Les quelques brèches qui existaient où le droit au logement prévalait sur le droit de propriété, à la fois dans la loi et dans l’application, sont attaquées à coup de réforme et de pelleteuse. Récit d’un squat attaqué.

Actuellement, une certaine loi Kasbarian est débattue par les parlementaires. Surfant sur le rabâchage médiatique concernant les squats, avec l’image du pauvre propriétaire qui se voit déposséder de son toit, elle criminalise encore plus les squatteurs et squatteuses tout en réduisant les cas dans lesquels une procédure en justice est nécessaire pour expulser. Il est important de rappeler que le squat de la résidence principale ou secondaire est déjà puni par la loi à 1 an de prison, à 30 000€ d’amende et à une expulsion sans jugement en 48h.

De manière beaucoup plus discrète, cette loi vise aussi largement les locataires en réduisant très largement les délais avant une mise à la rue express par les flics. De manière plus générale, cette loi est une attaque contre toutes les personnes qui galèrent à se loger correctement : Les locataires dont le bail a été résilié (par exemple pour retard de loyer ou de charge), les personnes sans bail (hébergées, victimes de marchand de sommeil, victimes de leur conjoint.es..), les sans-logis, les squatteur·euses…

Dans un contexte où les propriétaires sont toujours présentés comme victimes, on a trouvé bon de raconter un peu notre histoire, nous squatteuses et squatteurs qui faisons face à la police, à la justice et aux proprios pour essayer de se loger dans de bonnes conditions.

Cette histoire qu’on va vous raconter et qu’on a vécu il y a quelques semaines, bien que particulièrement lunaire, n’est pas la seule dans son genre. Les propriétaires qui envoient des gros bras pour dégager les indésirables sont monnaie courante – et parfois les flics recommandent de faire ça quand ce n’est pas directement eux qui interviennent pour permettre au proprio de récupérer son bien. Par exemple, on peu parler des cas où les flics placent en garde a vue les habitant.es dès l’ouverture d’un squat avec des motifs bidons et hors sujets pour permettre au propriétaire de retrouver son bien vide de tout occupants.

Pourtant on en entend pas parler, on entend pas parler de personnes qui ont recours à la menace et à la violence physique (allant jusqu’à blesser des gens, voir manquer de faire pire) pour en expulser d’autres qui cherchaient à vivre dans un bâtiment vide.

Les quelques brèches qui existaient où le droit au logement prévalait sur le droit de propriété, à la fois dans la loi et dans l’application, sont attaquées à coup de réforme et de pelleteuse. Les parlementaires et autres Kasbarian sont probablement plus proche des multipropriéraires que des squatteuses ou locataires, ils défendent donc leur intérêts de dominants : logique. Dans cette société où le travail salarié est sacré par-dessus tout (par-dessus son utilité, par-dessus ce qu’il fait aux corps et aux esprits des gens qui le font…), où le temps et l’espace se doivent d’être valorisés à tout prix, des gens qui reprennent des lieux vides pour les investir de leur envie, de leur repos et de leur solidarité ça fait un peu tâche.

Tout ça pour dire que même sans ce nouveau projet de loi de merde, les cas d’expulsion extra légale et violentes faites par les proprio ou par les flics sont monnaie courante. Une grande partie des bâtiments vides ne sont déjà plus “légalement” occupable du fait du durcissement de la législation ces dernières année. Pourtant les espaces laissés délibérément vacant sont toujours plus nombreux (plus de 3 millions de logement sont vides aujourd’hui en France), alors même que y’a toujours des centaines de milliers de personnes à la rue, des millions de mal logées. La situation va en s’aggravant, on écrit cet article pour celles et ceux qui se sentent plus proches des squatteurs, squatteuses et locataires précaires que des multipropriétaires (rappelons que les ménages multipropriétaires possèdent les deux tiers des logements détenus par des particuliers).

Pour le contexte, nous avons investi mi-décembre une maison dans le bas-montreuil (93) laissée vide depuis des mois et en l’attente de démolition. Pour la petite histoire, c’est un type qui a racheté il y a plus d’un an cette maison en parfait état avec un jardin. Pour lui, les maisons c’est pas tellement fait pour être habitées, c’est plutôt un moyen de se faire du fric. Particulièrement dans le contexte du bas-montreuil qui est un territoire très attarctif du fait de sa proximité avec Paris, racheter une petite maison avec jardin, ça peut être particulièrement rentable. Son projet à lui c’est pas de résoudre la crise du logement, ô non! c’est plutôt de tout raser pour construire un immeuble de 5 étages pour les cadres sup parisien, avec pizzeria au rez-de-chaussé et rooftop.

Nous quand on a vu cette maison vide avec le projet d’être détruite, on s’est dit: Banco ! cette maison c’est pour nous ! En squattant ici on veut lutter contre un processus présent dans toutes les métropoles françaises et particulièrement vorace à Montreuil : la gentrification. C’est l’augmentation des loyers, les personnes précaires repoussées de plus en plus loin des centres-villes, le remplacement des commerces de proximités accessibles à tous et a toutes par des enseignes bio, bobo et hors de prix, c’est la création d’immeubles pour riches, c’est l’aseptisation des places, l’augmentation de la présence policière et de la surveillance. C’est la fin de la vie de quartier, du collectif au profit de modes de vie bourgeois et marchands. Le squat qu’on a ouvert est une façon pour nous de lutter contre ces dynamiques. Il freine un projet immobilier qui prévoit la destruction de la maison actuelle (pourtant parfaitement habitable) et de son jardin au profit d’un immeuble de 5 étages avec toit-terrasse et local commercial au rez-de-chaussée dont les logements ne seront bien sûr accessibles qu’aux plus riches.

Face à tout ça on cherche à créer, avec nos moyens, d’autres modes de vie basés sur la solidarité, loin des rapports marchands. A terme ou voudrait que notre maison soit un espace de rencontre, d’entraide, de discussion. On voudrait pouvoir y organiser des cantines, des projections, des débats, des réunions, de l’hébergement, un marché gratuit et plein d’autres belles choses. Tout restait à imaginer, tout était possible.

Mais comme on pouvait s’en douter, ça a pas plu à tout le monde.

Quand on s’est présenté.es aux voisin·es et qu’on a affiché publiquement qu’on occupait les lieux, la police est venue et a pris nos preuves d’occupation, celles qui attestent que nous vivons là depuis plus de 48h (ce qui implique que nous ne pouvions plus être expulsées sans passer devant un juge car selon la législation, les 48h d’occupation font du bâtiment notre domicile principal). Le soir-même, la propriétaire est venue nous voir à son tour, la discussion a duré plusieurs heures pendant lesquelles certain·es voisin·es ont pu la mettre face à l’aberration de ce projet immobilier tout en témoignant de soutien à notre égard.

A priori à partir de ce moment la, le proprio il a plus tellement d’autres choix que de contacter un huissier de justice pour qu’il constate l’occupation, ensuite saisir le tribunal et lancer une procédure contradictoire d’expulsion (ca veut dire que nous on peut quand même venir aux audiences pour se défendre). Cette procédure peut prendre quelques mois voir quelques années si on a de la chance. A la fin, le proprio récupère toujours son bien (1789, révolution française, droit de propriété sacré, tu connais!). Il aura juste perdu du temps, du temps pendant lequel nous on aura pu mener à bien toutes nos envies !

Mais voila notre proprio il avait pas le time, il vouait trop détruire cette maison. Du coup un matin au réveil, il a débarqué avec des gens qu’il avait embauché pour détruire directement la maison (notamment la société EASY BENNES) , sans autorisation ni rien ! au talent quoi . Plus de maison, plus de squatteur.euses. plus de squatteur.eurses, plus de procédure, Bénéf pour lui !

Suivant les ordres du proprio, un type a d’abord essayé de meuler le cadenas du portail puis a conduit une pelleteuse pour essayer de détruire notre maison. Et c’est ce qu’il a failli faire, nous avec. Il a enfoncé le portail et détruit le mur de la cour alors que des habitant.es étaient juste derrière. La pelleteuse a ensuite commencé à tourner sur elle-même manquant de shooter des personnes au passage. Cette scène irréelle nous a profondément choqué, nous avons eu très peur pour nous, nos ami·es, notre squat. Pour autant, grâce aux personnes sur place venues soutenir, ils ont pas pu aller au bout, la maison tient toujours !

La police, appelée par des voisin·es, est arrivée au bout d’une quinzaine de minutes. Après bien avoir parlé avec le proprio pendant 30 minutes, les flics nous arrêtent et on est placé.es en garde à vue pour violences en réunion avec arme. Ce n’est qu’après que des voisines et camarades aient mit la pression aux keufs qu’iels ont finalement aussi embarqué le proprio et son employé. Rien d’étonnant : la police est là pour faire respecter un certain ordre et elle vise certaines personnes dans ce but. En l’occurrence, elle fait respecter la propriété privée, pas le droit au logement, c’est son rôle et on pense qu’il faut partir de là. Nous étions huit. Nous avons été enfermés pendant près de trois jours. Après une garde à vue plus qu’éprouvante et un défèrement au tribunal pour voir une juge, on a été convoquées à notre procès qui se tiendra en juin 2023. En attente du procès on a eu un contrôle judiciaire qui nous interdit de se voir entre nous et de se rendre sur le lieu des faits, c’est à dire notre maison. (Mais bonne nouvelle !On a fait appel et après 1 mois le CJ a été levé pour vice de procédure).

Pendant notre GAV, on a pas porté plainte contre le propriétaire ou contre le conducteur de la pelleteuse, on a pas voulu non plus les charger dans des potentielles déclarations parce qu’on est contre l’enfermement. Donc c’est nous que la machine judiciaire a réprimé, parce qu’on a pas joué son jeu. Le prorpio et l’ouvrier on monté de toute pièce la version la plus incriminante possible et sont donc sortis sans suite au bout de quelques heures de GAV.

A peine le temps de se remettre de cette situation plus qu’éprouvante, on a apprit que le propriétaire, non-content de manquer de nous pelleter la gueule, a lancé une procédure selon l’article 38 de la loi Dalo. Fait en 2007, elle a pour but à la base de garantir le fait que les occupant.es sans droit ni titre d’une résidence principale puissent être expulsé.es directement, sans passer devant un.e juge. En 2021, son application s’est énormément élargit en passant de domicile principal à secondaire et occasionnel suivant le critère des meubles. En gros, si une maison est habitable en l’état (c’est à dire dans la pratique si une maison est meublée) et qu’elle appartient à un particulier, les squatteur.euses peuvent être expulsés 48h après que le dossier soit confié à la préfecture. Une expulsion peu donc avoir lieu même dans les cas où un batiment est inoccupé depuis 3 ans ou qu’il y ai un projet de démolition dessus. L’application du 38 Dalo est encore assez flou, on a pas encore assez de retour mais ce qui est sur c’est que c’est une une arme de plus dans les mains des proprios pour récupérer au plus vite leur bien et mettre plus rapidement les gens à la rue.

La maison dans laquelle on s’est installée était en l’occurrence vide de meuble – logique quand on veut détruire – donc pas censé tomber sous le coup de cette loi. Oui, le propriétaire ment très tranquillement et y’a de forte chance qu’il soit cru (ou que la préfecture juge que c’est quand même bien pratique de le croire).

Sauf que la procédure est pas contradictoire (ca veut dire qu’il n’y a pas d’audience où nous on peut venir avec des preuves comme quoi la maison était bien vide) et que seule la préfecture est saisit.

C’est vrai que le proprio il a les flics et la justice de son côté. Mais il l’air pourtant bien seul et bien triste. Même si on perd cette maison, rien pourra nous enlever les souvenirs de ces dernières semaines où tout pleins de personnes, des voisin.nes comme des copain.es squatteur.euses, sont passé.es nous voir et nous apporter leur soutien.

Dans tous les cas, on va continuer à s’organiser et on se défendra. Notre plus belle victoire sera la vie, les solidarités et résistances que cette maison permettra.

On espère ouvrir grand ses portes bientôt !

Petites nouvelles: nous sommes en mars, la maison tient toujours et nous continuons à nous mobiliser contre la loi Kasbarian qui passera devant l’assemblée nationale courant mars. Notre histoire n’est qu’un apercu de ce qu’il pourra se passer pour les galérien.es de logement si cette loi passe.

Pour plus d’infos sur la mobilisation contre le projet de loi Kasbarian : https://www.selogernestpasuncrime.org/

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source : https://blogs.mediapart.fr/assemblee-mal-logee/blog/280223/pelleteuse-contre-squatteuses