Sentiment de malaise dans l’écho médiatique de l’anniversair
Catégorie : Global
Thèmes : AntifascismeArchivesRacisme
L’écho médiatique de la libération des camps d’extermination nazi laisse ces jours-ci un sentiment de malaise. Non pour pas pour sa « quantité », qui est plus que jamais méritée, mais pour sa qualité.
Lorsque les tragédies des années 1930 et 40 semblent se résumer soixante ans plus tard à un face à face exclusif entre Juifs et nazis ou « aryens », je me dis qu’Hitler ne serait pas si mécontent de ce bilan mémorial, et qu’il n’a pas entièrement perdu la bataille du vocabulaire.
Lorsque l’unicité de la Shoah (son caractère unique dans l’Histoire, parfaitement indiscutable) prend un caractère plus que jamais métaphysique et métahistorique, je me dis que la démocratie, l’antiracisme et l’antifascisme n’ont rien à y gagner.
Lorsqu’on arrive à nous faire oublier, comme un tabou contemporain, le nombre exceptionnel et admirable de Juifs résidant en France en 1940 qui ont pu échapper finalement à la déportation, grâce aux humbles gestes de solidarité élémentaire accompli par d’innombrables Justes anonymes, je me demande quelle compréhension historique nous voulons offrir aux jeunes générations, et si nous ne devenons pas, malgré nous, des professeurs de désespoirs.
Lorsqu’est esquivé méthodiquement le long supplice de dizaines de milliers de héros de la Résistance (dont la générosité et la lucidité nous ont tant manqué après-guerre), je me demande qui aurait intérêt aujourd’hui à mettre en concurrence la souffrance des uns et des autres, et si messieurs Pétain, Laval, Déat, Doriot, Henriot, Darnand et Brasillach n’auraient pas finalement remporté la guerre des médias.
Lorsque que les plus grands noms survivants des vétérans de la Résistance publient à Paris le 8 mars 2004 un Appel solennel à célébrer et à réactiver le Programme social et démocratique du Conseil national de la Résistance (CNR), et que cet appel exigeant a encore si peu d’échos, je me demande comment les profs vont pouvoir expliquer la nature des « Jours heureux » de la Libération de 1945 et des « Trente glorieuses » qui ont suivi, avec la Sécurité sociale pour tous, le droit à la culture, des lois ouvrières et agricoles, l’abolition des lois antisémites, les libertés individuelles, et une presse délivrée de l’influence des financiers.
Lorsque cette semaine de janvier 2005, tout près de chez moi, un maman africaine « sans papiers » est arrêtée, et froidement séparée de ses enfants placés par l’administration (ce qui est tout nouveau dans ces procédures), je ne confonds pas avec Papon (surtout pas !), mais je ne peux m’empêcher de faire l’analogie avec de virtuels apprentis Papon du XXIème siècle qui vient.
Plus que jamais, il est temps de relire le message de Marc Bloch, Juif et Français, immense historien et grand Résistant fusillé, car il ne parle pas pour rien, mais bien pour notre génération.
Luc Douillard, professeur de français et histoire-géographie en Lycée professionnel (Nantes).
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