Nous déplorons la multiplication d’appels à manifestations simultanés à la marche annuelle contre les violences d’État de la mi-mars (seul jour de l’année qui leur soit exclusivement consacré depuis l’appel international du COPB de Montréal le 15 mars 1997), qui ne prennent pas pleinement en compte celles-ci et contribuent à les invisibiliser en les noyant sous de multiples appels qui ne les intègrent pas en tant que telles.

Après avoir récupéré la lutte populaire des « fins de mois » portées par les Gilets Jaunes, les composantes politiques traditionnelles alliées aux nouveaux leaders autoproclamés cherchent-elles à mettre sous le tapis les luttes contre les oppressions sécuritaire et raciste dans les quartiers populaires ?

Il y a bien assez d’autres samedi libres dans l’année ! A moins que l’approche des élections municipales ne soit un enjeu pour certain.e.s ? Que ce soit clair : pas pour nous ! Certains partis « de gauche », dont on n’a vu que très peu les militant.es dans nos luttes quotidiennes, semblent avoir le vent en poupe et le mouvement des gilets jaunes est devenu un électorat à conquérir. Les quartiers populaires aussi, à condition qu’ils s’habillent de jaune.

Rappelons qu’à d’autres moments, les élus et représentant.e.s de la gauche prenaient le parti de l’Ordre, se contentant de pointer quelques « dérives ». Les mêmes qui aujourd’hui se contentent de demander l’interdiction de certaines armes « en manifestation ». Il n’est pas inutile de rappeler que l’alternance au pouvoir a eu lieu, que les actions des gouvernements se ressemblent et se complètent : Sarkozy a ouvert la voie, Hollande a fait passer les lois pour tout légitimer, Macron en profite, envoyant ses blindés et bulldozers sur le boulevard aménagé par ses prédecesseurs. Et la gauche viendra – peut-être – pour endormir la révolte. Les têtes changent, mais elles ne servent qu’à cristalliser la détestation ou l’espoir sur une personne. Les élections passent, le régime subsiste. Voter, c’est abdiquer.

Et il ne suffira pas de modifier tardivement un appel pour y faire la mention maladroite de ces violences jusque là oubliées ou négligées, car ce serait vouloir porter la voix des autres pour séduire celles et ceux auxquel.les on n’avait pas trop pensé. Inutile de rappeler que nous dénonçons également toute action ou campagne menée au nom des victimes de violences policières sans qu’elles n’en soient à l’initiative ou qu’elles n’y soient pleinement associées.

Nous ne cherchons pas à diviser, nous sommes les premier.es, avec les collectifs de familles de victimes et les luttes des quartiers populaires, à subir cette division. Mais nous avons la sensation que le combat porté par ces collectifs de familles est manipulé au gré des circonstances et des ambitions politiciennes des un.es et des autres, qui ne se rendent même pas compte que ces calculs font du tort au combat contre les violences d’État.

Par conséquent, nous avons choisi de ne plus signer d’appels ou de pétitions, dans la mesure où cela nous mets dans des situations intenables, consistant à se retrouver régulièrement cosignataires avec des personnes ou des groupes politiques qui nous paraissent politiquement confus, dangereux et/ou opportunistes.

Nous attendons, surtout dans la période actuelle, que les collectifs politiques auxquels nous nous associons se positionnent de manière claire sur leurs intentions et objectifs politiques. Face à l’autoritarisme, au capitalisme, au sexisme, au racisme (ainsi que la fermeture des frontières quelle qu’en soit la justification), nous ne voulons plus transiger au prix de notre propre intégrité et de notre sécurité.

Nous dénonçons toute action ou campagne visant à distinguer certaines victimes des autres, à légitimer certaines violences d’État ou à demander l’interdiction de moyens de force (armes, grenades, munitions, techniques d’immobilisation) dans certain.e.s situations, dans certains quartiers ou contre certain.e.s catégories de personnes, mais pas pour d’autres. Par conséquent, nous ne soutiendrons plus aucune initiative appelant à interdire l’usage des lanceurs de balles dans le seul cadre des manifestations (y compris d’un point de vue stratégique/juridique) et nous appelons tous les collectifs contre les violences policières à faire de même.

Nous soutenons les victimes de violences d’État et leurs proches à condition qu’elles ne s’associent pas activement à des politicien.ne.s dans des logiques électoralistes et ne négocient pas leur existence publique avec des partis, des représentant.e.s politiques ou des stars du show business, qui jouent de fait le jeu du système qu’iels prétendent combattre.

Nous n’adhérons à aucune logique de masse consistant à « être le plus nombreux.ses dans la rue » au sacrifice de la cohérence et de la subversivité réelle de notre action. L’argument de la « convergence des luttes » et du « front commun » nous amènent trop souvent à ne pas concevoir d’alternative politique au-delà de la manifestation, et de subir continuellement la répression sans jamais mettre sur pied de moyens de défense solides, de rapport de force dans la durée, ni de projet de société à long terme.

En terme d’action concrète, nous oeuvrons à la mise sur pieds d’outils autonomes au service des personnes, familles et collectifs concerné.e.s par les violences d’État, tel que réseaux de solidarité juridique, comité d’investigation indépendant sur les crimes d’État, outils d’information numériques, collectes d’argent…

Nous invitons toutes et tous à la vigilance face à une remontée exponentielle et fulgurante de l’autoritarisme (de droite comme de gauche), qui nous interdit de transiger avec des groupes entretenant la confusion politique, confusion qui a porté le fascisme au pouvoir dans les années 1930 et le fera tout aussi bien si nous ne sommes pas alertes dans les années à venir.

Prenons garde à nous, prenez soin de vous.

« L’Assemblée des Blessé.es francilienne et ses composantes », le 1er mars 2020.

https://iaata.info/Declaration-politique-avant-la-marche-du-14-mars-contre-les-violences-4067.html