Je ne t’en veux pas. Et même je comprends cette réaction. Mais regarde autour de toi, regarde moi, ton amie, et ouvre les yeux sur les immenses souffrances que l’acceptation total du confinement a engendré, infinement plus grandes que le virus lui-même.

Ton amitié m’est précieuse. Si l’État refuse de la considérer, s’il refuse de voir cela comme une dérogation possible à mes déplacements, j’ai cru qu’elle nous serait évidente pour tou·tes les deux. Mais quel choc lorsque tu as prononcé ces mots : “Dans la maison, nous avons décidé d’appliquer le confinement le plus strict”. Avant d’ajouter : “Tu peux venir nous voir, évidemment. Tu restera derrière le portail”. Toi qui n’y voyais qu’une décision collective presque banale, pour moi cela m’a éclaté froidement au visage : notre amitié n’est que secondaire, non vitale. Et vous vous êtes ainsi enfermées dans vos couples respectifs. J’ai failli te dire que j’aimerais te faire un câlin, mais je n’ai rien dit. Il n’y aura plus de gestes affectifs entre nous, je n’ose même pas en faire le deuil verbalement.

Entre temps, le contrôle social s’est accéléré. La police à continué à tuer, blesser, humilier dans les quartiers populaires, encore plus qu’elle ne le faisait déjà. La rue lui appartenait déjà beaucoup, aujourd’hui elle en a fait son terrain de jeu (meurtrier). Elle en ressortira encore plus compétente pour manier à bien sa logique répressive, et nous encore plus craintif-ves.

Entre temps les soignant·es se retrouve encore plus seul·es que lorsqu’ils luttaient pour avoir plus de moyen dans les hôpitaux publics.

Entre temps les pauvres de tous les pays se retrouvent sans travail ni possibilités de subvenir à leur besoins.

Entre temps les femmes se font encore plus battre par leur maris.

Nos échanges ont continué, par Signal. La discussion atterrira souvent sur l’affirmation que le confinement est fait pour sauver les personnes fragiles. Qu’il faut se responsabiliser par rapport à elles. Mais en cherchant plus loin, tu n’en connais pas tant de personnes si fragiles. Tu utilise un épouvantail pour clore la discussion. En vérité, nous serions beaucoup plus enclin à les aider, en prenant toutes les précautions sanitaires, si nous n’étions pas enfermé·es dans nos maisons à nous dépatouiller avec nos angoisses (créées principalement par la réaction étatique). Et aussi, pourquoi devrions-nous tou·tes épouser cette logique sacrificielle du confinement quand nous connaissons les types de personnes que le virus cible ?

La pire des hypocrisies, est de dire que nous avons sauvé des vie. Non. Nous avons simplement choisi nos morts. Parfois il faut en effet choisir, et la moindre des honnêteté politique serait de l’exposer ainsi. Mais tu sais, ce confinement tue 1 000 fois plus de personnes par la faim, détruit des millions de vies par le chômage de masse, rend des gens malheureux par l’isolement, etc. Regarde l’état du monde, mais ne me ressert plus cet argument qui tente de justifier le délire actuel.

Et puis au fil du temps, mon état psychologique s’est dégradé. Je n’avais déjà pas eu beaucoup de chance sur mon environnement de confinement, un appartement pour 5. Mais cela a empiré lorsque s’est installé une détresse amicale et affective. Car tou·tes mes autres ami·es ont évidemment fais le même choix que vous. Je retenté une approche. Les mêmes réponses, à quelques mots près. Mais cette fois-ci, je n’ai pas voulu me laisser faire. Ce confinement engendre déjà trop de violence, pour que j’en accepte celle-ci.

Je t’ai exposé l’absurdité de la situation. Je t’ai mis devant le nez toutes vos dérogations sanitaires que vous acceptez quand il s’agit de relation amoureuse, mais que vous refuser catégoriquement pour celles qui ne sont “que” amicales. J’ai tenté d’exposer que le confinement est un choix politique parmi tant d’autres, avec toutes les conséquences horribles qu’il engendre.

Ça ne t’as pas fait réagir. Pire, ça nous a éloigné, et je me suis senti comme une irresponsable.

Pourtant, toi aussi tu sais que ça n’est pas tenable à long terme. Voilà déjà 6 semaines de confinement, et je sens poindre des petits changements dans tes pratiques, dans tes discours. J’espère simplement que la situation sociale ne soit pas trop désastreuse quand nous sortirons de la torpeur. Quand nous ferons comme d’habitude et que nous irons boire une limonade au soleil avant d’aller manifester.

Ton amie