RESUMÉ

Au lieu de combattre la pauvreté, on combat les pauvres.

L’Europe : ses quartiers riches et ses banlieues de misère où se généralise la «tolérance zéro». On construit une prison quand on ferme une usine.

Les pauvres en général et les jeunes issus de l’immigration en particulier sont l’objet de toutes les peurs. Passant de l’autre côté du miroir et brisant les clichés, le film les montre dans leur humanité, dans une rue, une prison, un tribunal ou une cave de cité, avec leurs émotions, leurs envies, leurs peurs et leur désespoir.

Loin d’une image de la démocratie européenne où tous ont leur chance, le film, prenant à témoin la France et la Belgique, offre un regard critique et émouvant sur une société parfois sordide et brutale, la nôtre.

«Quelle drôle d’époque ! Que sommes-nous en train de faire ? Avons-nous perdu la raison?»
Chiffres et info

– Prison et niveau d’instruction en Belgique

En Belgique, 30% des détenus n’ont pas atteint le niveau primaire ou sont analphabètes. 75% n’ont pas de diplôme d’enseignement secondaire (général, technique ou professionnel).

– Prisons et psychiatrie en France

Il y a eu, dans les prisons françaises, 104 suicides en 2001 et 120 en 2002, c’est à dire un tous les trois jours. En France, on est passé d’une proportion voisine de 16% d’accusés jugés «irresponsables au moment des faits» au début des années 80, à un taux de 0,17% pour l’année 1997. On estime qu’un détenu sur deux a des troubles de personnalité.

– Vidéosurveillance

En mars 2001, une cinquantaine de caméras de surveillances installées dans seulement deux arrondissements de Lyon dont une vingtaine autour de la place des Terreaux. Coût: 18 millions de F.F. plus l’entretien très coûteux et une douzaine de salaires pour la surveillance. D’autres caméras ont été installées depuis. Une de ces caméras très précises peut lire une marque de bière sur un verre d’une terrasse.

– Marseille: cité Félix Pyat ou Bellevue

(cité en ruines à la fin du film et interview d’une mère de famille). La cité comporte 6.000 habitants. Dans certaines parties, plus d’ascenseur depuis 15 ans. Le loyer est d’environ 400 euros pour un T4. Jusqu’en 1999, personne ne nettoyait l’extérieur, on a enlevé 17 tonnes d’ordures dans une cour intérieure. Certains «marchands de sommeil», marseillais nantis ont acheté des appartements 760 euros pour les louer 380 euros par mois. La caisse d’allocations familiales leur payait directement le loyer. On estime qu’il y a 60% de chômeurs. Le sous-préfet Curé espère une évolution pour avoir «d’ici dix ans, une cité à peu près viable et supportable». Lire Henry M., «Un bidonville vertical» in Libération, 26 décembre 2001, p. 1-3.

– Délinquance

60% des infractions enregistrées en France en 2002 sont des vols.
Augmentation de 13% du nombre des gardes à vues en 2002.
Miracle de l’année: hausse de 4% des chiffres de la délinquance entre janvier et mai 2002 puis baisse de 0,5% à partir de mai, dès que le nouveau gouvernement est mis en place et ce, sans augmentation du nombre de policier. Preuve évidente de la manipulation des chiffres ou de la sympathie bienveillante des délinquants pour le nouveau gouvernement…

– Théorie de la «vitre brisée» et de la «tolérance zéro»

Théories politiques issues du Manhattan Institute qui publie les théories de Wilson et de Charles Murray, gourou du capitalisme reaganien, et pour qui les inégalités raciales et sociales sont le résultat du quotient intellectuel. En résumé: l’homme moins intelligent sera plutôt noir, pauvre, vivant sa relation hors mariage. Il aura une propension au crime. C’est à New York sous la mairie de Giuliani que ces théories seront d’abord mises en œuvre avant d’être importées en Europe. New York embauchait alors 12.000 policiers (effectif total 46.000) et supprimait 8.000 postes dans les services sociaux (total 13.400 postes). Résultat: janvier 1999, quatre policiers new-yorkais tuent de 41 balles un garçon de 22 ans, désarmé et
d’origine guinéenne. Une brigade de choc a arrêté 45.000 personnes sur simple suspicion et seulement une sur onze avait réellement commis un délit. Lire Wacquant Loïc, «Les prisons de la misère», Raisons d’Agir.

– Mise au travail forcé des sans-emploi

Dans différents pays européens (Grande-Bretagne, Belgique…) le welfare s’est transformé en workfare par la mise au travail forcé des chômeurs. En Belgique par exemple, l’allocation de «Minimum de moyens d’existence» (Minimex) a été transformé en «droit d’intégration sociale» avec mise au travail dans des conditions les plus précaires. L’origine de cette pratique est également américaine: Laurence Mead publie en 1986 une thèse qui fera école, «Au-delà des droits: les obligations de la citoyenneté» que l’on peut résumer par «le non-travail est un acte politique» contre lequel il faut recourir à l’autorité. Il faut remplacer l’état-providence par un état punitif pour forcer les pauvres à accepter les emplois pénibles et
précaires. Tout cela écrit en toutes lettres.

– Citation

«Il est juste d’être intolérant vis-à-vis des sdf dans la rue», Tony Blair, rapporté par le Gardian, 10 avril 1997, cité par Wacquant, op.cit.

– Prisons privées

Le nombre de détenus dans les prisons privées d’Angleterre est passé de 200 à 4.000 en huit ans.

– Immigration-délinquance

En France, les étrangers sont plus souvent déférés que les nationaux (68 % contre 35 %).

La Belgique et la France en tête du racisme européen

Selon une enquête effectuée à l’échelle de l’Union européenne au printemps 1997, une personne sur trois se déclare «un peu raciste» et une sur trois affirme ouvertement éprouver des sentiments «plutôt» ou «très racistes». La Belgique arrive largement en tête avec 22% se déclarant «très racistes», suivie par la France (16%) et l’Autriche (14%). (Eurobaromètre 47.1)

Selon l’Eurobaromètre 2002, dans la population européenne, quatre explications justifient l’idée que l’immigration serait «un phénomène plutôt négatif»: le chômage va augmenter (71%), la criminalité va augmenter (60%), il y a déjà trop d’immigrés dans notre pays (57% +40 points par rapport à 2001), il y aura davantage de problèmes sociaux, notre niveau de vie va baisser (53%).

– Racisme en France

En France: une majorité de sondés (51 %) estime indispensable que les personnes d’origine étrangère qui vivent en France adoptent le mode de vie des Français.

Les trois quarts des Français (69 %) expriment à un degré différent un sentiment de racisme ou de xénophobie, selon la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui constate dans son rapport 2000 une stabilité sur dix ans. Selon le sondage Louis-Harris pour l’année 2000, 43 % des personnes interrogées se disaient en 2000 plutôt (12 %) ou un peu (31 %) racistes, 26 % s’affirmaient pas très racistes, et seuls 28 % pas racistes du tout.

En un an, 4 % des personnes interrogées sont passées du «pas très raciste» au «un peu raciste», la CNCDH y voyant une «dégradation» mais aussi une «banalisation» du racisme, tout aussi inquiétante, selon elle. 60 % des Français jugent qu’il y a trop de personnes d’origine étrangère en France.

Le racisme vise surtout les Arabes, avec une forte hausse de l’intolérance à leur égard (+ 12 points en 1999, confirmée en 2000). Pour justifier le sentiment de «rejet», le chômage et l’équilibre des comptes sociaux sont cités par un peu plus de la moitié des personnes.

– Racisme religieux en Europe

La dernière enquête de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) montre que le Danemark et la Belgique sont les deux pays où la présence d’autres religions rencontre le plus d’hostilité au sein de la population. «En moyenne, 15% des citoyens de l’UE expriment une certaine inquiétude à l’égard d’autres religions», note l’enquête, mais le Danemark (32%) et la Belgique (26%) «comptabilisent un pourcentage nettement plus élevé». Ce résultat montre, selon Beate Winkler, la directrice de l’EUMC, que «dans les pays où des partis politiques utilisent la religion comme un élément de leurs campagnes, l’impact sur l’opinion publique est important».

– Le sens de la peine carcérale

Au départ, la prison était un lieu d’expiation par la souffrance et la solitude. Il s’agissait d’une vision religieuse. Le mot «cellule» est d’abord un mot qui appartient au vocabulaire religieux. Etymologiquement la cellule est une petite chambre où l’on est seul. Elle représente un lieu de silence et de recueillement qui favorise la conversion de l’âme à Dieu. La souffrance infligée doit permettre de racheter les fautes.

La symbolique religieuse a ensuite été remplacée par celle de l’économie: être emprisonné c’est payer une dette. C’est rembourser la société.

Aujourd’hui, c’est une utopie pseudo-sociale qui domine: l’enfermement resocialiserait le condamné ! Outre l’impossibilité de l’idée, on peut remarquer qu’il n’est jamais question de remédier au causes sociales de la délinquance. La faute n’est jamais dans la structure sociale, toujours dans l’exclu. La preuve dans les propos d’un directeur des services pénitentiaires de Paris: «Les délinquants sont des inadaptés sociaux et la finalité carcérale est de les remodeler pour les rendre aptes au fonctionnement de la société.» Autrement dit, leur apprendre à accepter leur
condition.

– Nombre de détenus

Aux États-Unis, le taux d’incarcération a quadruplé en vingt ans, tandis que la criminalité est restée stagnante. En France de 380.000 détenus en 1975, on est passé à 1,6 millions en 1995 avec une croissance de 8% l’an. Or les crimes et délits n’ont évidemment pas augmenté de 160%.

Aux États-Unis, la prison est devenue l’outil central de gestion de l’insécurité sociale et il semble que l’Europe suive le même chemin.

– Prison et pauvreté

Il n’y a aucune corrélation entre le taux d’incarcération et le taux de criminalité. (lire à ce propos: Rushe et Kirchheimer, Peine et structure sociale). En revanche, il y a un rapport étroit entre le taux d’incarcération et le taux de chômage observé dans un pays. De nombreuses études empiriques le démontrent dans différents pays. La prison est donc une
manière de faire pression et d’imposer le salariat précaire et sous-payé quand l’offre de main d’œuvre dépasse la demande.

– Pauvreté et psychiatrie

En Belgique: 56% des tentatives de suicide touchent des personnes affectées par des conditions socio-économiques défavorables. (GOSSET Ch, Aspects
épidémiologiques du Suicide. In: Observatoire n°2, 1994.)

Les taux de suicide en Belgique et en France sont les plus élevés d’Europe (si l’on excepte la Finlande dont la situation est particulière). Beaucoup plus qu’aux Etats-Unis ou au Japon. Pour 100.000 habitants: 49,2 suicides annuels en Belgique, 41,2 en France, 24 aux Etats-Unis, 37 au Japon et 7 en Grèce.

– École et violence

Description d’une classe dans une école française: citation du livre: Collèges de France, de Mara Goyet, éditions Fayard.

«Le père d’une élève s’est suicidé. Depuis, elle a des pertes de mémoire et tombe sans cesse malade. La mère d’un jeune garçon ne veut plus l’avoir à sa charge, il vit désormais chez ses grands-parents. Le jour de son
anniversaire, il attend sa visite toute la journée, elle ne vient pas. Il s’endurcit.

Une jeune fille dont la naissance n’était pas désirée est élevée par ses grands-parents, qui l’infantilisent. Elle suce son pouce à longueur de cours.

Un élève fait des allers-retours entre le domicile de sa mère et des familles d’accueil. Il est dans l’affrontement perpétuel.

Un de ses camarades arrive tout juste d’Afrique; son père meurt d’une crise cardiaque deux mois plus tard.

Une autre débarque précipitamment d’Algérie; on a peine à imaginer ce qu’elle y a vu et perdu.

Tous ces cas dans une seule et même classe. Ils vont mal, ils en donnent tous les signes. Ils deviennent souvent incontrôlables. Ils se montrent odieux. Ils restent sans aide, sans soins. Ils sont tous les jours devant nous. Notre sévérité et notre agacement envers eux nous paraissent tour à tour du respect et de la cruauté. Nous tentons de comprendre sans excuser.
Nous nous efforçons de faire abstraction, d’éviter l’empathie, de travailler hors contexte, hors société. Dans tous les cas nous sommes injustes, balourds, peu délicats. La misère du monde pénètre au collège et nous ne savons qu’en faire. Alors on se dit que le mieux est de continuer à travailler normalement, de juger des résultats scolaires, de vérifier que les devoirs ont été faits, de veiller à ce que chacun se tienne bien en
classe, comme si de rien n’était. De ne considérer que l’élève. Toujours avec l’idée que l’on est peut-être monstrueux.»

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