Argentine : piqueteros, entreprises récupérées et assemblées
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MEMOIRES PIQUETERAS
Au cœur de la terre, un feu maintient la chaleur dont nous avons besoin pour que la vie continue. Au centre de l’histoire, brûle la mémoire des luttes historiques du peuple. Quelques noms s’oublient, restent comme des cendres. D’autres éclairent de courts moments et ensuite s’éteignent. Ce sont ceux qui sont devenus symboles de cette étape de résistance, qui est argentine, mais aussi latino-américaine et mondiale. Quand on fera le recensement des révoltes des exclues et exclus de ce temps, il faudra faire l’histoire du Santiagazo (1), du Jujenazo, des résistances de Corrientes, de Cutral-Co, de General Mosconi (2). Des soulèvements populaires qui réfutèrent les discours de fin de l’histoire, ouvrant des chemins, coupant des routes, incendiant les symboles du pouvoir, récupérant dans leurs pratiques l’autonomie et la démocratie de base, générant des espaces comblant l’absence d’organisation populaire résultant de la dictature militaire, pour que les oublié-e-s disent leurs paroles et fassent de leurs vies un projet valable.
Les argentines et argentins, nous sommes en train de tracer de nouveaux chemins pour continuer les batailles émancipatrices, pour nous faire sujets de création et de reconstruction de nous-même, comme personnes, comme organisations, et comme peuple. Le génocide brutal réalisé par la dictature militaire (1976-1983) a enseveli des rêves, des espérances, des croyances, des idées, des notions du monde. Il n’est pas possible d’expliquer les atteintes de l’initiative des classes dominantes, sans prendre en compte l’extermination d’une génération complète de militants qui questionnèrent le pouvoir et tentèrent de créer une possibilité de libération et d’autonomie dans notre histoire. La réponse du pouvoir fut l’anéantissement des femmes et hommes dignes, des jeunes qui le défièrent non seulement dans sa possibilité d’accumulation de richesses mais aussi et surtout par la perte de respect de ses valeurs, de ses ordres et de sa façon de discipliner le monde. Il s’est écoulé un temps avant que la génération qui naquit des entrailles de ces jeunes exterminé-e-s, se lève pour nier autant le terrorisme d’Etat qui assassina et fit disparaître leurs pères et mères, que les démocraties renaissantes qui complétèrent cette extermination avec des politiques d’impunité. L’« escrache » fut la forme de lutte qu’assumèrent les jeunes dans la bataille pour la mémoire, la justice, contre l’oubli et le silence, pour leur propre identité. L’« escrache » (3) est la forme argentine de condamnation sociale des responsables directs et des auteurs intellectuels des crimes de terrorisme d’Etat, des militaires, des politiques, des religieux, complices de l’histoire d’impunité qui a modelé la conscience collective de l’Argentine postmoderne.
Nous sommes toutes et tous des survivants du massacre. Nos 30 000 disparu-e-s ont survécu à leur mort et sont présents dans chacun de nos actes, bien que parfois ils ne le sachent pas, bien que parfois nous l’oublions.
Les politiques impérialistes dans les dernières décennies ont prit différentes formes, visant toujours à établir l’hégémonie de la bourgeoisie nord-américaine, de ses entreprises transnationales et de son Etat, dans le monde entier. Pour cela, ils ont avancé à feu et à sang dans l’anéantissement de ceux qui résistaient à leurs projets de dévastation économique, sociale, politique et culturelle de nos pays. Dans les années 70, sous la Doctrine de Sécurité Nationale, l’expansion capitaliste a produit un véritable génocide et a laissé des blessures qui ne sont toujours pas cicatrisées. Mais aussi profondes que ces dernières sont celles causées par les politiques néo-libérales du capitalisme mondial dans les années 80, à l’intérieur des démocraties renaissantes. Ce fut dans ces années que l’exclusion a promu la disparition sociale des personnes et des peuples, à partir de la marginalisation de couches entières de nos sociétés. Cela s’est produit avec l’impunité de l’étape post-dictatoriale, qui amnistia les crimes de lèse humanité. Des régions entières du pays, des provinces, des villages furent déclarées non rentables pour un projet qui concentra et centralisa des capitaux au prix de la négation de la vie digne de millions de personnes. Il se forma, à l’abri de l’impunité des puissants, une sous humanité, condamnée avant de naître, à la dénutrition, à la faim, à l’économie de stricte subsistance, et même à la mort.
Le travail est devenu de plus en plus un objet de luxe. Le capitalisme accentue l’aliénation jusqu’à des limites inconnues. Dans le capitalisme du 21ème siècle, une grande quantité de femmes et d’hommes n’ont même pas la possibilité de travailler. Dans les conditions de chômage massif, qui affectent des régions entières du pays, la vente de la force de travail se réalise dans des conditions de super-exploitation. La loi du profit maximum qui régit la conduite du capitalisme, favorise la production d’objets jetables, ce qui permet une fois encore de stimuler le consumérisme et de réinicier le cycle productif. Cette même loi a également rendu jetables les êtres humains. Le chômage a eu un pic historique durant le gouvernement de Carlos Menem, avec 18,6 % de chômeurs en 1995, en chiffres officiels et 20 à 24 % selon les chiffres syndicaux. En avril 1999, un rapport de la Banque Mondiale signalait l’existence de 13,4 millions de pauvres et de 3,2 millions d’indigents dans une population de 36 millions d’habitants. Le gouvernement de De La Rua (1999-2001) a accentué cette tendance, à laquelle s’est agrégée une augmentation de la répression, avec des morts dans les différents conflits. La révolte des 19 et 20 décembre 2001 fut l’explosion de la colère accumulée dans nos sociétés, ce fut l’explosion de la dignité, ce fut la multiplication des résistances populaires et ce fut aussi le résultat de l’accumulation préalable réalisée dans les soulèvements populaires des régions abandonnées (4).
Les politiques néo-libérales accumulent de super-profits pour quelques uns et du mécontentement pour une majorité. La « médecine » appliquée face à la révolte des opprimé-e-s est l’accroissement de la répression et de la militarisation du pays. Les rapports des services secrets désignent comme « subversives » les personnes désespérées qui exigent leurs droits minimums. Pour cela, ils préparèrent et perfectionnèrent des corps de répression, comme les Forces de Déploiement Rapide dans lesquelles fut convertie la Gendarmerie Nationale.
Ce n’est pas par hasard non plus que les forces armées des pays latino-américains emmenées par les militaires étasuniens développent des exercices connus comme le Plan Cabanas, qui comporte des pratiques « antisubversives » et « antinarcotiques », et que celui ci se soit réalisé précisément dans la province de Salta, où se sont produits quelques uns des conflits les plus violents du pays (5). Selon des documents du gouvernement argentin, l’objectif de cet entraînement serait de créer un « commando militaire unifié » pour combattre le « terrorisme » en Colombie. Le nord-ouest argentin s’est militarisé et il y a des endroits dans lesquels il est difficile de circuler à cause des contrôles militaires permanents sur les routes et dans les localités, qui créent un climat de persécution similaire à celui du temps de la dictature. C’est dans ce contexte que quatre dirigeants piqueteros (travailleurs sans emploi qui font des barrages de routes) de General Mosconi ont été arrêtés.
Mais malgré les menaces et la répression, il existe en Argentine une culture accumulée de résistance qui conduit à construire de nouvelles formes de lutte et à proposer des alternatives. Le temps du découragement généralisé et de la résignation est maintenant terminé. Des mots comme dignité, travail, vie sont redevenu hautement subversifs et sont adoptés par des peuples entiers qui se rebellent devant leur propre négation, en niant les dominateurs.
La résistance populaire donne des sens différents et de nouvelles significations à ces mots ou en crée de nouveaux pour identifier les nouveaux processus sociaux. Piquetero est le nom donné et assumé qui désigne ceux qui ont décidé de ne pas accepter le chômage. Ainsi comme le capitalisme a tenté de convertir les chômeurs en nouveaux « disparus sociaux », c’est le peuple qui fait « apparaître » les femmes et les hommes comme sujets historiques, les mêmes mais différents, les « apparus », les piqueteros. Et c’est aussi cette praxis dans laquelle les noms des premiers travailleurs tombés dans cette étape, comme Anibal Veron de Salta ou Teresa Rodriguez de Cutral-Co, sont portés aujourd’hui par des milliers de femmes et d’hommes qui ont ainsi dénommé leurs organisations de masses.
Les mouvements piqueteros en Argentine (6), réunissent et mobilisent une grande partie de la population. Il existe parmi eux une grande diversité de critères, de formes de lutte, de concepts politiques et idéologiques. Les « cortes de ruta » (coupures de routes) sont les formes les plus connues de la lutte piquetera. Cela n’est cependant qu’une des faces de ces mouvements, celle qui se présente dans les cas d’extrème nécessité.
Des organisations de travailleurs sans emploi comme la UTD (Union de travailleurs sans emploi) de General Mosconi, ont su lier, créativement, ces manières de résistance, en générant une grande quantité de projets productifs qui donnent vie au peuple, comme la construction de grands jardins collectifs, de cantines populaires, de salles de premiers secours, de places, etc.
L’administration des « Planes Trabajar » (7) a été pour les mouvements piqueteros un facteur complexe, dans la mesure où cela les rend vulnérable aux maniements qu’en fait le pouvoir (8) ; et les convertis dans le même temps en médiateurs des demandes des exclus (9). Dans ce contexte l’expérience de la UTD apporte des critères intéressants où la faiblesse, travaillée collectivement, se transforme en force, vu qu’ils ont su combiner la lutte pour les Plans Trabajar, avec une forme d’organisation collective de la production dans laquelle s’appliquent ces plans, dans laquelle se forge une nouvelle conscience sociale, et les bases authentiques d’un pouvoir populaire. Dans le même temps, ils ont continué le combat avec les entreprises de pétrole pour de véritables postes de travail.
Dans les moments dans lesquels le conflit social a redoublé, et spécialement pendant les crises de gouvernabilité, les piqueteros furent diabolisés. Répétant la « théorie des deux démons », assénée par Raùl Alfonsin (premier président élu après la dictature) qui comparait le terrorisme de l’Etat et ses crimes avec les actions révolutionnaires des mouvements insurgés de l’Argentine, le pouvoir actuel porte un discours sur les « piqueteros violents », avec lequel on désigne précisément ceux qui résistent aux tentatives de cooptation des forces du système (10). Ces positions ont apporté de l’eau au moulin de la répression institutionnelle, favorisant le climat d’ « oppression » et de persécution qui se développe dans les zones les plus vulnérables du pays.
Dans des secteurs de la gauche institutionnelle, on a également minimisé le rôle politique et social assumé par les travailleurs sans emploi, organisés dans les mouvements piqueteros. La difficulté de canaliser électoralement ces formes de résistance, et les projets populaires alternatifs générés dans les mouvements -surtout ceux comme la UTD (Union des travailleurs sans emploi) de Mosconi qui ont défendu leur autonomie par rapport aux forces politiques partidaires -, provoque une méfiance dans les secteurs qui considèrent que la politique se résume aux batailles électorales, ou dans les possibilités de capitalisation des luttes en faveur de tel ou tel parti politique.
Les coupures de routes -qui comme les escraches aujourd’hui se sont généralisés vers d’autres secteurs sociaux comme forme de protestation- sont jouées principalement par des franges de la population organisées, combatives et résistantes. Leurs formes de lutte défient le pouvoir et aussi les manières traditionnelles de comprendre la résistance. Il ne s’agit pas de secteurs marginaux, sans conscience, spontanéistes, comme les décrivent certaines analyses fonctionnelles à l’ordre systémique. La majorité des acteurs de ces conflits sont des travailleurs, avec la confuse mais significative conscience de classe acquise au vingtième siècle, à partir de leur participation dans les luttes ouvrières et populaires. Des travailleurs exclus par des politiques de privatisations et d’hyper concentration du capital réalisées par le modèle néolibéral, ainsi que par le déplacement des investissements du terrain productif à celui financier. Quasi tous les mouvements comptent un groupe de dirigeants forgé dans l’expérience des luttes des décennies passées, et par des milliers de jeunes qui se sont ajoutés ces dernières années, dans le contexte de la destruction d’un pays, qui leur enlève toute possibilité de rêver à un futur individuel ou collectif. Face à l’absence d’école qui puisse les former comme professionnels, techniciens, intellectuels, dans un contexte de manque d’alternatives, les adolescents et les jeunes trouvent leurs écoles dans les mouvements piqueteros. Là ils apprennent à lutter, et aussi apprennent des métiers, reçoivent une formation politique, construisent de nouvelles utopies.
L’exclusion, cependant, n’est pas seulement une forme d’organisation de l’économie et de la politique. C’est aussi une forme d’organisation culturelle et sociale. En effet, sauf dans les moments d’essor des conflit, et très associé aux affrontements avec la Gendarmerie et à la mort des piqueteros et des piqueteras, leur expérience n’est pas suffisamment connue par d’autres secteurs populaires. Paradoxalement, ce sont les morts des hommes et des femmes, ce sont les nouvelles disparitions qui les rendent visibles face aux médias de communication de masse. Les morts tentent de ralentir, RETOTRAER la résistance populaire, ravivant le mécanisme de terreur, introduit autant dans notre subjectivité que dans nos corps durant la dictature. On a systématiquement occulté ce que ces organisations ont créé en terme de formation d’alternatives économiques, sociales, productives, culturelles. On a occulté les dénonciations qu’elles ont faite sur la déprédation de la nature, de la terre, des eaux et de la vie humaine réalisées par les multinationales avec la complicité des gouvernements. Récupérer ces expériences est un apport à la nécessaire systématisation des efforts populaires tendant à résister aux politiques de privatisation et de destruction de nos économies et de nos peuples. C’est aussi une tentative de contribution à la possibilité de nous reconnaître, d’apprendre de notre histoire récente, de rencontrer en elles des racines et de possibles fruits.
Il existe un énorme retard dans la pensée critique développée par des fondations, des académies et des partis politiques. Le dogmatisme a laissé des trous aussi difficile à dépasser que les blessures laissées par la répression. L’offensive culturelle du néolibéralisme a eu une grande capacité pour coopter des intellectuels et des militants culturels, et pour INFICIONAR la théorie sociale du pragmatisme, du court terme et de superficialité. Il existe toujours une grande distance entre les intellectuels qui se considèrent de gauche, révolutionnaires et les mouvements populaires. C’est une brèche qui doit être dépassée afin d’avancer dans la création d’intellectuels organiques des mouvements populaires et d’un intellectuel collectif qui apporte à la constitution d’un nouveau bloc historique des opprimé-e-s et des exclu-e-s. Dans cette situation, il y a un ensemble de pratiques sociales et populaires qui attendent, au moins, d’être connues pour pouvoir être interprétées et apporter à la re-élaboration des théories révolutionnaires et des projets de changements véritables.
NOTES
1- En décembre 1993, à Santiago del Estero (province du nord-ouest), les restrictions budgétaires imposées par le ministre Domingo Cavallo (déjà en activité sous la dictature militaire), apôtre du monétarisme, entraînent des manifestations des fonctionnaires locaux, qui tournent à l’émeute pendant plusieurs jours ; les bâtiments administratifs et les demeures des politiciens sont incendiés. A cette époque, une répression cachée essayait de maintenir la domination de tous ceux qui avaient soutenu le régime militaire. Le numéro de décembre 1993 du journal Madres de Plaza de Mayo (« Mères de la place de Mai » ) publiait une liste de « disparus « non de la dictature mais de la « démocratie ». (Echanges et mouvement, « Argentine, de la paupérisation à la révolte », www.mondialisme.org)
2- De mai à juillet 1997, plusieurs provinces sont touchées par l’action des piqueteros, de nouveau à Cutral Co, à Tartagal (dans la province de Salta, à l’extrême nord-ouest, à la frontière bolivienne), à San Salvador de Jujuy (dans la province de Jujuy, proche de la précédente, vers le Chili), à Cruz del Eje (dans la province de Córdoba, près de l’importante ville de Córdoba au nord-ouest de Buenos Aires), des milliers de piqueteros bloquent les routes pendant près de quarante-cinq jours pour de la nourriture et la levée des coupures d’eau et de courant. Partout, les chômeurs s’affrontent avec les forces de répression. En 1998, à Corrientes, dans la province du même nom, au nord du pays, les travailleurs municipaux bloquent, sur le fleuve Parani, les ponts qui assurent la liaison avec la province voisine du Chaco Central ; les piqueteros viennent les appuyer. Fernando de la Rua, successeur de Menem, fait tirer sur les manifestants et le bilan de 10 morts et de nombreux blessés ne calme pas une révolte qui se prolonge plus d’une semaine. De nouveau dans la province de Salta (extrême nord-ouest), Tartagal, déjà le théâtre d’émeutes en 1997, connaît en décembre 1999, puis en mai 2000, des mouvements beaucoup plus importants : cette ville et Mosconi, dans la même province, sont occupées pendant plusieurs jours, forces de l’ordre pratiquement expulsées. De nouveau à Tartagal, en novembre 2000, la mort d’un manifestant lors d’une action pour avoir le paiement d’arriérés de salaires provoque une émeute : des bâtiments officiels sont incendiés et des policiers pris en otage. (Idem)
3- Forme de dénonciation populaire, au départ elle concernait les militaires ayant participés sous la dictature de 1976 à des tortures, enlèvements ou assassinats. Avec la crise économique, elle est de plus en plus pratiquée contre des hommes ou femmes politiques ou des responsables économiques. Une convocation où figurent le nom et l’adresse du militaire ainsi que son activité est placardée sur les murs de son quartier pour informer les habitants de la présence d’un tortionnaire. Une manifestation est ensuite organisée dans le quartier jusqu’au domicile du concerné. (N. d. T.)
4- Le 19 décembre 2001, face aux émeutes et aux pillages qui secouent le pays, le président déclare l’état de siège. Des milliers de personnes descendent alors dans la rue aux cris de « que se vayan todos » (« qu’ils s’en aillent tous »). Le 20, le gouvernement choisit la répression, les combats de rues dureront neuf heures et se solderont par 35 morts. Le président De la Rua finira par démissionner. (N.d.T.)
5- Manœuvres militaires qui se sont déroulées en septembre 2001 à l’extrême nord de l’Argentine, dans la province de Salta, où plusieurs milliers de militaires américains, argentins et d’autres pays d’Amérique latine se sont retrouvés autour de l’élaboration d’une stratégie visant à contrer toute action de déstabilisation d’un des pays concernés (idem note1)
6- On compte en Argentine une quinzaine de mouvements de piqueteros. Au départ, ce furent des mouvements indépendants et autonomes mais les partis politiques de gauche (c’est à dire d’extrême gauche) et le parti communiste argentin finirent par créer les leurs. Certains sont plus « démocratiques » que d’autres, c’est le cas des MTDs (Mouvements de travailleurs sans emploi) regroupés dans la coordination Anibal Veron (N.d.T.).
7- Planes trabajar o jefes y jefas : « contrats » de 2O heures par semaine payés 150 pesos (300 francs) par mois utilisés par les collectivités publiques. Ils furent obtenus grâce à la lutte des piqueteros). Les mouvements de piqueteros ont également obtenus la gestion directe d’une partie de ces plans, les bénéficiaires travaillent donc « au service » des mouvements dans des projets productifs collectifs, ce qui d’ailleurs posent quelques problèmes de « clientélisme », surtout dans les mouvements de chômeurs des partis d’extrême gauche (N.d.T.).
8- Le Parti Justicialiste (péroniste) a développé un clientélisme important, ces hommes de main (les punteros) dans les quartiers sont chargés entre autres « d’acheter » des votes, ils sont le maillage d’un véritable système de favoritisme politique que l’on pourrait qualifier de mafieux (à l’image des syndicats d’Al Capone, le principal syndicat argentin, la CGT, est complètement inféodé au péronisme) (N.d.T.).
9- Nombreux sont ceux, y compris dans les mouvements piqueteros, qui critiquent les Planes Trabajar, les considérant « misérables » (à moins de considérer cela comme une solution d’urgence et de revendiquer parallèlement un changement global). La gestion de ces plans par les mouvements, surtout lorsqu’elle n’est pas démocratique, n’est pas non plus sans poser de problèmes (voir note n°3) (N.d.T.).
10- Le 26 juin 2002 sur le Pont Pueyrredon qui sépare la capitale Buenos Aires de sa banlieue lors d’un piquete, Dario Santillan et Maxi Kosteki, deux membres des MTDs furent délibérément assassinés (N.d.T.).
Claudia Korol, coordinatrice de l’équipe d’éducation populaire de l’Université Populaire des Mères de la Place de Mai.
Texte extrait du cahier d’éducation populaire de l’Université Populaire des Mères de la Place de Mai intitulé « Coupant les routes du pétrole, systématisation de l’expérience de lutte de l’Union des Travailleurs sans emploi de General Mosconi »- Mai 2003.
Traduit par Fab – santelmo@no-log.org
QUE FONT LES ASSEMBLEES MAINTENANT ALORS QUE
LES CASSEROLES SONT DANS LES ARMOIRES ?
Contre une croyance commune qui les donne disparues, au moins 100 assemblées de quartier sont toujours sur pied à dans la capitale et la province de Buenos Aires. Que font-elles ? Que cherchent-elles ? Demandent-elles toujours que se vayan todos (qu’ils s’en aillent tous) ?
Ce furent d’énormes masses. Des gens avoir le besoin de dire des choses, ou de faire catharsis, ou de se plaindre et proposer, ou de balayer la direction politique et de reconsidérer le système de représentation. Après décembre 2001, elles prirent la forme d’assemblées populaires et de quartier, fluctuantes et hétérogènes, mais toujours en recherche de politiques alternatives. Quelques unes se sont désarticulées avec le temps, d’autres ont souffert d’une forte désertion. Maintenant elles ne produisent plus le bruit des casseroles mais, plus silencieuses, n’arrêtent pas de générer des actions variées et de multiplier des débats politiques internes.
Dans leurs deux années d’existence, elles furent enracinées dans leurs quartiers avec une tendance à assumer des tâches que, elles le comprennent, devrait accomplir l’Etat. Elles ont une pratique commune qui les définit : elles discutent avec des procédés assembléaires, soumettent tout au vote et n’ont pas de leaders.
Au milieu de l’année 2002, on comptabilisait plus de 240 assemblées entre la Capitale et la banlieue. Quelques unes atteignaient plus de cent vecinos (voisins ou habitants) dans leurs réunions. Aujourd’hui elles sont une centaine, intégrées par une moyenne de vingt personnes, ou le double, dans certains cas.
Beaucoup d’assemblées ont installé des cantines populaires. Elles donnent à manger aux vecinos pauvres, aux cartoneros (1), et aux chômeurs. Elles ont leurs propres potagers. Elles offrent des ateliers artistiques, montent des bibliothèques, enseignent à lire et écrire et cherchent des sorties autogérées au chômage et aux problèmes de logement avec des critères d’économie solidaire. Il y celles qui mettent de l’énergie à éclaircir des crimes commis dans leur quartier, celles qui participent à la récupération de fabriques et celles qui agissent avec les piqueteros. Elles maintiennent toujours des débats politiques, dans les dernières semaines elles ont participé à la campagne contre l’ALCA (Zone de libre échange des Amériques – ZLEA) et donné leur opinion sur la loi des communes. Dans l’assemblée de Temperley, par exemple, ils ont célébré l’ouverture d’une boulangerie. On leur a donné un four et un réfrigérateur, ils se sont installés dans un local abandonné et un vecino enseigne le travail. Fabio Nunez, avocat et assembléiste : « L’activité porte une déclaration politique : c’est de générer le travail que nous refuse le système, générer ce qui nous semble impossible, comme un préalable au changement du système. Nous croyons au travail égalitaire. C’est notre forme de construire du pouvoir ». Le politologue German Perez, chercheur en protestation sociale à l’Université de Buenos Aires, soutient que « le repli des assemblées dans l’espace du quartier et la diminution de leurs membres, se doit en partie à l’expectative générée par le gouvernement actuel qui construit sa légitimité sur la base des demandes que formulèrent les assemblées : les purges dans les forces de sécurité, l’épuration de la Cour suprême. De plus, la participation passe par des cycles. Pour n’importe lequel des citoyen, participer est toute une forme d’investissement de ressources ». Il y a, en plus, des secteurs moyens qui devant les signes de recomposition politique en reviennent à la coutume de déléguer la représentation.
Les assemblées ont eu des moments importants de présence dans les rues dans leurs premiers mois et ont convergé dans une interbarrial (assemblée inter-quartiers) dans le parc Centenario. Ici se cristallisèrent les problèmes entre personnes avec peu ou pas d’expériences militantes avec des partis politiques d’extrème gauche qui crurent voir dans les assemblées le germe d’une insurrection. Beaucoup de caceleros considèrent que cette situation provoqua des désertions. Cette année, les partis se sont retiré de l’arène assembléaire. Les nombreux épisodes de menaces à assembléistes, surtout en 2002, paraissent aussi avoir eu un effet répulsif.
L’articulation entre assemblées a toujours été compliquée. Après la disparition de l’interbarriale, il y a eu des tentatives de créer des instances de confluence qui furent établis par zone -il y a une interbarrial à Vicente Lopez, un groupe d’assemblées de la zone Sud, un autre en zone Ouest- et périodiquement se réunit un groupe des assemblées auto-dénommées autonomes. Selon Perez, il est difficile de parler d’un mouvement assembléaire. « Elles apparaissent avec des objectifs différents et ne sont pas toujours convergentes ; la construction d’une histoire politique partagée est une des principales difficultés ». Dans son étude « Modèles d’assemblées : entre l’auto-gouvernement et la représentation » (avec Martin Armelino et Federico Rossi), il fait une différence entre assemblées populaires (multiclassistes, opposées à l’Etat et avec des débats qui visent à l’unanimité) et assemblées de quartier (limitées au quartier, proposent des débats qui amènes des désaccords et cherchent le consensus)(2).
« Même si avec nos petites actions nous pensons être en train de construire un pouvoir populaire autonome, il est autant important de penser à améliorer notre qualité de vie que de discuter la relation avec les institutions et qu’exercer la démocratie directe. Qu’un chômeur puisse venir danser le folklore et se détendre est possible », affirme Viviana, 41 ans, de Corrientes y Juan B. Justo. Octavio, de Cid Campeador, ajoute : « Ceux qui sont en assemblée, nous résistons à l’apathie et au conformisme. La pratique assembléaire horizontale nous enseignent des valeurs que la politique traditionnelles n’a pas, ceci fait parti du que se vayan todos, continuer à rechercher des changements dans la logique de représentation ».
Pour Perez, autant le diagnostic que fit l’extrème gauche sur la direction que prenaient les assemblées que celui de la droite « qui disait qu’elles étaient le fruit d’un chagrin qui se terminerait quand apparaitrait l’argent », « ont obscurci la compréhension du processus ». « Les assemblées n’ont pas disparu ni échoué », souligne-t’il. « Elles sont bien plus latentes. La forme assembléaire comme pratique politique et procédure de prise de décisions se maintient disponible. Et en cela il faut reconnaître que l’ouverture d’un espace de résistance existe depuis avant 2001 avec les mouvements piqueteros. Maintenant il y a sans doute une politisation de l’espace du quartier qui a peu d’antécédents. Le que se vayan todos, non seulement reflétait une crise de représentation, mais il attaquait un régime de domination propre aux années 90. Il n’y a pas échec en cela, mais une attente d’une réforme politique ».
NOTES
1-les cartoneros sont les personnes qui la nuit tombée ramassent le carton dans les rues de Buenos Aires. Il sont des centaines à parcourir les rues de la Capitale pour quelques francs. (N.d.T.)
2-la différence d’appelation recoupe aussi la composition de l’assemblée, les trotskistes qui en contrôlent quelques unes les nomment « populaires » alors que les autonomes parlent plus d’assemblées « de quartier ». (N.d.T.)
Irina Hauser, Pagina/12 (argentine) 12 décembre 2003
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org)
ENTREPRISE RECUPEREES
L’article suivant pointe une nouvelle phase du mouvement des entreprises récupérées en Argentine : des militants des différentes tendances s’inscrivent dans des stratégies électoralistes (non partagées par tous les ouvriers des entreprises récupérées).
A l’intérieur de ce mouvement, deux tendances coexistent : d’un côté les partisans de l’« étatisation sous contrôle ouvrier », minoritaires et de l’autre les partisans de la création de coopératives. La première tendance est fortement influencée par l’idéologie de certains partis trotskistes : transformer les entreprises en entreprises publiques, au service de la communauté. Le danger est qu’elles n’ont pas d’existence légale et risque donc d’être expulsées du jour au lendemain, sans compter les problèmes de facturation. La deuxième tendance vise à protéger les coopératives d’une expulsion grâce à cette existence légale, le but est de démontrer la viabilité de l’autogestion et de permettre de créer un rapport de force favorable lors de à l’expiration de l’expropriation (1).
Il nous semble que la deuxième tendance soit plus appropriée, en particulier si l’on se réfère à l’expérience de Brukman (2). Cependant un jugement moins tranché nécessite une analyse que nous développeront dans d’autres travaux.
F. G. et D. S.
LES FABRIQUES RECUPEREES FONT DE LA POLITIQUE
Elles ont des candidats, expérimentent des alliances, vivent un débat interne, tentent d’imposer leurs propres idées dans de nouveaux espaces. “C’est simple : nous voulons occuper ces postes de décision avec le programme de notre mouvement”, résume un dirigeant à propos de ce phénomène.
Il n’est pas représenté par un parti politique unique. Aucun ne peut le faire à cent pour cent. Ce n’est pas non plus, pour l’instant, un regroupement politique. Mais comme mouvement social, le mouvement des entreprises récupérées par leurs ouvriers développe un projet politique, et tente d’occuper le terrain de la représentation politique. Lors des élections d’août 2003, il fut présent sur plusieurs listes et a obtenu l’élection d’un de ses membres à la Mairie de Buenos Aires. Lors des élections de la semaine prochaine, plusieurs candidats issus de ses rangs se présentent dans les provinces de Buenos Aires et de Santa Fe (3).
Le Movimiento Nacional de Empresas Recuperadas (MNER) présentera lors des élections régionales de Buenos Aires dimanche prochain des candidats sur les listes du Polo Social et un candidat à la mairie de Florencio Varela (dans la banlieue de Buenos Aires) (4). Lors des élections municipales de Buenos Aires, les fabriques se sont présentées sur la liste du Partido de la Revolución Democrática (PRD), que dirige l’écrivain Miguel Bonasso. L’avocat du mouvement, Diego Kravetz, qui était tête de liste pour la mairie de Buenos Aires entrera en fonction en décembre prochain. En dehors du MNER, Celia Martínez, ouvrière de la fabrique textile Brukman, s’est présentée aux élections législatives nationales sur la liste du Partido de los Trabajadores Socialistas (PTS) et son camarade de travail Juan Carlos Ragghini, sur celle du Partido Obrero (PO). Daniel López, de Ghelco fut intégré sur la liste de Izquierda Unida (IU). A Avellaneda, l’avocat Luis Caro -du courant appelé Movimiento de Fábricas Recuperadas por los Trabajadores- disputera la mairie sur la liste d’Aldo Rico.
Les premières récupérations et expériences d’autogestion ouvrière en Argentine remontent à dix ans avec l’entreprise métallurgique IMPA à Buenos Aires et le frigorifique Yaguané à La Matanza, deux figures historiques du mouvement. Mais l’essor du mouvement, avec ses préservations de postes de travail comme alternatives aux faillites, liquidations ou abandons des entreprises, est consécutif aux 19 et 20 décembre 2001 (5) . “Ce fut à ce moment que nous avons commencé à parier fortement sur une construction sociale et politique, et plus encore quand a surgi l’appel de la CTA (nouveau syndicat) à constituer une force”, résume José Abelli, l’un des fondateurs du MNER, qui postule au poste de député de la province de Santa Fe avec Encuentro Progresista, qui appui la liste du candidat socialiste Hermes Binner. “Il se produisit une espèce de contagion très forte : la récupération d’une entreprise en déclenchait cinq de plus. Ceci nous a fortifiés”, dit Abelli.
Oui avec celui-ci, non avec celui-là.
Depuis un an et demi, les ouvriers organisés ont obtenu l’expropriation légale de 32 entreprises sur le territoire de la province de Buenos Aires, 4 dans la Capitale Fédérale, une à Entre Ríos et une autre en Tierra del Fuego. Le total d’ usines et de commerces réactivés par les travailleurs approche les 180, et selon les calculs du MNER -que est l’organisation qui fédère la majorité d’entre elles- cela représente 15 000 postes de travail récupérés. Si tout cela fut possible sans être au parlement ou au gouvernement, beaucoup plus pourra se faire -soutiennent-ils au MNER- s’ ils accèdent à ces postes. “C’est simple : nous voulons occuper ces postes de décision avec le programme de notre mouvement”, signale Abelli.
Le choix des partis politiques avec lesquels ils se présentent ne se pose pas de la même manière ou avec des critères identiques dans toutes les entreprises occupées. Par exemple, à Brukman, dans la fabrique de céramiques Zanon et à Sasetru, la présence permanente de partis de gauche (6), spécialement du PTS (Parti des Travailleurs Socialistes) et du PO (Parti Ouvrier), dans les processus de récupération et résistance face aux expulsions, a généré un lien constant et direct avec les ouvriers. “Je me suis présenté pour le PTS à titre personnel, par affinité, pour tout le soutien qu’ils nous ont donné et parce que je crois que les ouvriers devons faire de la politique. Je savais que je n’allais pas être élue mais je l’ai fait pour créer un précédent. Mon rêve, en réalité, est que puisse se former un grand parti des travailleurs”, dit Celia Martínez, de Brukman.
Au MNER il y a un autre regard sur le rapport avec les forces politiques traditionnelles. “Nous maintenons une indépendance autant par rapport à l’Etat que par rapport aux partis. Ce que nous espérons d’eux est qu’ils se mettent à la disposition des travailleurs. La conduite doit venir des protagonistes de la production, pas de l’extérieur”, signale Abelli. S’ ils promeuvent, explique-t-il, des candidats à travers différentes organisations, ce n’est pas seulement pour positionner leurs demandes mais “pour contrecarrer l’avancée de la droite et ses projets néo-libéraux”. “Nous pouvons continuer à récupérer des fabriques mais si la droite est au pouvoir, les entreprises autogérées n’ont pas de futur.”, affirme Abelli.
Comment décident-ils à travers quels partis se présenter ? “Nous optons pour le PRD (Parti de la Révolution Démocratique) de Miguel Bonasso (7) parce qu’il ne représente pas les structures “partidocratiques” traditionnelles, parce qu’il est en phase avec nos demandes et parce qu’à travers IMPA nous avions des relations au niveau des activités culturelles. Dans le cas du Polo Social, leur candidat est de l’UOM Quilmes, une section en lien avec la récupération de plusieurs entreprises métallurgiques. Nous appuyons Aníbal Ibarra (8), non pas parce qu’il nous plait mais pour contrer Macri ; dans la province de Buenos Aires nous voulons contrecarrer le péronisme de Carlos Ruckauf, et à Santa Fe, celui de Carlos Reutemann”.
Une vieille différence (9) au sujet de la structuration et de l’existence légale sépare le MNER du petit groupe de fabriques qui s’est aligné avec des partis de gauche. Le premier préconise la formation de coopératives et que les excédents servent à générer plus d’activité productive. Le second revendique l’ “étatisation des entreprises sous contrôle ouvrier” et que les excédents servent “pour la communauté” (éducation et santé par exemple). Au delà de ces divergences, les ouvriers partagent tous l’idéal de sauver leurs sources de travail (10), ils ont éliminé les hiérarchies dans la majorité des entreprises, ont installé une répartition équitable des revenus (11) et s’unissent dans les moments de résistance. Il y a aussi des idées en commun avec beaucoup d’ouvriers, représentés légalement par l’avocat Luis Caro et regroupés dans le Mouvement des Fabriques Récupérées (MFR) -qui dans les derniers congrès et rencontres a recueilli l’adhésion de 40 entreprises. La méfiance tourne surtout autour de la figure de Caro proprement dite, qui est accusé -surtout par le MNER- d’avoir un projet politique personnaliste et d’avoir passé une alliance avec le carapintada Rico, maire de San Miguel, avec le désir de remporter la mairie d’Avellaneda. “Devenir maire est un projet personnel, je n’ai pas utilisé le thème des fabriques dans ma campagne, mais si je gagne, je donnerai les entreprises en faillite aux travailleurs”, a de son côté affirmé Caro. “J’ ai été élevé dans un bidonville, j’ai toujours eu un point de vue social. Entre 1991 et 1999, je fus employé municipal : directeur d’action sociale, chef des achats et sous secrétaire de production. En août 2000, j’ ai pris contact avec les ouvriers d’ Unión y Fuerza, l’ ancienne Gip Metal, qui venaient de la récupérer. Ma femme qui est conseillère municipale, leur avait parlé de moi qui était en dernière année d’étude d’avocat. Ainsi ai-je commencé mon travail avec les fabriques.”
Unis ou dominés.
Malgré ces différences internes, qui affectent plus les dirigeants que les ouvriers eux-mêmes, le mouvement des fabriques est peut-être le moins fragmenté des mouvements sociaux émergents, surtout en comparaison avec les piqueteros. “Le mouvement des fabriques est plus délimité, et il ne me semble pas que la fragmentation aille s’accroître.”, pronostique Gabriel Fajn, chercheur de l’Equipe de Sociologie des Organisations à la UBA (Université de Buenos Aires). “Même s’ il existe des divergences entre eux, je vois des alignements politiques clairs surtout au MNER, qui apparaît comme la principale référence. Ils ont un critère d’autonomie et apparaisent comme une référence, dans l’ensemble, face à l’Etat”, ajoute-t-il.
Fajn attribue les candidatures politiques depuis les travailleurs organisés au fait que “autant les partis politiques que les ouvriers ont besoin d’articuler le conflit social avec des propositions. Ceci, à mon avis, est quelque chose de positif. Avoir des représentants parlementaires favorisera sûrement l’arrivée directe de projets et de propositions”.
“Nous ne voulons pas terminer comme les piqueteros, tous fractionnés”, confesse Abelli, du MNER. “Notre projet politique est indépendant des partis, mais en même temps nous savons qu’il est impossible d’aller de l’avant uniquement à partir du mouvement lui-même. Il s’agit, explique-t-il, de créer une société démocratique, avec une juste répartition des richesses, où les travailleurs récupèrent le protagonisme des années 50 et 60 et que la masse salariale représente la moitié du PIB. Nous n’avons pas encore la force ni la capacité pour construire un parti politique mais nous rêvons, qu’avec le temps, les travailleurs puissent confluer dans une expression majoritaire, du style du Parti des Travailleurs (PT) au Brésil. Mais aujourd’hui les partis politiques ne nous représentent pas et nous n’allons pas rester chez nous les bras croisés.”
NOTES
1-Une fois l’entreprise récupérée et une coopérative constituée, les machines et le bâtiment sont expropriée pour une durée de deux au terme desquels les travailleurs doivent racheter l’entreprise et ses dettes.
2-Brukman, fabrique textile de Buenos Aires récupérée en décembre 2001 pour laquelle les ouvrières demandèrent son étatisation. Elle fut expulsée en avril 2003. Après six mois de lutte, la mairie de Buenos Aires vota l’expropriation de la fabrique et sa remise à une coopérative formée par les ouvrières.
3-L’Argentine est un Etat Fédéral à l’image de l’Allemagne et de ses landers. (N. d. T.)
4-Son président, Eduardo Murúa, comme député de la province de Buenos Aires ; Omar Campos, de la Metalúrgica Plástica Argentina (IMPA -entreprise récupérée) comme compagnon de formule de Francisco “Barba” Gutiérrez pour les provinciales de Buenos Aires et José Córdoba, de la UOM de Quilmes, postule à la mairie de Florencio Varela.
5-Emeutes et manifestations qui provoquèrent la démission du président De la Rua. Ce fut comme le qualifie le groupe argentin Situaciones « La force du NON » (cf. revue Multitudes n°8 de mars 2002). (N. d. T.)
6-Les partis de gauche en Argentine sont tous “trotskistes”.
7-Journaliste et écrivain, auteur de « el palacio y las calles », sur les évènements de décembre 2001. (N. d. T.)
8-Ibarra, à l’époque maire de Buenos Aires, se retrouva au second tour de l’élection municipale face à Macri, entrepreneur, propriétaire entre autre du club de foot Boca Juniors et des Postes argentines. Ibarra l’emporta. (N. d. T.)
9-Nous reviendrons plus largement dans des textes ultérieurs sur ces différences idéologiques et pratiques. (N. d. T.)
10-Il n’existe pas en Argentine d’assurance chômage. Nous verrons justement les réponses des chômeurs à cette absence. (N. d. T.)
11-Pour beaucoup d’entreprises à ma connaissance, cette répartition est même égalitaire. (N. d. T.)
Irina Hauser, Pagina/12 (Argentine), 07 septembre 2003
Traduction de Fab (santelmo@no-log.org)
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