Argentine : au-delà du salaire
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Cela a été d’une décennie de gel des salaires où le pouvoir d’achat était attaché à la perverse Loi de Convertibilité. L’unique manière d’obtenir des augmentations était de sacrifier les clauses des conventions collectives, ce qui flexibilisait les droits acquis pendant des décennies de lutte. Les syndicats qui résistèrent à ce troc sinistre de l’ajustement perpétuel qu’exige le capitalisme et qui ne flexibilisèrent pas leurs conventions ont été peu nombreux.
Après le naufrage de la convertibilité du peso avec le dollar, la profondeur de la crise a fait que la lutte de ceux qui vivent de leurs salaires s’est centrée sur la résistance à la vague des licenciements, suspensions et procédures de crise, ce qui a amené beaucoup de naufragés à grossir les statistiques du chômage (1), tandis que les plus résistants prenaient le chemin de l’autogestion forcée, en luttant pour l’expropriation de leurs entreprises en faillite (2).
LE MAL VIVRE
Le chantage du chômage et la précarisation endémique dans les relations de travail du nouveau siècle, ont servit de dispositifs pour empêcher des exigeances de salaires post- dévaluation, malgré la terrible détérioration du pouvoir d’achat. (3) Récemment, dans le dernier semestre de l’année dernière, la revendication nécessaire et, qui avait été mise de côté, a surgit. Et ce qui ne s’était pas passé depuis plus de dix est arrivé : le retour de la demande salariale. Ce furent les travailleurs du métro de Buenos Aires et des entreprises de téléphonie -pas par hasard deux grandes privatisées- ceux qui ont indiqué le chemin et généré les luttes les plus significatives de la nouvelle étape.
Face au climat social, le gouvernement a tenté d’un côté de décomprimer, en étendant une minime (re)composition par décret de seulement cent pesos (25 euros) à des milliers de travailleurs sans organisation, qui ne pouvaient -à cause de leur profonde atomisation et de l’insensibilité patronale- obtenir des augmentations de salaires par la lutte. La situation de la majorité des salariés est à la frontière de la survie.
Ces conditions de vie vont au-delà du salaire de misère. L’extension de fait de la journée de travail, acceptée pour parvenir difficilement à la fin du mois, génère des privations et de la sur-exploitation que renforce le cercle vicieux du capitalisme contemporain.
LE REVEIL
La lutte pour les salaires des travailleurs du métro, qui ont dû faire face à beaucoup d’incompréhension et à la manipulation des médias, contraste avec cette situation de pénurie. Comme l’exprimait un de ses protagonistes, Beto Pianelli, “la lutte pour le salaire est beaucoup plus que la recomposition du salaire pour consommer plus”. C’est un moyen de résister et de repenser la vie précaire et dévaluée, où le système de choses en vigueur nous porte à une condamnation sans fin au travail. (2)
La confrontation avec Metrovias (la concessionnaire du métro de Buenos Aires (3) est la continuité d’un procesus d’organisation de base qui a permit, l’année dernière, d’arracher au Groupe Roggio la journée de six heures pour insalubrité. C’est une expérience qui va à l’encontre de la règle généralisée d’augmentation du temps de travail pour l’immense majorité des activités. Et qui marque une borne, qui ne perd pas en raison de sa singularité son empreinte potentielle transgresante de la tendance générale des dernières décennies dans le monde du travail.
Si nous faisons une généalogie de la résistance des travailleurs du métro aux plans de la direction de Metrovias depuis l’arrivée de l’entreprise privée, nous observerons que les embryons d’insubordination à la nouvelle gestion de la main d’oeuvre et à la rentabilité privée ne datent pas d’hier. Le première grève a surgit face au licenciement d’un travailleur et son refus d’accepter la loi patronale. Cette attitude a généré une grande indignation, et au fur et à mesure que les heures passaient, la surprise et la sympathie pour le geste du compagnon se sont transformées en la conviction que l’on pouvait dire NON aux diktats du patron.
Depuis ce jour, l’entreprise a tenté de déstructurer tout embryon d’organisation, mais la majorité des fois, elle a rencontré la résistance des travailleurs, autant contre la perte de droits ou contre l’impostion de mesures de potentiel affaiblissement du collectif. Les travailleurs se sont organisés par lignes en créant des ponts de communication entre les activistes et les jeunes que la direction déplacait à sa guise.
LE BIEN VIVRE
Ce qui transparaît dans toutes ces années de résistances et d’organisation est la bataille quotidienne pour le contrôle du terrain. Le scénario construit par la direction de l’entreprise est le non-lieu de la routine irréfléchie et mécanique du voyageur, avec ses caractéristiques d’automatisation et d’absence de relation. De son côté, la construction du collectif “des taupes” du métro articule les singularités (ce qui est différent des individualités) dans un procesus de construction qui donne du sens au collectif de travail face au vide créé par Metrovias. Cette urgence subjective d’humanité multiple, non seulement aide à raccourcir les temps des voyageurs pressés, mais diminue, à chaque interruption contestataire, la souffrance du travail forcé auquel nous a condamné le système.
Notes :
(1) Officiellement, le taux de chômage, après avoir atteint 25%, est de 14,8 %, mais il prend pas en compte les chômeurs qui “bénéficient” d’un plan social (150 pesos/40 euros). (NdT).
(2) On estime le nombre d’entreprises récupérées par leurs travailleurs à environ 200 avec à peu près 10 000 personnes concernées. (NdT).
(3) Metrovias recoit 65 millions de pesos de subventions de la part de l’Etat. Le nombre de passagers a augmenté de 73 % et la valeur du ticket a augmenté de 77 % depuis que cette entreprise a prit la concession du métro. Les 39 personnes du directoire de Metrovias gagnent 480 000 pesos par mois. (NdT)
(4) Le seuil de pauvreté est estimé officiellement à 750 pesos par mois pour une famille type de quatre personnes. Mais l’on évalue à 1 800 pesos le revenu nécessaire pour satisfaire les besoins élémentaires (nourriture, logement, eau, électricité, habillement, transport…). Le salaire minimum est actuellement en Argentine de 450 pesos (120 euros). Mais 49 % des travailleurs ne sont pas déclarés (au noir) et touchent donc un salaire inférieur et ne bénéficient pas de protection sociale. (NdT).
Jorge Muracciole
Proyectos 19/20, numéro 13, mars-avril 2005
Traduction : Fab (santelmo@no-log.org )
Voir aussi : Argentine : une grève qui n’en finit pas,
http://nantes.indymedia.org/article.php3?id_article=4924&var_recherche=argentine
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