L’antisémitisme, c’est du racisme ?
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Eh bien non. Pour une certaine opinion juive, on aurait tout faux : « Non, l’antisémitisme n’est pas une composante du racisme ». C’est le titre d’un article publié en 2018 dans la revue Regards, organe du Centre communautaire laïc juif, association bruxelloise d’orientation sioniste libérale. Cet article explique que « il y a des différences majeures entre les deux phénomènes » : celui qui vise les seul·e·s Juifs/ves et celui qui vise tous les autres groupes. Curieusement, la même thèse est défendue sur le site complotiste alterinfo.net qui dénonce « l’amalgame trompeur entre racisme et antisémitisme » pratiqué par « les juifs » alors que, en réalité, « l’antisémitisme n’a rien à voir avec le racisme ».
Pour l’extrême droite antisémite, cette distinction vise à l’évidence à valider ses propres obsessions ciblées. Par contre, l’article publié dans Regards cherche à donner un fondement intemporel à une distinction déjà ancienne mais qui renvoie à des circonstances historiques précises. Évitons les anachronismes. L’antisémitisme moderne (à base ethnique et non plus religieuse) ne date que de la fin du XIXe siècle. Depuis, de l’affaire Dreyfus à la Shoah, il a marqué l’histoire européenne. La première association antiraciste européenne, la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), quand elle se crée en 1928, ne s’occupe que de l’antisémitisme. Elle s’appelle à ce moment Lica et ne devient Licra qu’en 1979. Né en 1949 également en France, le Mrap (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix) change de nom en 1989 en gardant son sigle pour devenir le « Mouvement contre la racisme et pour l’amitié entre les peuples » dans le but, écrivait l’historien Gérard Noiriel, « d’inscrire le combat contre l’antisémitisme dans une perspective plus vaste de lutte contre le racisme colonial » dont on ne prendra vraiment conscience qu’avec la décolonisation. En revanche, son équivalent belge, le Mrax (Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie), né en 1966, conserve sa dénomination jusqu’à aujourd’hui. Cette distinction se perpétue de manière rituelle dans le langage officiel courant.
Oui, l’antisémitisme a des caractéristiques qui lui sont propres. La principale aujourd’hui est que les Juifs/ves, si ils et elles sont toujours victimes de préjugés et de crimes de haine, échappent presque totalement aux discriminations structurelles qui frappent principalement les Noir·e·s et les Arabes. Car le monde a radicalement changé depuis l’affaire Dreyfus et le génocide nazi. Les Juifs/ves d’aujourd’hui n’occupent plus la même position dans la société que ceux et celles d’hier. De nouvelles populations qui nous ont rejointes et ont fait souche sur le sol européen, issues de la colonisation et de l’immigration du travail, ont pris la place des Juif/ves tout en bas de la pyramide « raciale ». La négrophobie et l’islamophobie ont émergé comme nouvelles formes spécifiques de racisme. Elles ont chacune des mécanismes propres et peuvent, comme l’antisémitisme, se relier à un récit séculaire : l’imaginaire de l’occident chrétien ne s’est pas seulement construit contre les Juifs/ves, mais aussi contre les Musulman·e·s depuis les croisades et contre les Noir·e·s depuis la mise en œuvre de la traite négrière occidentale au XVe siècle.
Deux dérives
Deux dérives doivent être évitées : d’une part, celle de l’antiracisme abstrait qui nie les identités collectives et ignore les dimensions structurelles du racisme pour le réduire à une infirmité morale et, d’autre part, la survalorisation des différences qui vise à séparer les différentes formes de racisme pour en faire des phénomènes autonomes justifiant des traitements différenciés.
Cette dernière tentation est présente dans la part de l’opinion juive qui s’échine à distinguer l’antisémitisme du racisme. Une distinction qui ne fait qu’alimenter une « concurrence des victimes » entre, notamment, Juifs/ves et Musulman·e·s, chaque groupe cherchant à mettre en avant ses propres souffrances et à minorer celle de l’autre groupe. Cette concurrence entre en résonance avec le conflit israélo-palestinien et notamment avec la diplomatie de l’État d’Israël qui cherche à faire passer toute critique à son égard pour de l’antisémitisme, avec malheureusement un certain succès. Ainsi, les caricatures de Mohammed et les critiques même acerbes de l’islam relèvent à l’évidence de la liberté d’expression, mais la critique sévère d’Israël ou du sionisme serait de l’antisémitisme et devrait faire l’objet de poursuites judiciaires. Cette distinction explique l’absence de la plupart des organisations juives dans les multiples regroupements antiracistes. Évidemment, si on pense que « l’antisémitisme n’est pas une composante du racisme », pourquoi faudrait-il participer à de tels regroupements ?
Aujourd’hui que les crimes contre des Juifs/ves et des Musulman·e·s sont principalement commis par des adeptes de la suprématie blanche mettant les un·e·s et les autres exactement dans le même sac, ne faut-il pas au contraire mettre en avant tout ce qui permet une lutte commune contre le racisme sous toutes ses formes ? Pour cela, il faudra bien arriver à dépasser les contentieux qui séparent les différentes communautés minoritaires (et il y en a aussi entre les Arabes et les Noirs). Oui, il faut reconnaître les singularités des différentes formes de racisme. Cette reconnaissance est une dimension du respect dû aux diverses minorités issues de l’immigration. Elle permet une approche plus fine du racisme, comme phénomène général de hiérarchisation des êtres humains. Mais ne faisons pas aux racistes le cadeau de notre division. La tentation de ne se préoccuper que de sa propre cause communautaire en ignorant celle des autres, notamment en fantasmant de l’antisémitisme partout, ne peut que conduire à l’isolement et à l’échec.
Ce billet s’inspire des Lignes de force contre le racisme en général et l’antisémitisme en particulier de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Un document à lire.
https://leblogcosmopolite.blogspot.com/2020/03/controverse-lantisemitisme-cest-du.html
https://leseumcollectif.wordpress.com/2018/05/05/etre-au-clair-sur-lantisemitisme/
La lutte contre l’antisémitisme bute sur un paradoxe : l’antisémitisme est omniprésent mais les antisémites revendiqués sont marginaux. On observe un phénomène analogue à propos d’autres oppressions systémiques quand de fortes mobilisations ont fini par marquer du sceau de l’infamie des idéologies criminelles. La résolution de ce paradoxe est pourtant immédiate : quand quelqu’un assure n’être « pas antisémite », il n’y a tout simplement aucun crédit à accorder a priori à cette déclaration.
Ce texte s’adresse à tou-te-s celleux qui se réclament d’une manière ou d’une autre de la lutte contre le racisme. Plutôt que de recenser en vain les qualités qui garantiraient un-e bon-ne allié-e « certifié-e pas antisémite », on a listé ici sans exhaustivité des tendances (parfois très) problématiques observées dans nos milieux et qui sont incompatibles avec un engagement clair contre l’antisémitisme.
Dans l’antiracisme autonome ou la gauche radicale
1. Si tu n’abordes jamais la question de l’antisémitisme sauf pour dénoncer « le chantage à l’antisémitisme », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
2. Si dans ton esprit, la catégorie des « racisé-e-s » n’inclut pas les Jui-f-ve-s ou si tu prétends que « les Jui-f-ve-s ne sont pas racisé-e-s », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
3. Si tu instrumentalises la lutte contre l’antisémitisme en suggérant que tel ou tel acte ou propos raciste aurait davantage fait réagir s’il avait visé des Jui-f-ve-s, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
4. Si tu dénonces un soi-disant « philosémitisme d’Etat », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
5. Si tu considères que le simple fait qu’une accusation d’antisémitisme soit portée par des réactionnaires ou des racistes suffit à la disqualifier, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
6. Si tu ne peux pas traiter de la question de l’antisémitisme sans t’empresser de changer de sujet en abordant d’autres formes de racisme, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
7. Si tu prétends que les Jui-f-ve-s contrôlent la finance, la politique, les médias ou carrément le monde ou que tu diffuses des théories du complot de toutes sortes, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
8. Si tu ergotes sur la pertinence du terme d’« antisémitisme » au motif que « le Judaïsme est une religion, pas une race » ou que « tous les sémites ne sont pas Jui-f-ve-s » , tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
9. Si tu prétends que les Jui-f-ve-s sont la cible de violences mais pas de discriminations, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
10. Si tu minimises l’antisémitisme à gauche en y voyant la simple expression d’un « anticapitalisme des imbéciles », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
11. Si non-Jui-f-ve, plutôt que de te remettre en question face à des accusations d’antisémitisme émanant de camarades Jui-f-ve-s, tu as le réflexe de rejeter ces accusations, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
12. Si tu décris la circoncision comme une pratique barbare, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
13. Si tu milites contre l’abattage rituel, y compris sous couvert de véganisme militant, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
14. Si tu te plains qu’« on parle trop de la Shoah » ou que tu dénonces la « pornographie mémorielle », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
15. Si tu dénonces « le communautarisme », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
16. Si tu prétends que la France de Vichy « a sauvé des Jui-f-ve-s » ou que tu fais la promotion de thèses négationnistes, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
17. Si ta lutte antiraciste prend en compte tous les avatars du racisme à l’exception de l’antisémitisme, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
18. Si tu emploies le name-dropping de personnalités juives honnies comme levier de mobilisation, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
19. Si tu prétends que les Jui-f-ve-s n’ont pas été soumis partout où iels ont vécu-e-s, à un statut d’infériorité assorti de persécutions, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
20. Si au nom d’une conception dévoyée de la laïcité, tu t’opposes au port de signes religieux ostentatoires à l’Ecole ou même dans l’espace public, que tu dénonces les menus de substitution dans les cantines scolaires ou les absences liées aux fêtes religieuses, tu n’es au clair ni sur l’antisémitisme ni sur l’islamophobie.
21. Si tu as manifesté pour la « séparation du CRIF et de l’Etat », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
22. Si tu suspectes de double allégeance des politicien-ne-s français-e-s au motif qu’iels sont Jui-f-ves ou marié-es à un-e Jui-f-ve, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
23. Si tu déplores la loi réprimant la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
24. Si tu appelles « censure » la mobilisation ayant permis la « suspension » de la réédition des pamphlets antisémites de Céline par Gallimard (qui souligne ne pas y renoncer), tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
25. Si tu présentes Israël comme le principal obstacle à la paix dans le monde, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
Au quotidien
26. Si tu emploies des expressions comme « en Juif » pour dire « tout seul » ou « fais pas ton Juif » pour reprocher à quelqu’un son avarice, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
27. Si non-Jui-f-ve-s, tu pratiques l’humour oppressif à l’encontre des Jui-f-ve-s, peu importe que tu invoques Desproges à tort et à travers, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
28. Si un-e bourgeois-e Jui-f-ve est plus odieus-e à tes yeux qu’un-e bourgeois-e blanc-he, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
29. Si un-e prolétaire Jui-f-ve est un peu suspect-e à tes yeux, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
30. Si en voyant un enfant portant une kippa, tu sens monter en toi « le prélude de [ta] ruine intérieure », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
31. Si tu crois qu’il existe un « privilège juif », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
32. Si tu reproches aux Jui-f-ve-s de pratiquer l’entraide, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
33. Si tu t’entêtes à ne voir qu’un crime crapuleux dans l’assassinat d’Ilan Halimi ou de Mireille Knoll, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
En prétendant lutter contre l’antisémitisme
34. Si tu as signé le « manifeste contre le nouvel antisémitisme » ou que tu détournes la lutte contre l’antisémitisme au profit d’un combat islamophobe, dédouanant au passage le suprémacisme blanc de ses responsabilités, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
35. Si tu instrumentalises la Shoah ou l’antisémitisme pour justifier la persécution des Palestinien-ne-s ou disqualifier leurs revendications légitimes, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
36. Si tu ériges les Jui-f-ve-s en minorité modèle, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
En soutien aux luttes Palestiniennes
37. Si tu dénonces plus volontiers le « sionisme » que la colonisation ou l’occupation, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
38. Si tu crois normal d’exiger des Juif-ve-s de France qu’iels se « désolidarisent » d’Israël, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
39. Si des débordements antisémites ne sauraient ternir à tes yeux le succès d’une large mobilisation en soutien au peuple Palestinien, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
40. Si confronté à l’antisémitisme dans ton mouvement, tu te réfugies derrière une caution juive, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
41. Si tu emploies le terme « sioniste » comme une insulte, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
42. Si tu qualifies de « génocide » les massacres et le nettoyage ethnique perpétrés par Israel à l’encontre des Palestinien-ne-s pour suggérer que les victimes d’un génocide seraient devenues les perpétrateurs d’un autre, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
43. Si tu promeus une « solution » au conflit Israélo-Palestinien exigeant l’exil massif des Israélien-ne-s Jui-f-ve-s, tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
44. Si non-Jui-f-ve, tu invoques des préceptes de théologie juive pour défendre ton « antisionisme » ou ton « sionisme », tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme.
45. Enfin, si tu n’es pas au clair sur l’antisémitisme et que tu instrumentalises les souffrances des Palestinen-ne-s au service de ta haine des Jui-f-ve-s, tu n’es pas non plus au clair avec les luttes Palestiniennes.
Alors je suis assez d’accord globalement avec le commentaire. Quelques précisions/questions cependant :
Je pense que chaque racisme ou presque a sa propre façon de fonctionner (pour schématiser bcp : paternalisme avec les noirs, crainte avec les arabos-musulmans, antisémitisme avec ces soupçons de “vrai pouvoir” et de vérités cachées etc…).
Là dessus, je suis d’accord. Et du coup, le terme de racisme se retrouve a avoir deux sens (ce qui n’est pas un souci). Le sens plus formel, donc le fait de juger sur la “race” -et qui inclut l’antisémitisme, et le sens plus usuel, que cet article distingue de l’antisémitisme.
J’ai juste une question (et c’est pas une question rhétorique) sur l’argument 12 à propos de la circoncision : selon se même raisonnement, que dire de l’excision ? Je sais pas si c’est vraiment comparable… Mais qu’en pensez vous ?
Merci pour l’article et le commentaire
et bien je ne suis pas clair sur l’antisemitisme
CRISE D’IDENTITÉ
Il est clair que, puisque les identités façonnent nos expériences, nous ne pouvons pas faire une croix sur l’identité comme si c’était sans importance. Cependant, il est tout aussi clair que nous ne pouvons pas nous permettre de maintenir les identités qui nous sont imposées. Ainsi, une apparente contradiction surgit entre la nécessité de reconnaître l’identité construite socialement, et les tentatives de détruire la société de classes qui impose ces identités. Cette contradiction se révèle difficile, avec une gamme de réponses qui s’étendent du mépris pour la destruction de la société de classes au mépris de l’identité, en passant par de nombreux autres arguments, quelque part entre ces deux positions.
Identité, politique et anti-politique
Comme mentionné dans la section ci-dessus, une fois que certains cercles de Bash Back ! se furent complètement débarrassés des tendances libéro-pacifistes, le conflit allait s’orchestrer entre militantEs et insurrectionnalistes, qui s’opposaient sur la question de l’identité. Bien que les conflits sur la question de la violence cités plus haut se soient souvent développés en parallèle des discussions sur l’identité, je me soucie plus des discussions sur l’identité qui prennent la violence pour une évidence. Cela permettra de mettre en lumière une série de questions et de conflits spécifiques à Bash Back ! Une perspective possible sur ce conflit serait de séparer les partisanEs en deux groupes, avec les militants de la politique identitaire d’un côté et les anti-identitaires de l’autre. Le premier prend l’identité pour une évidence et une condition préalable qui doit déterminer comment nous nous organisons et luttons, le second désigne l’identité comme l’ennemi. Les positions au sein de ce conflit n’étaient pas stables – les individus et les groupes au sein de la tendance Bash Back ! pouvaient aussi bien incarner l’une ou l’autre de ces positions, ou les deux à la fois. Je vais écarter de nombreuses spécificités de ces conflits, puisque bon nombre d’entre elles devrait rester du domaine de l’abstraction, et que pour le reste je ne suis pas la personne indiquée pour en parler. Je choisirai plutôt de me concentrer sur le fondement théorique de cette confrontation et je laisserai la place à celleux qui l’ont vécue pour se situer au sein de cette lecture.
Ce problème interne à Bash Back ! est tout à fait approprié dans la mesure où il s’agit d’une problématique queer. Le fait d’être queer est en soi un territoire contesté, ouvert à des débats et critiques sans fin. Pour une certaine catégorie de personnes, le fait d’être queer est un projet positif, avec son propre ensemble de normes et de formes communautaires. Pour d’autres, le fait d’être queer ne peut être conçu que négativement, comme ce qui dépasse ou ne parvient pas à répondre à un ensemble de normes. C’est ainsi que « Queer » devient une catachrèse, ou un nom donné à tort ce qui ne peut être nommé. Une étiquette apposée sur ce qui ne peut être étiqueté. Les prises de position au sein de Bash Back ! avaient comme point de départ de multiples positions au sein de cette matrice théorique complexe. Il faudrait débattre de si la position d’unE participantE au débat découlait souvent directement ou non de son contexte (anti-politique). CeLLEux qui ont rejoint Bash Back ! en passant par les études de genre avaient tendance à se conduire comme des troupes d’assaut militantes au service de n’importe quelle doctrine glanée auprès de leurs professeurEs. CeLLEux qui étaient empêtrées dans les cercles anarchistes insurrectionnalistes avaient tendance à faire preuve d’une forte (et parfois peut-être trop sévère) aversion envers la lutte basée sur l’identité, et se concentraient plutôt sur la localisation des points de conflit au sein de l’identité. CeLLEux qui venaient de scènes queer établies ont apporté avec eLLEux toute une gamme d’attentes en matière de comportement et de langage – attentes souvent étrangères à ceLLEux qui n’étaient pas familiarisées avec ce genre de cliques. Ce qui est si queer dans l’ensemble des conflits en jeu au sein de Bash Back !, c’est que chacune de ces positions s’imprégnait de l’autre, donnant naissance à un large éventail de perversions.
Je tiens à dire que bon nombre de ces conflits ont permis une certaine synthèse qui pourrait se révéler bénéfique pour les anarchistes dans les luttes à venir : l’expérience doit être la base de la lutte. Si nous comptons nous engager dans des luttes matérielles contre l’ordre social, nous devons partir de nos propres expériences vis-à-vis de cet ordre. Cela veut dire que ceLLEux qui partagent un ensemble d’expériences face au capitalisme auront une longueur d’avance toute naturelle pour forger des alliances contre la société. Voici la graine de vérité qui germe au cœur de l’identité. Malheureusement, tant de couches d’abstraction et de mystification héritées de la politique identitaire étouffent cette graine. Tout effort qui vise à renforcer un pouvoir autonome basé sur notre position à l’intérieur et à l’encontre de la société doit commencer par renoncer au bagage illusoire de la politique identitaire.
Voici un rapide aperçu de certaines positions anti-politique identi- taire distillées par Bash Back ! :
– La politique identitaire est toujours basée sur l’aplanissement de l’expérience, ce qui rend la critique de la société abstraite plutôt que vécue.
– La politique identitaire promeut les alliances entre classes, permettant ainsi à ceLLEux qui jouissent d’un pouvoir plus ample (et qui trouvent donc leur intérêt dans la prolifération de la société de classes) de réduire au silence les personnes les plus marginaliséEs au sein de ces alliances.
– La politique identitaire est enracinée dans l’idéologie de la victimisation, et en vient à célébrer et imposer des normes qui déterminent à quelle activité les participantEs peuvent se livrer ou non. Cela renforce certaines mythologies au sujet de la lutte (par exemple « seuls des hommes blancs cis participent aux black blocs » ou « les oppriméEs sont incapables de certaines stratégies de révolte »).
– La politique identitaire est toujours basée sur l’idée fausse de communautés cohérentes. Comme l’ont dit certainEs FrançaisEs : « les différences éthiques au sein de chaque “peuple” ont toujours été plus grandes que les différences éthiques entre les “peuples” eux-mêmes. ». C’est-à-dire que ceLLEux qui sont piégéEs à l’intérieur de certaines « communautés » ou identité confinées ont souvent moins de choses en commun entre elles qu’avec ceLLEux qui sont censéEs leur être opposéEs. Cette erreur se nourrit de l’abstraction de l’expérience plutôt que de l’analyse de l’expérience vécue en tant que telle. UnE queer en prison a plus en commun avec sa compagnonNE de cellule hétéra qu’avec une ordure de sénateur gay, et pourtant la mythologie de la « communauté LGBT » sert à étouffer les ennemiEs de la société et à les asservir à leurs représentantEs auto-proclaméEs.
– La politique identitaire est fondamentalement réformiste et cherche à trouver une relation plus favorable entre différentes positions de ses sujets plutôt que d’abolir d’emblée les structures qui produisent ces positions. Les partisanEs de la politique identitaire s’opposent au « classisme », pourtant ielles se contentent de laisser intacte la société de classes. Toute résistance à la société doit être au premier plan de la destruction des processus subjectivants qui reproduisent la société au quotidien, et doit détruire les institutions et les pratiques qui racialisent et genrent les corps au sein de l’ordre social.
– La politique identitaire est déployée par l’État, elle y fait intrinsèquement référence, elle le valorise systématiquement, elle lui appartient ; la politique identitaire, c’est l’État.
Si l’on prend cette analyse à cœur, Bash Back ! peut être vu comme une tentative de forger une pratique de résistance depuis l’expérience vécue en dehors de la logique de la politique identitaire. Bien que que son auteurE ne soit pas unE participantE de Bash Back !, nous avons inclus un texte écrit par des anarcho-féministes de San Francisco, intitulé « Anarcho-féministes dans la rue ». Ce texte, publié au moment de la crise identitaire de Bash Back !, offre un moyen unique et exceptionnel de conceptualiser le patriarcat pour mieux lui résister.
Citation :
« Ironie du sort, en dépit de notre critique, et parfois notre haine, envers la politique identitaire, nous voilà pourtant réuniEs autour d’une identité (un peu en vrac) : Nous sommes des personnes qui ne veulent plus être victimes de la tyrannie du genre et de la misogynie. Dans ce groupe, nous espérons contourner, dans une certaine mesure, notre genre et ce que cela implique pour nous dans ces vies que nous vivons dans ce monde d’hommes, afin de mieux pouvoir imaginer un monde où la dynamique du genre n’influencerait pas chaque interaction. Nous nous unissons pour nous battre pour une réalité où les identités tels que “homme”, “femme” et “trans” sont des illogismes. »
Je suivrai les auteurE(s) du communiqué anarcho-féministe car elles s’envisagent elles-mêmes comme unies dans leurs désirs et leurs dispositions, plutôt que dans leurs identités. Sans référence à un sujet partagé ou stable, les auteurEs de cet article posent les jalons d’une force anti-essentialiste, anti-identitaire pour lutter contre le patriarcat. Dans un contexte où le féminisme deuxième vague refait surface dans les cercles insurrectionnalistes anarchistes/communistes, ce mode de pensée est une bouffée d’air frais. Il nous propose des pistes pour construire le type de machine de guerre capable de détruire le genre. C’est pourquoi je ne conçois pas Bash Back ! comme enraciné dans l’identité queer. Je l’envisage plutôt comme une expérience dans la construction d’une constellation offensive de prises de positions queers.
Bash Back
QUEER ULTRA VIOLENCE
le seum = libertariens
jdçjdr
dans la liste eu commentaire ci-dessus, je ne comprend pas la partie sur l’abattage rituel, une personne pourrait le l’expliquer (pas l’abattage mais le rapport entre être pas clair sur l’antisémitisme et le veganisme) ?
C’est quoi “LA politique identitaire”? C’est qu’un seul bloc de gen.te.s qui seraient toutes d’accord entre elles et appliqueraient doctement des dogmes? Ca vient faire quoi sous un article qui parle de racisme et d’antisémitisme? Qui l’a posté? Une personne blanche cis mâle pas racisée? Ah non c’est vrai ce serait que reproduire “l’identité” de dire à quelqu’un de pas concerné de fermer sa gueule sur ce qui le regarde pas et de lui renvoyer ses privilèges. Sic…
C’est marrant, certains des arguments me rappellent ceux des mascus de la FA qui voulait faire taire les féministes (l’inter-classisme notamment).
Si je trouve que certaines critiques des “politiques d’identités” (j’aime pas ce mot qui veut rien dire et met pleins de gen.te.s en lutte avec des points de vues différents dans le même panier) sont intéressantes, je suis aussi assez navré de voire qu’elles sont souvent portées par les personnes plus privilégiées, qui aiment pas qu’on leur renvoie la place actuelle qu’ils occupent dans cette société, ou qu’ils puissent pas exercer leur pouvoir dans certains espaces non-mixtes. Au final ça revient souvent à par exemple de dire à des ouvriers qu’il faudrait que les patrons participent à leurs AGs, parce que tu voiiiis, tout çaaaa, c’est que des identités construites socialement pour nous diviser, mais moaaaa, je l’ai compriiis alors je suis au dessus de çaaaa… ReSic…
Enfin quand je lis “machine de guerre”, ou “constellation”, ça sent tellement l’appelisme que j’ai du mal à voire le rapport avec l’insurectionnalisme. C’était à la fin, dommage, sinon je me serais pas fadé tout ce commentaire passablement intéressant d’ailleurs.
En plus mettre ça sous un article qui parle de racisme… Chapeau.
On peut revenir au sujet de l’article sinon?
C’est marrant, certains des arguments me rappellent ceux des anti-Butler et anti-Queer qui voulaient, et veulent toujours, invisibiliser, silencier càd faire taire les post-identitaires ou anti-identitaires en récupérant pour leur boutique autoritaire ( et donc appelistes inclus-es) les concepts, thèses et autres outils de lutte et d’émancipation
Billet d’ Henri Goldman, candidat écolo de Brussel-region, participe à diverses institutions des collectivités et de l’état belge
anti – laïcité (ou plutôt pour être plus à la racine : grand détournement des thèmes, contenus, contextes et histoires), soutien des islamistes d’Europe, d’Erdogan, de Bachar el Assad ainsi que de … Poutine !