs, parmi les nombreux témoignages sympathiques que nous avons reçus, des membres d’un collectif ajaccien contre les croisières nous rapportaient que la réussite de notre action leur donnait bien des idées pour se faire entendre ! De notre côté, le prochain bateau à venir pointera son nez le 31 mai.

Pourquoi nous luttons contre l’industrie de la croisière, de luxe comme plus populaire ?

Outre les questions environnementales citées juste avant, nous ne voulons pas d’un modèle de société capitaliste basé sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme et de son lot de rapports hiérarchiques. Les politiciens au pouvoir, comme les petits et grands patrons qui veulent nous faire accepter tout et n’importe quoi sous prétexte de sauver économiquement nos villes, le tout en nous vendant un bonheur collectif en conséquence sont de purs menteurs. Ils voient d’abord leurs intérêts économiques personnels, et ceux de leurs classes. Nos vies ne valent rien à leurs yeux. Le mal logement, la précarité, les travaux pénibles et destructeurs de nos corps, la répression des voix dissonantes, comme tant d’autres sujets de société, nous assomment chaque jour un peu plus. Les croisiéristes, aussi sympathiques soient-ils pour certains, ne viennent pas améliorer notre quotidien, ils viennent nous consommer. Nous ne souhaitons pas non plus que nos cultures et modes de vies deviennent plus qu’ils ne le sont déjà des folklores financiarisés que l’on vient entretenir artificiellement lors des beaux jours… Nous vivons, consommons, fêtons, discutons, rencontrons, tombons amoureux dans les centres-villes. La mainmise sur nos vies par certains choix imposés à tous, en toute impunité, nous n’en voulons pas.

C’est pour ces raisons et bien d’autres que nous sommes contre l’industrie de la croisière et le monde qui va avec, et ce, chez nous comme chez les autres !

Collectif Sémaphore Douarnenez

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source : https://oclibertaire.lautre.net/spip.php?article3811