Quinze ans avant les « acquittés d’Outreau », Jean Groix.
Au fil des auditions des «innocents d’Outreau» devant la commission d’enquête parlementaire, les dysfonctionnements de l’institution judiciaire française sont dévoilés publiquement et cela à tous les niveaux où elle intervient: enquêtes, instruction, incarcération.
Comme à son habitude, dans les affaires criminelles, la presse impose ses thèses à partir de ses sources habituelles proches de l’enquête, la police. Cette médiatisation a souvent des conséquences désastreuses pour les acteurs suspectés, mais aussi pour la recherche de la vérité.
Aujourd’hui, force est de constater une nouvelle fois que des similitudes existent dans les dysfonctionnements du système judiciaire entre l’affaire d’Outreau et une affaire qui a frappé de plein fouet le milieu nationaliste breton au début des années 1990 : l’affaire Jean Groix.
Celle-ci a débuté le 29 novembre 1990 avec l’arrestation à Rezé d’un militant breton dans le cadre d’une enquête sur le meurtre et le viol d’une fillette de cette ville, Natacha Danais. Au cours d’une perquisition au domicile de Jean Groix les enquêteurs découvrent trois militants basques présentés immédiatement par la police comme des membres d ‘E T A.
Voila les commentaires que l’on a pu lire dans les colonnes de Presse-océan et de Ouest- France dans leur édition des 1er et 2 décembre 1990

“Natacha: un faux suspect et des vrais terroristes – l’insolite découverte de l’enquête sur la mort de Natacha.”

Les commentaires qui suivent ce titre sont pleins d’enseignement sur l’orientation que donne les média sur cette affaire.
«Jeudi, les enquêteurs sur l’assassinat de la petite Natacha Danais, cette rezéenne de 13 ans dont on a retrouvé le corps samedi dernier sur une plage de Vendée. » «Or, sur leur liste de suspects il y avait le nom de ce vétérinaire d’une quarantaine d’années Jean Groix, récemment établi à Rezé. Le cabinet est situé juste en face du domicile de Natacha et le médecin possède deux fourgonnettes blanches, comme celles que la sœur de Natacha a cru apercevoir le jour de la disparition. Bien qu’il aurait été déjà été entendu, de nouveaux éléments auraient justifié la perquisition de jeudi. » ………. «Les enquêteurs recherchent le manteau violet qui n’a pas été retrouvé et tout autre indice”»………. «Et quel rapport avec l’assassinat de Natacha Danais? Aucun manifestement. On a pu croire, dans un premier temps, que la jeune voisine du vétérinaire avait percé à jour son secret. Mais les terroristes seraient-ils allés jusqu’à l’éliminer physiquement? »…… «Le vétérinaire qui faisait un suspect en puissance. »
Fait sans doute aggravant, il connaissait bien la fillette. « Il l’aidait à faire ses devoirs de mathématiques quand elle en avait besoin. »
Ceci n’est qu’un aperçu de ce qui a fait la une des journaux en ce début du mois de décembre 1990.
Voilà donc une affaire qui démarre sur les chapeaux de roue, la presse est prête à juger avant la fin de la garde à vue avec des détails qui ne peuvent venir que de ses sources habituelles. A ce stade, il n’y a que la police qui puisse les communiquer. Plusieurs de ses services suivent cette affaire: la police judiciaire et la sûreté urbaine de Nantes et la 6ème DCPJ, ancêtre de la DNAT.
Après plusieurs jours de vérification, les enquêteurs dissocient les deux affaires. La presse se calme, mais le mal est fait : « il n’y a pas de fumée sans feu », pour beaucoup le doute sur l’implication du militant dans le meurtre subsistera.

Emprisonné exclusivement pour raison politique : avoir hébergé des militants basques

A la fin de la garde à vue, Jean Groix est transféré à Paris en compagnie des trois militants basques qu’il avait hébergé pour être présenté à un juge antiterroriste et incarcéré en région parisienne. Jean Groix, militant politique, était capable d’assumer ses choix politiques d’aide aux Basques, mais était t-il capable de supporter les accusations qui avaient été portées contre lui pour ce qui est du meurtre de sa voisine? C’est dans cet état d’esprit qu’il est arrivé à la prison de Fresnes.

Parmi les témoignages des acquittés d’Outreau, celui de Daniel Legrand( fils) retiendra notre attention. Il raconte avec ses mots son arrivée en détention avec l’étiquette que le juge lui a épinglé sur le dos: «pointeur» ; c’est le terme employé en prison pour désigner un violeur et, dans le cas présent, le violeur d’enfant. Il n’y a pas pire statut en prison, toutes les humiliations sont permises de la part de ses codétenus, avec dans la majorité des cas la complicité des surveillants. A titre d’exemple, il nous dit comment « l’auxiliaire », c’est le nom donné au détenu qui sert les repas aux autres détenus, lui crache dans sa nourriture avant de la lui servir, et cela sous le regard du gardien. Au début, il ne mange rien puis, affamé, il retire les crachats de son assiette et mange le reste. Il nous dit qu’après une semaine d’humiliations permanentes, il doit être placé à l’isolement complet pour être protégé. Son père nous raconte comment après avoir été tabassé et brûlé avec de l’eau de javel dans les douches, il ne sortira plus de sa cellule pendant vingt-quatre mois. Insupportable d’arriver à cette situation pour un crime que l’on n’a pas commis.
Quand le militant Jean Groix est arrivé en détention, il s’est retrouvé dans cette situation. En prison, milieu très fermé par excellence, les nouvelles, vraies ou fausses, les rumeurs se propagent très vite et le personnel de l’administration pénitentiaire n’est pas là pour y remédier, bien au contraire.
Le 29 janvier 1991, Jean Groix était retrouvé sans vie dans sa cellule de la prison de Fresnes, laissant derrière lui une femme et deux enfants et un mouvement breton désemparé d’avoir perdu un des siens dans ces conditions. Le soutien que nous lui devions n’a sans doute pas été à la hauteur de son désarroi. Ce n’était pas seulement un militant politique, c’était aussi un homme avec toutes les faiblesses que cela comporte psychologiquement, surtout dans le contexte qu’on lui a imposé.
Cette douloureuse affaire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur le vice de certains policiers antiterroristes.
Au mois de mai 1992, à une semaine d’intervalle, deux séries d’arrestation de militants ayant hébergé des Basques ont lieu en Bretagne. Pendant les gardes à vue, des policiers se sont employés à salir la mémoire de Jean Groix pour faire pression sur les personnes interrogées. Les policiers affirmaient qu’ils étaient toujours persuadés de la culpabilité de Jean Groix dans l’assassinat de Natacha. Non seulement ils l’affirmaient, mais c’était à grand renfort d’exemples aussi sordides les uns et les autres. «Jean Groix avait lavé sa camionnette à grande eau pour faire disparaître le sang après le meurtre» ou encore «il avait gardé le cadavre pendant plusieurs jours après le meurtre dans un congélateur à son cabinet médical. »«Les gens qui hébergent des Basques comme vous sont des assassins», «Le vétérinaire de Rezé prenait des stagiaires très jeunes qu’il harcelait sexuellement» «c’était un pervers sexuel, c’est pour cela que sa femme l’avait quitté. Le tout bien sûr en exhibant les photos de la fillette sans vie. Plusieurs personnes sont sorties de leur garde à vue en se posant de nombreuses questions sur la part de vérité dans cette histoire, la pression supportée pendant la garde à vue n’aidant pas à la sérénité de la réflexion.
Aujourd’hui, les déclarations détaillées de la compagne de Michel Fourniret sur l’enlèvement de Natacha ne laissent plus aucun doute sur l’innocence de Jean Groix dans cette affaire. Pendant combien d’années le doute a-t-il été délibérément entretenu par des personnes possédant autorité en la matière ?
Quel média a jugé bon de réhabiliter Jean Groix ? Quel média décidera un jour de consacrer autant de lignes et de conviction à affirmer l’innocence d’un individu qu’il en avait pu faire pour alimenter la suspicion lors de son arrestation?

Le 31 janvier 2006 M. Herjean