Fonder des territoires – par raoul vaneigem
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Category: Global
Themes: AntifascismeResistances
– Il est vain d’attendre de l’arrogance de l’État et de la cupidité des multinationales qu’elles tolèrent notre résolution de fonder et de propager des collectifs hostiles à toute forme de pouvoir — à commencer par la prédation des ressources naturelles. Mais qu’il soit tout aussi évident de notre part que nous n’avons nullement l’intention de tolérer leur répression bottée, casquée, épaulée par la veulerie journalistique. Nous n’allons pas nous incliner devant la désertification programmée de ce qui vit en nous et autour de nous.
– L’écrasement de la tentative communaliste de Notre-Dame-des-Landes est un coup de semonce, parmi d’autres, de l’ordre mondial et de ses rouages étatiques.
Le gouvernement mexicain et ses paramilitaires menacent sans discontinuer les collectivités zapatistes.
Les intérêts de l’Occident et des dictatures pétrolières isolent les combattant-e-s du Rojava qui opposent à ce parti de la mort, dont la barbarie islamisée n’est pas la seule composante, une société résolue d’instaurer non les droits d’un peuple, non les droits du peuple, mais les droits de l’être humain.
La vie est notre seule revendication.
Nous refusons sa version rapetissée, amputée, sacrifiée. Nous la voulons souveraine.
Nous la voulons créant et recréant sans cesse notre existence et notre environnement.
Elle est pour nous le ferment d’une société où l’harmonisation des désirs individuels et collectifs soit le fruit d’une expérience passionnelle. Pour mener plus avant une telle entreprise, nous n’avons d’autres armes que la vie elle-même.
- « En matière d’utopie vous avez choisi la pire : la croyance en une économie libératrice, en un progrès technique conduisant au bonheur. »
Utopie
Vous qui nous taxez d’utopistes, ayez l’honnêteté de convenir qu’en matière d’utopie vous avez choisi la pire : la croyance en une économie libératrice, en un progrès technique conduisant au bonheur. Vous vous êtes mis jusqu’au cou dans la merde et vous traitez de songe-creux, de chimériques, celles et ceux qui s’en échappent pour aller défricher une terre où ils pourront respirer sans risquer de s’embrener.
– Les hordes du profit, les drogués de l’argent fou, les pantins mécaniques qui n’ont d’intelligence que celle des engrenages, tels sont nos vrais ennemis. Les guerres mafieuses dont ils se déchirent entre eux ne sont pas les nôtres, ne nous concernent pas.
Iels connaissent tout de la mort car c’est la seule chose qu’ils savent donner. Ils ignorent tout des richesses que la vie dispense à qui sait les recueillir. C’est un territoire inconnu pour eux que la créativité et l’imagination dont chaque enfant, chaque femme, chaque homme dispose quand il est à l’écoute de sa volonté de vivre.
La peur de se jeter dans la bataille pour réaliser ses désirs les plus chers est l’un des effets les plus déplorables de la servitude volontaire. Pour rhétorique qu’elle soit, l’exhortation de Danton « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! » retrouverait sa pertinence si elle animait celles et ceux qui tentent l’aventure de territoires arrachés à l’État et à la marchandise ; si elle les déterminait à outrepasser la simple résistance qu’ils opposent à l’implantation de nuisances et, sur cette solidarité acquise, à fonder, si modestement que ce soit, des modes de rassemblements collectifs radicalement nouveaux.
Partout où la guérilla subversive et la guerre insurrectionnelle ont obéi au slogan abject « le pouvoir est au bout du fusil » leur triomphe a planifié une situation souvent pire que l’ancienne. À l’État jeté à bas en a succédé un autre, non moins oppressant. Les fusils au service du pouvoir se sont tournés contre ceux qui, en les maniant, leur avait prêté le poids de la liberté. Russie prétendument soviétique, Chine maoïste, Cuba castriste, guévarisme, Farc, Zengakuren, Fraction armée rouge et autres gauchismes paramilitaires, ces palinodies ne vous ont pas suffi ?
– Une leçon à ne pas oublier. La première défaite de la révolution espagnole de 1936 date de ses débuts, lorsque la militarisation exigée par le Parti communiste obtint de transformer en une soldatesque disciplinée les volontaires qui, avec les colonnes armées de Durruti et de ses ami-e-s, avaient brisé la première offensive fasciste. La récupération des initiatives populaires fut menée de conserve avec l’apparition d’un gouvernement dit révolutionnaire où les organisations libertaires (la CNT et la FAI) siégeaient aux côtés des autoritaires (des nationalistes catalan-e-s, des socialistes, des communistes aux ordres de Moscou…).
Le fonctionnel tue. La poésie est une renaissance perpétuelle.
Ce qui fait la puissance répressive de l’État tient moins à sa flicaille qu’à l’État qui est en nous, l’État intériorisé, qui nous matraque de sa peur, de sa culpabilité, de sa désespérance astucieusement programmée.
La plupart des collectivités libertaires ont succombé aux tares résiduelles du vieux monde, qui entravaient leur combat pour un monde nouveau. Les petits chefs poussent aisément sur le fumier de la passivité qu’ils entretiennent.
- « Ce qui fait la puissance répressive de l’État tient moins à sa flicaille qu’à l’État qui est en nous, l’État intériorisé. »
Combien de microsociétés libertaires n’a-t-on vu sombrer dans des rivalités de pouvoir ? Combattre la barbarie et le parti de la mort avec les armes de la barbarie et de la mort condamne à une nouvelle forme de servitude volontaire.
[…] Le parti pris de la vie nous dispense de former un parti. Voyez ce qu’il est advenu du mouvement des Indignés laissant place, en Espagne, au parti Podemos, de l’antiparlementarisme d’un groupe italien, très vite induit à constituer le parti Cinq étoiles et à clignoter de lueurs brunes dans l’hémicycle du gouvernement. En janvier 1938, dans l’Espagne républicaine, le stalinien Togliatti avait déjà révélé l’astuce. Il déclarait préférer l’ouverture d’un front unique avec les instances libertaires (CNT, FAI) plutôt que risquer l’affrontement avec elles. Car, disait-il, l’union permettra de mettre définitivement en déroute l’anarchisme pour la bonne raison qu’aux yeux de la masse ouvrière la CNT a l’avantage de ne pas participer au gouvernement.
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Cultiver les jardins de la vie terrestre (il n’y en a pas d’autres), c’est inventer des territoires qui, n’offrant aucune prise à l’ennemi — ni appropriation, ni pouvoir, ni représentation — nous rend insaisissables. Non pas invincibles mais inaliénables, à l’instar de la vie que sa perpétuelle renaissance délivre de son joug ancestral. Aucune destruction ne viendra à bout d’une expérience que nous sommes déterminés à recommencer sans trêve.
Plus nous développerons l’aventure existentielle de la vie à explorer, plus nous dissuaderons les cadavres, galvanisés par le pouvoir, de transformer la terre en cimetière. Il suffit de peu pour que se grippe et couine le mécanisme qui meut les palotins fonctionnels des instances étatiques. Faites confiance à vous-mêmes non à un Dieu, à un maître, à un gourou. Peu importent les maladresses et les erreurs, elles se corrigeront. Abandonnez Sisyphe au rocher de l’ambition, que son asservissement pousse jour et nuit.
- Notre éducation ne nous a appris que le jeu de la mort. C’est un jeu pipé puisqu’il est entendu que la mort l’emporte dès le premier coup.
C’est au jeu de la vie que nous allons nous initier. Il n’y a ni gagnant ni perdant. Quel casse-tête pour les boutiquiers politiques qui en dehors de l’offre et de la demande ne voient rien, ne perçoivent rien. Cela n’a pas empêché le bulldozer étatique d’écraser les jardins collectifs, la bergerie, les autoconstructions et les rêves sociaux de Notre-Dame-des-Landes ? Certes, mais les yeux morts du pouvoir ne soupçonnent pas que tout se reprend à la base, se reconstruit, recommence et s’affermit.
L’être humain possède en lui, dès l’enfance, un génie ludique. C’est ce génie que ranime la lutte pour la vie : la poésie qu’elle insuffle lui restitue l’énergie que lui ôtait les absurdes luttes compétitives de la survie et du travail. Ne vous étonnez pas que de ses infimes étincelles s’embrase un monde qui aspire aux illuminations de la joie, dont on l’a spolié.
– Le plus sûr garant des territoires libérés de la tyrannie étatique et marchande, c’est que les habitant-e-s accordent la priorité à de nouveaux modes de vie, au développement de la jouissance créative, à la solidarité festive, à l’alliance avec les autres espèces, jusqu’ici méprisées, au progrès de la conscience humaine bannissant toute forme de hiérarchie et de pouvoir.
Plutôt que de qualifier de pacifique l’insurrection de la vie, mieux vaut parler d’un mouvement de pacification.
Nous sommes pris en tenaille entre une volonté de vivre qui ne supporte ni les interdits ni l’oppression et un système dont la fonction est d’exploiter et de réprimer le vivant. Comment mener une guerre en l’évitant ? Telle est la gageure.
– À la périphérie de ce rayonnement vital, de ce noyau insécable, il existe une zone de frictions où se manifeste la vieille hostilité à la vie, une force d’inertie agressive, accumulée depuis des siècles par la servitude volontaire. En marge des terres libres s’étend un no man’s land, une zone d’intranquillité, une frange d’inquiétude. Cette peur s’estompera à mesure que le noyau de vie rayonnera de plus en plus, mais c’est là qu’il peut s’avérer nécessaire d’éradiquer les menaces de destruction qui pèsent sur notre réinvention de la vie. Là se meuvent ceux et celles que stigmatisent du nom de « casseur » les véritables casseurs, les responsables de la dégradation planétaire, les palotins blêmes de la finance.
La gratuité est une arme qui ne tue pas.
C’est en toute légitimité que nous avons le droit de refuser de payer les taxes, les impôts, les péages en tous genre que nous imposent l’État et les mafias financières qui le gèrent. Car jadis affecté (en partie) au bien public, cet argent sert désormais à renflouer les malversations bancaires.
– Agir individuellement tomberait aussitôt sous le matraquage des lois édictées par le profit. Agir ensemble en revanche assure l’impunité.
« Ne payons plus » est une réponse appropriée à ceux qui nous paupérisent pour s’enrichir. Ne payons plus les trains, les transports en commun. Ne payons plus l’État, ne payons plus ses taxes et ses impôts. Décrétons l’autonomie de lieux de vie où coopératives et inventivité solidaire jettent les bases d’une société d’abondance et de gratuité.
- « Ne payons plus les trains, les transports en commun. Ne payons plus l’État, ne payons plus ses taxes et ses impôts. »
– Les zapatistes du Chiapas ont montré que de petites collectivités autonomes et fédérées pouvaient cultiver la terre par et pour tous et toutes, assurer des soins médicaux, produire une énergie naturelle, renouvelable et gratuite (une option parfaitement ignorée par les mafias écologiques). Il est primordial que la gratuité pénètre, à l’instar de la vie, dans nos mœurs et dans nos mentalités, dont elle a été bannie, exclue, interdite pendant des millénaires. Pas d’illusions cependant : le combat contre les chaînes dont nous nous sommes entravés sciemment risque d’être très long. Ce qui est une bonne raison pour s’y vouer immédiatement.
Vaneigem-le-fonctionnaire et son angélisme n’a d’égal que le christianisme niais de Yannis Youlountas.
” Si un lieu commun affirme qu’on peut avoir plusieurs vies, un être humain peut-il pour autant mourir plusieurs fois sans n’être plus qu’un cadavre ambulant, soit littéralement un zombie ? Prenons par exemple le cas du situationniste Raoul Vaneigem, qui s’est rendu célèbre pour avoir, le 15 mai 1968, quitté un Paris déjà en pleine agitation révolutionnaire, pour rejoindre sur la côte méditerranéenne le lieu de ses vacances programmées, non sans avoir apposé sa signature au bas d’une proclamation appelant à l’action immédiate. C’est certainement ce jour-là qu’il a pour la première fois commencé à se métamorphoser en mort-vivant, pris dans la lutte implacable entre un négatif à l’œuvre, un négatif créateur de mondes qui n’aurait pas peur des ruines pour affirmer sa poésie subversive, et un positif qui se raccroche désespérément à l’ennui et l’esclavage des temps présents. Après avoir dans un dernier sursaut fait l’apologie de Ravachol, Durutti et Coeurderoy, posant par exemple dans la préface à un recueil de ce dernier paru en 1972 (Pour la révolution, ed. Champ Libre) que « l’organisation spectaculaire incite plus impérativement à la violence que les terroristes du passé », puis avoir proposé en 1974 des thèses importantes sur le sabotage et l’autogestion généralisée, il a petit à petit tranché en faveur de ces congés du négatif qui l’avaient conduit à quitter la capitale pendant le joli mois de Mai. Sa mue devint toujours plus irréversible à partir des années 80, bien loin d’un sabotage de l’existant qui « encourage partout la liberté et le renforcement des passions, l’harmonisation des désirs et des volontés individuelles », loin de ce jeu subversif qui « habitue à l’autonomie et à la créativité, et sert de base réelle aux relations que les évolutionnaires souhaitent établir entre eux. » Faute d’avoir su saisir dans toute sa portée que le positif (de la survie à la vie, dans ses mots à lui) ne pouvait naître que du négatif dans un même élan – soit que toute hypothèse de libération est liée à une rupture violente avec la société actuelle –, notre zombie a fini par s’en prendre à la plupart des manifestations de désordre qui l’entouraient. Mue après mue, il en est même venu à assimiler le négatif venu d’en bas (rage, révolte, émeutes ou sabotages) à l’oppression ravageuse qui nous surplombe, au nom d’une sécession magique à l’intérieur et à côté du monde de la domination. Comme un Chiapas zapatiste qui aurait pris les armes pour immédiatement renoncer à s’en servir, en finissant par présenter sa propre candidate à l’élection présidentielle mexicaine de 2018. Comme une ZAD de Notre-Dame-des-Landes dont les petits entrepreneurs de la lutte finiraient par s’approprier les terres occupées en les réintégrant dans le carcan de l’Etat. Mais procédons par ordre, avec quelques exemples illustrant chacun un épisode de la guerre sociale de ces dernières décennies. En 1995, Vaneigem fit paraître entre deux articles alimentaires pour l’Encyclopaedia Universalis un petit ouvrage à bon marché destiné à la jeunesse rebelle. Dans son Avertissement aux écoliers et lycéens (ed. Mille et une nuits) qui fut un succès dans les supermarchés du livre, il admonesta son jeune public à ne surtout pas déserter les bancs de l’école et à encore moins détruire cette dernière, mais à la transformer de l’intérieur avec ses profs et ses parents ! D’une part « parce que le réflexe d’anéantissement s’inscrit dans la logique de mort d’une société marchande dont la nécessité lucrative épuise le vivant des êtres et des choses », et d’autre part parce que s’en prendre matériellement à l’école ne ferait que profiter « aux charognards de l’immobilier, aux idéologues de la peur et de la sécurité, aux partis de la haine, de l’exclusion, de l’ignorance » (p.14). Et puisque détruire serait encore participer à la société, selon le refrain stalinien bien connu sur les vitriers et les assureurs repris ici sans vergogne par notre zombie, pourquoi ne pas aussi du coup défendre les bons juges, ces « magistrats courageux bris[ant] l’impunité que garantissait l’arrogance financière » (p.73), ou encore la convergence de toutes les cages, vu qu’ « il serait regrettable que l’école cessât de s’inspirer de la communauté familiale » (p.63) ? Est-il utile de préciser que cet Avertissement sortit un an à peine après un vaste mouvement émeutier parti des lycées techniques contre une réforme de leur précarité (l’instauration du Contrat d’insertion professionnelle, CIP), qui ut être retirée par le gouvernement sous la pression de la rue, suite aux nombreux pillages, affrontements et incendies ? Dix ans plus tard, en 2008 pour le quarantième anniversaire de son séjour méditerranéen, Vaneigem apporta une nouvelle pierre à l’enterrement consommé des barricades et du sabotage, en sortant un tract titré Mise au point, dans lequel il ne se priva pas d’en remettre une couche sur la protection des casernes de la domestication généralisée. C’est ainsi qu’il fustigea la « communion d’esprit » entre « l’abruti » qui « brûle une école » et « la brute affairiste qui accroît ses bénéfices en détruisant le bien public. » Dans ce court texte au raccourci digne d’un ministre de l’Intérieur de gôche, on sent bien que les trois semaines de nuits enflammées d’octobre-novembre 2005 parties de plusieurs banlieues parisiennes auraient pu troubler le sommeil de l’ami d’un bien public qui n’est autre que celui de l’Etat, s’il n’avait pas été depuis longtemps un cadavre réduit à errer parmi les vivants. Un de ceux qui parle de révolution en étant totalement incapable de comprendre « ce qu’il y a de subversif dans l’amour et de positif dans le refus des contraintes. » Mais qu’on ne s’y trompe pas, la question s’étend bien au-delà de celle de l’école, chez Vaneigem. En septembre 2010, alors que se déroulait dans son pays natal depuis quelques années une lutte contre la construction du nouveau centre de rétention de Steenokkerzeel (Bruxelles), il sortit sa petite contribution sous le titre Ni frontières ni papiers. Commençant par citer Albert Libertad pour préciser à qui elle s’adressait, le zombie tenait à dénoncer la « défense désespérée, voire suicidaire » du « combat pour les sans-papiers », et même tant qu’on y était à fustiger une « réponse agressive du même type que l’intervention policière », une « même violence » que celle de l’Etat, qui aurait prétendument été présente au sein de cette lutte spécifique contre une structure du pouvoir ! Une fois de plus, il mettait au même plan attaques auto-organisées d’en bas contre la domination et violence institutionnelle d’en haut contre les indésirables. Les sabotages incendiaires de différents rouages de la machine à expulser au même plan que les rafles, tabassages, enfermement, déportations et parfois assassinat (comme celui de Sémira Adamu) de sans-papiers. Non content de tenter de désamorcer la lutte diffuse en cours et d’essayer de dissuader les révoltés d’y participer, il mit également en avant une contre-proposition : « propager la désobéissance civile ». Derrière ce mot d’ordre visant à « suppléer aux carences d’un Etat, de plus en plus éloigné des revendications des citoyens », Vaneigem proposait rien moins que l’instauration de « territoires libérés de l’emprise de la marchandise et du profit » permettant par exemple aux « Tziganes » pourchassés de « développer leurs ressources artisanales et musicales » ! Si si, assez de cette offensive créatrice contre les structures et les hommes du pouvoir, vivent les îlots alternatifs de bonheur pour exploiter des ressources injustement dédaignées par un Etat carencé. Au fait, quel « anonyme belge » a composé ce couplet d’une poésie pratique à laquelle beaucoup n’entendaient pas renoncer, même contre un plat de lentilles bios agrémenté de violons : « Brûlez, repaires de curés, / Nids de marchands, de policiers / Au vent qui sème la tempête / Se récoltent les jours de fête » ? En 2018, pour le cinquantième anniversaire de son séjour méditerranéen, le cadavre continue manifestement de bouger, et la rentrée littéraire vient de porter sur un coin de table ces Réflexions sur l’autogestion de la vie quotidienne, titrées Contribution à l’émergence de territoires libérés de l’emprise étatique et marchande. Mais qu’attendre de plus d’un intellectuel que les vers de la pacification n’en finissent pas de ronger ? D’un zombie qui n’aspire qu’à neutraliser les flammes d’une guerre sociale en acte, en nous proposant de les étouffer dans les parcs à thème plus ou moins exotiques de la politique ? Dans ses ultimes réflexions, Vaneigem n’a pas de mots assez durs contre un capitalisme bien sûr « financier » et gangrené par « la spéculation boursière », ou contre un Etat qui bien entendu s’oppose à son « peuple » et n’affecte plus assez d’argent « au bien public », tandis que le « prolétariat » a été réduit à l’état de « lumpenprolétariat » et de plèbe après avoir perdu sa fabuleuse conscience de classe. Si ces platitudes fruit du croisement entre le pire marxisme du passé et le meilleur du citoyennisme populiste d’aujourd’hui peuvent faire sourire, c’est –devinez quoi– au « mouvement dit des casseurs » de ces dernières années que le zombie réserve évidemment ses mots les plus doux. « Hurler son mépris et sa haine du flic » devient ainsi « un soulagement malsain » (p.156), exprimer de la violence en manifestation revient à « se soulager de [ses] frustrations comme d’une colique » (p.110), la « révolte passionnelle » n’est qu’une « agressivité mortifère » à dépasser (id.), tandis que « briser une vitrine, bouter le feu à une banque ou à un commissariat » devient « un défoulement où tourne court et se dissipe une énergie dont aurait besoin l’occupation de zones où puisse naître et s’expérimenter une société nouvelle » (id.). Vous avez bien lu : non pas bouter le feu aux banques et aux comicos tout en occupant des zones où… ; non pas brûler des banques et des comicos pour mieux arracher du temps et de l’espace à la domination afin d’ouvrir des possibles sans périmètre ni mesure ; mais bien ne pas détruire ce qui relève pourtant du minimum, afin de consacrer toute son énergie… à l’édification de ZADs, puisque c’est à elles que Vaneigem se réfère tout au long de son bouquin (en plus des idylliques Chiapas et Rojava). Mais ce n’est pas tout, puisque ce chef d’œuvre de confusion réussit également le tour de force de proposer que sortent des futures assemblées autogérées « un mandataire » faisant office de policier-enquêteur, vu que « parmi les motivations du policier, on ne peut exclure (…) une passion pivotale et bienvenue : la curiosité, le désir de percer le mystère des êtres et des choses » (pp.158-159). Plusieurs décennies de pensée critique pour en arriver à la ZAD et à la curiosité policière, ça valait bien le coup d’être viré de l’Internationale Situationniste ! Pour notre part, nous nous arrêterons là. Comme d’autres individus, nous avons bien trop de choses réelles à démolir passionnément pour ne pas dissiper davantage d’énergie sur un testament politique. Fût-il même celui d’un revenant au regard vitreux. ”
Avis de Tempêtes, n° 11, novembre 2018 https://nantes.indymedia.org/articles/44228
Le seul situ d’origine populaire / prolétaire; insupportable pour certain-e-s …
Vaneigem a été prof et a défendu l’éducation nationale. Il devrait être entarté pour ça.