À Toulouse, on reconnaît les membres de l’Observatoire des pratiques policières à leur gilet jaune et bleu et à leur manière de se positionner dans les manifestations. À l’écart du cortège, ils ne sont pourtant jamais très loin des zones de heurts. Cette organisation qui regroupe la Ligue des droits de l’homme, la Fondation Copernic et le Syndicat des avocats de France, tente de saisir les rouages du maintien de l’ordre. Que fait la Police ? Et pourquoi ?

Depuis le 17 novembre et le début du mouvement des gilets jaunes, leur engagement a changé d’ampleur : en cinq mois, ses 24 membres ont couvert 31 des 50 manifestations observées en deux ans. C’est la violence du maintien de l’ordre depuis l’automne qui a rendu leur travail plus sensible que jamais. Fin janvier, ils s’étaient déjà livrés à un exercice de synthèse qui avait permis de dénoncer notamment les décomptes farfelus de la préfecture de la Haute-Garonne. Celle-ci annonçait 800 casseurs pour 2000 manifestants le 1er décembre. Les observateurs avaient également alerté sur des pratiques policières non autorisées : non port du matricule, jets de grenades en cloche. Un travail de compilation qui n’est d’ailleurs pas sans danger. Visés selon eux à 13 reprises par les forces de l’ordre « de manière flagrante », ils comptabilisent un blessé grave ayant subi un traumatisme crânien et 10 points de suture sur le front. En cause, un tir de grenade ou de LBD.

Le rapport de 138 pages qu’ils délivrent aujourd’hui, est l’aboutissement des réflexions engagées en janvier. Il se base sur les comptes-rendus effectués par les membres de l’Observatoire des pratiques policières à la fin des manifestations, en s’attachant avant tout à la description des faits, tout en assumant la subjectivité nécessaire de celles et ceux qui sont sur le terrain. « Il y a une volonté politique d’interdire les manifestations » pour Pascal Gassiot de la Ligue des droits de l’homme, le coordinateur de l’étude. Il appuie ses dires sur le constat d’un usage disproportionné de la force durant le mouvement des gilets jaunes et sur la volonté des forces de l’ordre d’effrayer celles et ceux qui défilent, pour ne plus qu’ils reviennent dans les cortèges.

Des manifestations cassées de manière arbitraire

 

Deux types de manifestations gilets jaunes sont identifiées par les observateurs. Celles de novembre à janvier, puis celles de janvier à mars. Le comportement des forces de l’ordre y est différent. Lors des premières, l’usage de la force a commencé dès le début d’après-midi en réaction à des choix de parcours ou à de légers heurts. Pour l’observatoire, les premiers gros affrontements à Toulouse éclatent le samedi 1er décembre.

Ils ont lieu en réaction à un « gazage » du cortège des gilets jaunes qui tente de se rendre vers la gare : « Des affrontements qui démarrent vers 13 h 45, lorsqu’une partie du cortège essaie de prendre la direction de la gare Matabiau et se trouve bloquée très vite par des tirs nourris de lacrymogènes (…) Si les autorités avaient voulu provoquer les affrontements, ils ne s’y seraient pas pris autrement. Un seul jet de lacrymogène et c’était sûr que la manif allait partir en vrille… » témoigne un observateur. Un autre ajoute : « à partir de là, tout dérape et les affrontements durent tout l’après-midi et une grosse partie de la soirée (…) Les policiers ont balancé des grenades par centaines, utilisé des grenades assourdissantes par dizaines et des flash-balls à partir de 19 h ».

Le 8 décembre, ce sont quelques jets de projectiles vers 14 h 30 qui mettent le feu aux poudres assurent les militants : « à 14 h 30, un petit groupe de 10 à 15 personnes commence à caillasser, côté marche pour le climat […] Les CDI et/ou BAC répondent de façon spontanée en envoyant des lacrymos. Certains jeunes viennent en découdre. La manifestation est coupée en deux. De fait, cette action/réaction va modifier le paysage de la contestation pour tout l’après-midi […], ouvrant les violences qui se prolongeront tard dans la nuit. »

De janvier 2019 à la fin des observations mi-mars 2019, « la préfecture a laissé les manifestations se dérouler calmement jusqu’à 16 h 30, puis a dispersé ceux et celles qui restaient en les qualifiant de casseurs », juge le rapport. Là encore, les forces de l’ordre utilisent des gaz lacrymogènes dans la volonté explicite de disperser les gilets jaunes qui suivaient tranquillement le défilé. Fait plus rare, la manifestation du 23 mars qui suit le week-end de violence à Paris où le Fouquet’s a été brûlé, « a été cassée dès 14 h 50 par une charge de CSI et de BAC destinée à confisquer une banderole, sans qu’aucune situation préalable de tension n’existe entre forces de l’ordre et manifestants », détaille le rapport de l’observatoire.

 

Une utilisation abusive du matériel de maintien de l’ordre

 

« Nous ne comptons plus l’utilisation abusive du matériel, notamment concernant les jets de grenade » témoigne Pascal Gassiot qui rappelle que les grenades de désencerclement doivent rouler par terre et non être jetées en cloche. Preuve à l’appui, il montre une vidéo d’un policier qui lance une grenade de désencerclement sur un cortège lointain et inoffensif début mars. La scène étant filmée par l’observatoire, la police gaze par la suite l’observateur qui filme. Par ailleurs, les lanceurs de balles de défense (LBD) semblent utilisés par les policiers les moins à même de le faire. « Selon les informations fournies par le ministère de l’Intérieur lui-même, les LBD qui sont à l’origine de la majorité des blessés graves enregistrés dans les manifestations, sont principalement utilisés par des unités de maintien de l’ordre non spécialisées, très majoritairement (à plus de 80 %) par les CDI et surtout les BAC », indique l’observatoire.

Les trois associations témoignent également de scènes d’arrestations qu’elles qualifient de violentes, indignes et attentatoires aux droits humains. Exemples à l’appui : « Arrivés au rond-point d’Arnaud Bernard, nous voyons les voltigeurs avancer vers un gilet jaune, qu’ils cherchent à interpeller. Il arrive à leur échapper et se fait arrêter par un groupe de policiers en tenue (des BRI…) au tout début de la rue de Toul. Plusieurs policiers lui assènent des coups de pieds alors qu’il est à terre et parfaitement maîtrisé. C’est une interpellation extrêmement violente, avec utilisation illégitime de la force, contre une personne déjà maîtrisée. Nous nous avançons pour leur crier de cesser de le frapper et nous poser en observation. Des membres des BRI nous font reculer de l’autre côté de la voie et nous nous exécutons. »

Cette utilisation démesurée et illégitime de la force se double d’un problème de comptage des blessés par la préfecture, ne permettant pas aux citoyens non manifestant de mesurer la violence infligée aux cortèges gilets jaunes. En effet, entre les actes 12 et 16, l’Observatoire des pratiques policières toulousain a compté 150 blessés, soit deux fois et demi plus que ce que la préfecture a dénombré sur l’ensemble du mouvement des gilets jaunes. Enfin, pour mettre en valeur la démesure des réponses apportées par la police et la gendarmerie, l’observatoire liste également les « armes » des manifestants : « l’humour, la parole, les clowns, les œufs et les poches de peintures, les bouts de bois, manches de pioche et autres outils, les coups de pieds, les boulons, les fumigènes pétards, feux d’artifice et autres projectiles pyrotechniques, les cailloux et pavés ». Il constate également l’utilisation d’un cocktail Molotov, envoyé en direction de la Police. Mais il a atterri à 10 m de celle-ci le 16 février.

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