Pour un NON sans complexe, une multitude de plan « B », « C », « D »…

Une harmonisation de la répression contre les sans-papiers, des programmes scolaires orientés par des intérêts privés, la reprise massive des essais OGM, une concurrence public/privé dans les « services économiques d’intérêt général » (ex-services publics), des manœuvres policières et un fichier européen unique sans aucun contre-pouvoir… Voici un aperçu très incomplet des suites d’une possible victoire du « oui » le dimanche 29 mai. A chacun d’en peser les conséquences, d’en peser les coûts humains et d’en tirer les conclusions, en son âme et conscience, si ce n’est pas déjà fait…

Rien que l’article III-166 qui ouvre les « services publics » à la concurrence fait que le « Non » à la Constitution sera mérité. Si demain le patronat obtient un poids accru dans les programmes scolaires (et para-scolaires) nous pouvons tout arrêter pour (re)partir à la pêche (s’il reste des poissons). Lorsque les capitalistes veulent formater les consciences dès le plus jeune âge il n’y aucun mal à leur faire plus de mal. Le patronat européen vote « oui », Berlusconi aussi : ce n’est pas un hasard.

Le vote « non » est aujourd’hui perçu comme une percée de la gauche radicale par les médias. En cela, et bien malgré eux, ils nous aident et ce vote, au cas où il soit majoritaire, ne sera certes qu’une victoire symbolique… mais sera déjà ça. Un nombre « conséquent » de personnes dans les mouvement sociaux ne se déplacent plus pour aller voter : pourtant le 29 mai il ne s’agit pas de donner un blanc seing à des représentants, mais de faire un choix entre deux possibilités, et ce choix aura des conséquences immédiates.

Il reste 10 jours avant le vote concernant le rejet ou l’adoption de la Constitution européenne.
Les médias et les politiques en faveur du « Oui » commencent à parler des conséquences du « Non », mais celui-ci n’est en aucun cas acquis et loin de là. Jacques Chirac l’a fait remarqué, à juste titre, le scrutin est serré et lorsque les effets du « Lundi de Pentecôte » vont s’estomper, le Oui peut très bien doubler dans la dernière ligne droite.

La victoire du « Oui » est toujours possible grâce à une autre donnée : la machine médiatique en surchauffe, qui jette aussi toute sa puissance de feu dans la bataille. En témoigne le « Libération » (des capitaux) de ce vendredi 20 mai, dont les 5 premières pages s’échinent à tenter de démontrer que si le « Non » l’emporte aucune politique alternative ne seraIT possible. Les chaînes de télévision et les radios commerciales, à l’exception de quelques résistances notables à Radio France ou FT (un salut aux journalistes dissident-e-s qui sauvent l’honneur de leur profession) font aussi campagne pour le Oui, dans le choix des reportages ou de la porte grande ouverte aux « pro-Oui » des autres pays d’Europe, afin de contourner les quotas du CSA, alors que l’ensemble de la gauche radicale, en dehors des ex-communistes italiens (mais sont-ils « radicaux » ?), appelle à voter NON.

Une telle machine de propagandes ne peut que laisser des traces, notamment lorsqu’il s’agit de jouer sur les peurs sociales, économiques ou les craintes de conflits ravivés entre pays européens.

Pourtant, ayant à cœur la liberté d’expression et d’information, nous ne demandons pas aux journalistes d’aller dans le sens du « non » mais de faire leur travail et de respecter les engagements de leur profession, en informant sur l’ENSEMBLE des parties de la Constitution et non pas les premiers articles de la première partie (comme le fait Le Monde ou le JT de France 2).
Nous n’avons pas tous ces moyens financiers à notre disposition – même si la redevance implique à notre avis le droit d’avoir un vrai travail de journalisme en échange, et non pas une pub continuelle pour Blair ou le Médef tout en insinuant qu’avec Poutine ça serait pire (ce qui reste à démontrer en ce qui concerne les médias).

Au demeurant, les tenants du « oui » explique que l’Europe Giscard serait un vrai espace de démocratie : à voir quel est le poids du « oui » dans les médias on peut en douter !

L’adoption de la Constitution européenne est toujours possible le 29 mai. Chaque voix compte et le traité de Maastricht s’était joué à quelques milliers de voix. Les réunions, les collages doivent certes continuer mais ce sont aussi les proches, les connaissances et les collègues de travail ou de chômage qu’il faut continuer à mobiliser sur la question. Les billes ne manquent pas : des centaines de textes sur Internet argumentant, articles de la Constitution à l’appui, en faveur du NON. En plus de la critique de la Constitution, un jeu d’enfants lorsqu’on mesure les effets désastreux de la partie III, le « Non » implique aussi des alternatives, il est bien entendu lourd de responsabilité pour celles et ceux qui le portent, puisqu’il va falloir faire et proposer autres choses. Mais la solution n’est pas (qu’)à l’échelle des gouvernements…

Voter NON se fait contre les politiques libérales des élites européennes mais en faveur d’une association de toutes les personnes victimes du capitalisme. LE NON EST INTERNATIONALISTE du moment que les forces politiques qui le portent oeuvrent pour des chartes sociales avec un maximum plancher en terme de salaires, de droits sociaux et de libertés qui s’adressent à toutes et tous, et non pas seulement aux « nationaux ».

Mais voter NON n’est pas seulement, à notre sens, rejeter le traité de la Constitution, et pas seulement une mesure symbolique contre le capitalisme. Le « Non » renforcerait un climat : il s’agit d’un « plus » non négligeable. Mais il s’agit aussi de dire « non » à la façon dont le traité a été élaboré, par qui, et dans quel but : faire de l’Europe une puissance impérialiste concurrente de la Chine et des Etats-Unis. Nous ne souhaitons pas être les petits soldats d’une guerre économique et impérialiste.
Le « non » s’oppose à l’idée d’une POLITIQUE UNIQUE, qui est une terrible oxymore : nous ne sommes plus en démocratie si un seul choix est valable.

Abondons un moment, en apparence, dans le sens des partisans du Oui : la Constitution européenne est effectivement un socle qui permettrait d’harmoniser la politique économique unique et seule possible, celle en faveur du capitalisme. Il est même possible qu’avec la Constitution, la politique unique qui s’ensuivrait permette quelques poussées de fièvres de croissance, dans certains secteurs comme l’aéronautique (mais quels autres, Mr Raffarin, là est la question, non ?)

Mais nous, salarié-e-s, précaires, et « sans » de tous poils et couleurs, qu’avons-nous à y gagner de cette guerre économique ? La baisse des salaires, alors que les richesses des grandes entreprises s’envolent. L’intensification du travail poussée à son paroxysme avec les désastres humains, en terme de santé physique et mentale que cela impliquera. La France est déjà le pays européen où le travail salarié est le plus productif, un pavé dans le jardin de ceux qui nous traitent de fainéants. Le problème posé est celui de la répartition des richesses, c’est le problème de la lutte des classes et du combat anticapitaliste. Qu’on le veuille ou non : cette problématique historique dépasse largement nos humeurs ou nos « petites opinions ». Quand les salariés de Total font grève lorsqu’ils se font voler le salaire du lundi de Pentecôte, alors que leur entreprise crève d’argent et redistribue aux actionnaires, sans rien donner aux personnes âgées et handicapées, ces travailleurs sont dans une situation de conflit, dans un moment de lutte de classes (car la lutte continue toujours, au moins d’un côté : celui du patronat ! Nier la lutte des classes, c’est se tirer une balle dans le pied).
Alors, la quête des « ores » de la lutte des classes comme plan B ? Oui et non… La lutte des classes, telle qu’elle s’exprime dans le conflit salariés / patrons, ne suffit pas dans son expression classique – la lutte syndicale – même si celle-ci est plus que jamais importante et doit se montrer hargneuse et sans concession. La répartition des richesses ne suffit pas non plus : nous voulons aussi une société réellement démocratique et autogérée, fédéraliste et pluraliste, ce que d’autres appelaient le communisme libertaire.

Il n’y a pas qu’un plan alternatif, mais une multitude d’alternatives sociales, économiques, libertaires qui se jouent dans chaque localité. Lutter aujourd’hui, c’est changer d’échelle de pensée et de pratiques. Le plan B n’a pas commencé le 30 mai 2005.

Nous devons cesser de nous faire dicter les conditions des alternatives par les tenants du OUI. Des expériences de démocratie directe existent (Chiapas, mouvement des sans-terres brésilien) ou ont existé (révolution espagnole 1936). Nous devons sortir du mode de pensée capitaliste en nous posant à nouveau et collectivement : « produire quoi et comment », avec son pendant « Travaillons tous, moins et autrement » qui est au centre du projet anarcho-syndicaliste.

Nous avons tout à perdre de la nouvelle guerre économique, à laquelle nous prépare la Constitution. Ou plutôt, peut-être qu’une minorité des classes moyennes auront une bagnole neuve en plus, mais elle aura perdu en échange sa liberté, sa santé à trop travailler, et son humanité dans cette concurrence perpétuelle.

Alors, pas de « plan B » effectivement mais une multitude d’initiatives et d’alternatives : pour les exemples lire la presse des mouvements sociaux et libertaires (cherchez sur Internet).
Bien sûr, sortir du capitalisme implique d’être carré sur la (les) forme(s) de société(s) alternative(s), ses (leurs) mécanismes, mais aussi sur la question de la production. Une multitude de personnes et de revues y réfléchit, d’après des expériences concrètes, souvent menées par les mêmes personnes car chez nous il n’y a pas de division durable du travail et les réflexions ainsi que les prises de décisions sont collectives.

Au demeurant une autre façon de travailler, solidairement, et avec des prises de décisions collectives, nous débarrassera de beaucoup de temps morts ou de travail inutile : il y a quelques années des économistes (libéraux !!) affirmaient qu’il fallait 24 heures de travail hebdomadaire pour faire tourner… la société actuelle ! Le reste étant du « sur-travail » duquel la plus value est extorquée par les capitalistes. Alors si en plus on tient compte des nécessités écologiques, si des mouvements culturels rendent caduques ou excentrés bon nombre de travaux inutiles (publicités, refaire des routes tous les 4 matins, CRS…) on a de quoi faire : du travail socialement utile, réalisé collectivement, avec rotation pour les charges harassantes (ex : ramassage collectif des ordures) mais aussi beaucoup de temps libre pour faire… ce que chacun souhaite !

Au demeurant, nous ne devons jamais oublier que pour vivre il faut une bêche, un lopin de terre et quelques graines glanées… Nous aurons toujours plus, bien sûr – il ne s’agit pas d’abandonner le confort mais de montrer qu’en actes quotidiens comme en alternative globale d’autres formes de coexistences humaines fonctionnent et peuvent se développer.

Ne cédons pas aux sirènes du « gouvernable » en matière de justification du « Non ». Nous n’avons pas à gérer le capitalisme, ni à le perpétrer, mais à créer et faire vivre des alternatives viables, réalistes, crédibles. Nous en avons les possibilités en termes humains, car un réel travail collectif et une organisation qui met chaque savoir en valeur est beaucoup plus productive que les organisations du travail, surtout quand une classe ne s’enrichit au dépend d’une autre mais que les décisions prises et assumées par tous et les retombées sont équitables en matière de qualité de vie.

Le capitalisme n’a que quelques siècles, il est un point noir dans l’histoire de l’humanité : il a conduit aux désastres et aux oppressions coloniales, à la mort prématurée de presque tous vos aïeux. Aujourd’hui, avec la hausse de l’intensité du travail, et de sa durée, il s’attaque à nouveau à notre santé. Mais la culture qu’il induit (pub, jeux débiles, culture télé) s’attaque aussi à notre potentialité d’être humain en nous réduisant à l’état de légume… Tout ceci pour le privilège d’avoir deux télés, une bagnole… D’autres progrès existent : des progrès sociaux qui ne se mesurent pas en termes de gadgets électroniques mais de qualité de vie, de création artistiques, de solidarité, de contemplation ou de vie harmonieuse avec la nature, de sexualité, d’amour ou de jeux solidaires.

La question de la production qui est centrale, à notre avis, n’est qu’une question d’organisation humaine. La population en a les capacités en termes de savoirs, d’intelligences individuelles et collectives (on a l’intelligence qu’on souhaite) et d’énergies. C’est sur cette question de la production et de nouvelles formes d’organisations humaines que nous bataillons, en actes, dans nos quotidiens et nos réseaux politiques. A nous de faire plus et mieux, à plus nombreux.

Nous le faisons à petite échelle, nous pouvons le faire à plus grande, nous le ferons.

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Groupe Electro-Gênes, Ô rats des pâquerettes, De la Terre à nos lunes, et couatera.

mekhet77@yahoo.fr