Acte 1. Les indignations sélectives de Jean-Michel Aphatie

Dès la publication du rapport et la déclaration de la haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), Michelle Bachelet, Jean-Michel Aphatie se fendait d’un tweet tout en nuance et marqué d’une ironie qui lui est propre [1]. L’éditocrate y voyait l’œuvre d’une « sous-secrétaire d’État désœuvrée qui s’est exprimée un jour où elle s’ennuyait ». Mais c’était sans compter qu’il allait commettre un « édito » ravageur le lendemain…

Ainsi, le 7 mars 2019, dans sa « chronique » quotidienne sur Europe 1, intitulée ce jour « L’ONU réclame à Paris une enquête sur “l’usage excessif de la force” : une intrusion spectaculaire dans la vie du pays », Jean-Michel Aphatie prétend « expertiser » (selon ses mots) la demande faite par Michelle Bachelet à l’État français. Mais en guise d’expertise, on aura plutôt droit à un réquisitoire, dont les conclusions interviennent dès l’introduction. Morceaux choisis [2] :

– Cette demande, il faut l’expertiser. Est-ce qu’elle est légitime ? Non. Et est-ce qu’elle est pertinente ? Non. [Rires].

– Donc c’est une intrusion spectaculaire dans la vie politique du pays et très rare : l’ONU ne s’adresse pas souvent à la France comme ça il faut bien le dire [3].

– L’ONU a déjà demandé et obtenu parfois, dans des circonstances historiques particulières mais dans quel cadre ? Eh bien quand des pays étaient proches de sombrer dans la guerre civile. Quand il y avait des morts. Quand la démocratie ne fonctionnait plus. Est-ce que c’est le cas aujourd’hui en France, mais pas du tout ! On n’en est pas du tout là, heureusement.

On n’en est pas là ? Jean-Michel Aphatie devrait se mettre au clair avec lui-même, puisqu’il laissait entendre le contraire dans « C à vous » (11 février), et une semaine plus tard sur Europe 1 (19 mars) :

Mais poursuivons. L’éditocrate se demande – question rhétorique – si Michelle Bachelet est « bien renseignée sur la situation française ». Réponse ? « On peut en douter. Et c’est pour ça que cette demande apparaît illégitime. » C’est tout ? C’est tout. D’ailleurs la question des violences policières n’a pas raison de se poser, puisque « les gilets jaunes qui le souhaitent portent plainte, et ne se gênent pas pour le faire quand ils estiment devoir le faire ». Et de remettre dix pièces dans la machine : « Est-ce qu’elle le sait ça, Michelle Bachelet ? Ben apparemment pas. » Comme tout bon éditorialiste qui se respecte, Jean-Michel Aphatie terminera par quelques petites leçons de morale, qu’il dispense à peu près à tout le monde (sauf à lui-même) :

Quand on prend connaissance du discours qu’elle a prononcé hier à Genève, on voit qu’elle penche complètement, c’est son droit politique, du côté des gilets jaunes. En fait hier, la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a fait de la politique, c’est presque un abus de fonction et moi je suggérerais à l’ONU d’ouvrir plutôt une enquête approfondie sur la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU pour voir si elle est bien dans le cadre de sa fonction ou si elle déborde de temps en temps, et personnellement je n’ai pas de doute sur l’issue de l’enquête approfondie que ne mènera pas l’ONU sur Michelle Bachelet.

L’éditorialiste ne déborde, bien entendu, pas de sa fonction lorsqu’il suggère « d’ouvrir plutôt une enquête approfondie sur la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU ». Car en matière de droits de l’homme, il faut reconnaître que Jean-Michel Aphatie est en pointe. Pour preuve, une autre « chronique » du 1er février 2019, sur les mêmes ondes, à propos des conditions de détention de l’ancien patron de Nissan-Renault au Japon [4] :

Cette chronique c’est une défense des droits de l’homme. Parce que d’un point de vue révolutionnaire, les droits de l’homme ça s’applique aussi aux patrons. […] Si Carlos Ghosn avait été un intellectuel, Anne Hidalgo aurait décidé de mettre son portait géant sur la façade de l’hôtel de ville. Et si en plus Carlos Ghosn avait été de gauche il y aurait eu en plus une pétition immédiate pour demander sa libération. Mais voilà, Carlos Ghosn, c’est un patron. Et ça c’est horrible d’être un patron. Et en plus son crime, parce que ce qu’on lui reproche c’est de la fraude fiscale, ça parait aujourd’hui dans l’échelle de nos valeurs, pire que des actes de pédophilie, de viol ou d’inceste. […] Qu’il pourrisse en prison, Carlos Ghosn, on s’en moque. La France c’est le pays des droits de l’homme, mais la leçon ce matin, c’est que les droits de l’homme en France c’est bon pour tout le monde, sauf pour les patrons.

L’éditorialiste aurait pu poursuivre : « et sauf pour les centaines de blessés, les éborgnés et mutilés durant les manifestations des gilets jaunes ! » Mais il ne l’a pas fait. Pour autant, bien inspiré lorsque son comparse Nikos Aliagas le trouve « bien remonté ce matin », Jean-Michel Aphatie précise : « Oui, ça se divise pas comme des tranches de saucisson les principes. Les principes ça vaut pour tout le monde, sinon ce n’est pas des principes. »

Dont acte !

Acte 2. Parti pris et théories du complot sur le plateau de Pujadas

Jean-Michel Aphatie n’est pas le seul à exprimer son agacement vis-à-vis de la demande de la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. Sur le plateau de David Pujadas, lors de l’émission « 24h Pujadas » du mercredi 6 mars 2019 [5], trois éditorialistes et une représentante d’une formation politique sont présents pour commenter cette décision.

L’émission s’ouvre sur les propos de Philippe Devigier, député UDI, qui se déclare « un peu surpris que l’ONU s’occupe de ce qui se passe en France. Je pense qu’il y a tellement de théâtre d’opérations extérieures où l’ONU pourrait avoir une voix un peu plus forte ». Sacha Houlié, député LREM, ajoute : « La France reste un des plus grands États de droit du monde, et ça il appartient aussi de le redire ». Un choix de paroles politiques à peine orienté. Puis le lancement de David Pujadas confirme le ton de l’émission :

Bonsoir à tous, ou rebonsoir. C’est la sensation du jour, hein ? L’ONU qui fait la leçon à la France sur la crise des gilets jaunes, qui demande notamment une enquête sur un usage, je cite, « excessif de la force ». Alors, Emmanuel Macron doit-il rendre des comptes ou bien le monde a-t-il perdu sa boussole ?

Un bref « cadrage des faits », tout de même complété par Fanny Weil qui livre un extrait des paroles prononcées à Genève par la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet [6]. En maître de la cérémonie, David Pujadas reprend directement la main, avec l’emphase qu’on lui connaît : « La France sermonnée, admonestée par l’ONU, c’est dans l’ordre des choses, c’est le rôle de l’ONU, ou c’est irréel ?! »

Le rideau s’ouvre : sur le plateau, la plupart des invités se montrent très courroucés par cette demande, et vont le faire savoir…

– Intermède 1 : Délégitimer le HCDH

À l’instar de leur confrère Jean-Michel Aphatie, les invités du plateau de Pujadas vont commencer par (tenter de) délégitimer le HCDH et sa présidente. Serge Raffy, éditorialiste à L’Obs, ouvre le bal en affirmant que « d’abord, c’est pas exactement l’ONU. C’est le haut-commissariat » et se déclare « un peu surpris » car « d’ailleurs cette commission était déjà intervenue il y a quelques semaines, il y a quelques mois même, pour attaquer la France dès le début, sur l’affaire des gilets jaunes ». Ainsi, pour lui, point de doute : « c’est donc très politique. C’est pas une affaire de droit ».

Il va être rejoint par Sophie Coignard, son homologue du Point, qui profitera d’une relance dont David Pujadas a le secret (« Sophie, vous disiez : “on est chez les fous” ? ») pour porter l’estocade, avec une argumentation de haut-vol :

Certes, tout ce qui est excessif est insignifiant mais néanmoins, il en reste toujours quelque chose, c’est à dire que l’on pourrait considérer que Mme Bachelet, qui a été une présidente remarquée du Chili… ben finalement là, elle a fumé la moquette, et donc ben voilà, on l’écoute pas, c’est pas grave. On sait bien que dans ces instances de l’ONU, pardonnez-moi, mais il y a à boire et à manger.

« On est chez les fous », demandait David Pujadas ?

– Intermède 2 : Euphémiser les violences policières

Une fois l’instance de l’ONU délégitimée, les éditorialistes s’attaquent au constat. Et Serge Raffy ne va pas chercher plus loin que sa consœur :

Je pense que l’on marche sur la tête avec un truc aussi fou. C’est-à-dire que bien sûr il y a eu des violences, mais on sait très bien qu’elles ont été partagées, qu’il y a eu des provocations, etc.

Il est rejoint par Laurence Marchand-Taillade, présidente de Forces laïques et ancienne secrétaire nationale du Parti des radicaux de gauche, qui fait part de son étonnement à l’égard de ce qu’elle considère être « un paradoxe énorme » :

C’est assez surprenant que cette femme-là [qui a connu et vécu la répression de Pinochet, NDLR] puisse nous inclure dans cette liste de pays qui seraient d’une violence spectaculaire. Alors peut-être qu’on nous cache des choses[dit-elle en riant…] mais je pense pas… […] C’est extrêmement grave… donc je pense que oui il y a une instrumentalisation de l’ONU et il y a une façon de l’ONU de s’indigner à géométrie variable. […] il faudrait aussi que l’ONU ait une façon de s’indigner qui soit juste et qui soit vraiment en direction des droits de l’homme.

S’il questionne aussi rapidement la légitimité des instances internationales (« naturellement ces juges-là ne sont certainement pas irréprochables »), l’éditorialiste du Figaro, Ivan Rioufol, va se montrer plus équilibré sur la question des violences des forces de l’ordre à l’égard des gilets jaunes, en précisant que ce rapport du HCDH « corrobore un certain nombre d’observations que certains ont pu faire […] sur l’extrême brutalité de la répression policière ». Une brutalité sur laquelle, précise-t-il, « il faut s’interroger et qui n’est pas à la mesure, d’abord des droits de l’homme et d’une démocratie qui se dit ouverte et bienveillante ». Mais c’est une réserve de façade, lui permettant en réalité de mieux faire valoir ses obsessions, qu’il ne se prive pas de rabâcher à longueur de colonnes et de plateaux, du FigaroVox à CNews, chez Pascal Praud, en passant donc par LCI. Une obsession qui se résume facilement : ce ne sont pas les gilets jaunes qu’il faut taper, ce sont les jeunes de banlieue. Extrait :

Par exemple […] à Grenoble il y a eu ces derniers temps, trois ou quatre journées d’émeute où on a brûlé à peu-près près de 70 voitures, c’est à dire bien plus que pendant ces quatre mois de gilets jaunes. […] Dans ces cités-là, les forces de l’ordre se gardent de mettre de l’huile sur le feu. Il y a une sorte de prudence à ne pas affronter précisément une partie de cette population en colère.

Les habitants des quartiers populaires en jugeront…

– Intermède 3 : Exiger la fermeté

D’accord sur la nullité de l’ONU, d’accord sur les violences policières, nos éditorialistes vont également être d’accord et pareillement agacés de la réaction du gouvernement. Leur demande ? Une réponse ferme, car, quand même, on parle bien de la France. Sophie Coignard suggère donc de « changer de porte-parole, parce que c’est un sujet quand même un peu grave sur lequel le porte-parole pourrait manifester […] un peu plus d’indignation, d’humanité ». Envers les manifestants ? Pas vraiment. Pour Sophie Coignard, il s’agit plutôt d’« argumenter davantage qu’avec cette espèce de placidité atone qui me paraît totalement inadaptée à la situation ». Et lorsque David Pujadas lui demande s’il elle souhaiterait « un peu plus de vigueur », l’éditorialiste du Point confirme : « J’espère que la réaction du gouvernement français sera à la mesure de… de cette posture insensée […] avec un peu plus de peps… ! ».

Un peu plus de peps ? Serge Raffy abonde : « Mais moi je suis complètement d’accord avec Sophie, regardez, c’est nous qui nous indignons ! C’est nous qui sommes en train de défendre le gouvernement français ! » [7] Et qu’on se le dise, Serge Raffy est prêt à prendre les armes… de la rhétorique, évidemment, pour sonner le rappel à l’ordre : « Je pense que ce gouvernement n’est pas dans une dérive autoritaire et il a été parfois beaucoup trop faible. On est en république, la république y’a des règles, il faut les appliquer. »

Un appel qui aura été visiblement entendu.

– Le clou du spectacle : le complot ONU – LFI

Heureusement pour les téléspectateurs, nos éditorialistes vont finir par poser les vraies questions. À commencer par Serge Raffy : « La grande question, c’est qu’est-ce qui se cache derrière cette opération ONUsienne, quels sont les enjeux, c’est-à-dire qui essaie de salir un peu plus le gouvernement français ? » Et si Pujadas feint de s’étonner sur l’emploi de cette expression (« salir » ?), l’éditorialiste de L’Obsreprend de plus belle : « Oui bien sûr, de salir le gouvernement français à quelques semaines des élections européennes. On sait très bien que là encore, il y a des jeux d’influence qui se font au niveau international ».

Il est rejoint dans sa « réflexion » par Laurence Marchand-Taillade : « Comme Serge, j’ai vraiment le sentiment qu’il s’agit d’une manipulation politique et d’ailleurs on ne sait pas qui a saisi l’ONU sur ces questions-là et ce serait intéressant de savoir qui a susurré à l’oreille de cette commission, le fait que la France puisse être un pays qui ne respecte pas les droits de l’homme ? »

On y vient. La demande de la haut-commissaire aux droits de l’homme serait donc le fruit de « jeux d’influence qui se font au niveau international », d’une « manipulation politique », voire même d’un complot puisque quelqu’un aurait « susurré à l’oreille de cette commission ». Alors un complot, mais ourdi par qui ? David Pujadas, fidèle à la tradition journalistique française d’agitation du « spectre des extrêmes », demande alors : « C’est du pain bénit pour LFI, le RN ? »

Serge Raffy saute sur l’occasion : « Quand une poignée de commissaires de l’ONU présente la France comme un pays de tortionnaires [Rires] forcément, c’est plus que du pain bénit, c’est même un miracle ! » Comme de coutume depuis le début de l’émission [8], il donne pied à Sophie Coignard qui perce un peu plus le mystère :

Depuis samedi soir, [les députés et membres de la France Insoumise] se sont succédé au pupitre pour reprendre exactement les mêmes termes, finalement, que ceux employés par Madame Bachelet, c’est à dire la dérive autoritaire, la police politique, le pays des droits de l’homme où les droits de l’homme sont foulés au pied, etc. […] Dans cette concordance de langage et d’expression entre la commission des droits de l’homme de l’ONU d’un côté et un parti, disons, non gouvernemental comme la France insoumise, quelque chose est un peu choquant. De mon point de vue.

Il ne manque plus, à Serge Raffy que d’en rajouter une couche, pendant que sa comparse acquiesce en fond sonore :

Peut-être que politiquement cela s’explique aussi par la proximité de Mme Bachelet à une époque avec le gouvernement chaviste au Venezuela. Connaissant les rapports de la France insoumise avec le Venezuela, il y a une espèce d’axe si je puis dire qui est quand même assez troublant.

Le complot issu de l’axe « LFI – Bachelet – Venezuela » aura donc été mis à jour par LCI, sous le patronage de David Pujadas, à une heure de grande écoute. Nul doute que si nous avions été en période électorale, la loi anti-fake news aurait permis d’épingler l’émission de David Pujadas. Nul doute, non plus, que nos sondeurs anti-complotistes iront tout prochainement sonder l’éditocratie française, et que leurs résultats seront repris par tous les grands médias.

Épilogue

Nous ne pouvions terminer ce panorama du rapport des éditocrates aux droits de l’homme sans évoquer quelques propos tenus dans l’émission « L’Info du vrai », animée par Yves Calvi. Le 18 mars, le journaliste de Marianne, Laurent Valdiguié, invité de l’émission, réagissait aux interdictions de manifestations. Selon lui, l’ex-préfet de Paris Michel Delpuech s’y serait montré réticent car, dans le cas d’arrestations massives (reprenant l’exemple du 8 mars où 800 personnes ont été arrêtées), « il faudra rouvrir le Stade de France, ou le Parc des Princes »… Si Yves Calvi semblait alors vouloir calmer de telles ardeurs sécuritaires (« Nous ne sommes pas au Chili dans les années 70, je suis désolé »), il reprendra pourtant cette proposition à son compte le lendemain, 19 mars, avec un ton encore plus véhément :

La question, elle est simple, et elle a été évoquée par nos invités hier. Si, en effet, les périmètres sont franchis, on doit procéder à des arrestations. Et ces gens-là, à un moment, l’acte de police, et des policiers, il consiste à mettre des gens… La seule solution, c’est dans un stade, avec tout ce que sur le plan historique et imaginaire, ça provoque. Après, on pourrait dire qu’aujourd’hui, ils sont prévenus [9].

***

On le voit, les éditocrates semblent nourrir un rapport pour le moins contrarié vis-à-vis de la question des droits de l’homme. Pour résumer en reprenant les mots de Jean-Michel Aphatie, ils semblent souvent plus enclins à « saucissonner leurs principes », avec une inclinaison qui penche davantage du côté d’un grand patron du CAC40 que de celui de gilets jaunes lourdement blessés.

Énième démontage du mouvement des gilets jaunes, ces deux actes plus épilogue illustrent plus encore la déconnexion profonde et structurelle de l’éditocratie. Une éditocratie qui se fossilise dans les plateaux, aveuglée par les mécanismes d’entre-soi et par l’idéologie partagée qu’elle répand quotidiennement. Une éditocratie qui dénonce un complot « ONU-France insoumise-Venezuela » quand une déclaration internationale vient un tant soit peu dérégler le logiciel des paroles tolérées. Une éditocratie au-dessus de toutes les règles, qui s’exprime partout en grande pompe pour fustiger les fake-news, le complotisme ambiant, et ériger leurs propres médias en « remparts », sans visiblement s’apercevoir des propos complotistes qu’ils génèrent eux-mêmes.

Si l’on a souligné les propos d’Yves Calvi sur la possibilité de parquer les manifestants « dans un stade, avec tout ce que sur le plan historique et imaginaire, ça provoque », notamment pour des Chiliens comme la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, on est en droit de se demander, comme le fait Jean Michel Aphatie : « Est-ce qu’elle le sait ça, Michelle Bachelet ? »

Nils Solari

Annexe : Transcriptions

– Édito de Jean-Michel Aphatie du 7 mars 2019 sur Europe 1 : « L’ONU réclame à Paris une enquête sur “l’usage excessif de la force” : une intrusion spectaculaire dans la vie du pays »

Cette demande, il faut l’expertiser. Est-ce qu’elle est légitime ? Non. Et est-ce qu’elle est pertinente ? Non. [Rires]. La haute commissaire de l’ONU aux droits de l’homme s’appelle Michelle Bachelet, c’est l’ancienne présidente du Chili, c’est une personnalité connue sur la scène internationale, dont la voix porte. Elle intervenait hier à Genève devant le conseil des droits de l’homme, donc en cadre solennel, et elle a demandé une enquête approfondie – je la cite- « sur tous les cas rapportés d’usages excessif de la force par la police en France » lors des manifestations des gilets jaunes. Donc c’est une intrusion spectaculaire dans la vie politique du pays et très rare : l’ONU ne s’adresse pas souvent à la France comme ça il faut bien le dire. Alors expertisons la demande de Michelle Bachelet, qui pourrait mener cette enquête approfondie ? C’est important quand même quand l’ONU demande ça. Pas le gouvernement, pas l’État, parce qu’il est juge et partie. Ce serait ridicule, donc il faudrait imaginer une commission indépendante pour voir vraiment ce qui se passe. Une commission qui serait composée d’experts, probablement français mais aussi internationaux pour assurer son indépendance. L’ONU a déjà demandé et obtenu parfois, dans des circonstances historiques particulières mais dans quel cadre ? Eh bien quand des pays étaient proches de sombrer dans la guerre civile. Quand il y avait des morts. Quand la démocratie ne fonctionnait plus. Est-ce que c’est le cas aujourd’hui en France, mais pas du tout ! On n’en est pas du tout là, heureusement. Et on peut se demander quand même si Michelle Bachelet qui est intervenue sur la foi d’un rapport fait par des experts de l’ONU est bien renseignée sur la situation française. On peut en douter. Et c’est pour ça que cette demande apparaît illégitime. Mais elle n’apparaît pas non plus pertinente parce que demander une enquête approfondie suggère que les forces de police travaillent aujourd’hui sans que personne ne les contrôle, pratiquement dans l’arbitraire le plus absolu. Mais c’est totalement faux, d’abord il y a un contrôle interne à la police, ça s’appelle l’Inspection Générale de la Police Nationale, et puis la justice civile enquête sur les cas controversés de maintien de l’ordre. Les gilets jaunes qui le souhaitent portent plainte et ils ne se gênent pas pour le faire quand ils estiment devoir le faire. Et Jérôme Rodrigues, le leader des gilets jaunes qui a perdu un œil a porté plainte pour violences volontaires et complicité. Donc un juge d’instruction indépendant enquête. Est-ce qu’elle le sait ça, Michelle Bachelet ? Ben apparemment pas. Quand on prend connaissance du discours qu’elle a prononcé hier à Genève, on voit qu’elle penche complètement, c’est son droit politique, du côté des gilets jaunes. En fait hier, la haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a fait de la politique, c’est presque un abus de fonction et moi je suggérerais à l’ONU d’ouvrir plutôt une enquête approfondie sur la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU pour voir si elle est bien dans le cadre de sa fonction ou si elle déborde de temps en temps, et personnellement je n’ai pas de doute sur l’issue de l’enquête approfondie que ne mènera pas l’ONU sur Michelle Bachelet.

– Édito de Jean-Michel Aphatie du 1er février 2019 sur Europe 1 : « Les droits de l’Homme s’appliquent aussi aux patrons »

Où l’on parle des conditions de détention de Carlos Ghosn. Nikos Aliagas entame en posant la question des « conditions apparemment très dures ? ». Jean-Michel Aphatie poursuit :

Très dures. Alors on va se débarrasser, Nikos, de possibles malentendus dans cette chronique. Il ne s’agit pas de défendre Carlos Ghosn dont personne ne sait ni ici ni ailleurs ce matin s’il est coupable ou innocent de ce dont l’accuse la justice japonaise. Cette chronique c’est une défense des droits de l’homme. Parce que d’un point de vue révolutionnaire, les droits de l’homme, ça s’applique aussi aux patrons ! Aux Échos, le journal Les Échos et à l’AFP, Carlos Ghosn a expliqué ses conditions de détention. Aujourd’hui il est détenu depuis le 19 novembre dans une prison près de Tokyo et ça fait froid dans le dos. « Quand je dors la nuit – dit Carlos Ghosn- ma lampe est toujours allumée. » Cette volonté de perturber en permanence et de manière continue le sommeil, [Nikos Aliagas derrière : c’est de la torture !] c’est digne des dictatures, c’est une torture [Nikos Aliagas fait plus qu’acquiescer derrière]. « Je n’ai pas de montre, je n’ai plus la notion du temps » explique Carlos Ghosn. Il y a une volonté de déstabilisation d’un homme, même s’il était coupable, ça ne serait pas légitime. « J’ai seulement -dit-il, trente minutes par jour pour sortir sur le toit, l’air frais me manque tant. » Ça c’est la punition d’un homme qui n’est pas encore condamné. Et puis Carlos Ghosn dit aussi ceci : « Depuis le 19 novembre, je n’ai pas pu appeler ma femme et mes enfants. » C’est d’une cruauté extraordinaire et ça c’est la justice japonaise. Si Carlos Ghosn avait été un citoyen ordinaire, dès hier, le premier ministre aurait décroché son téléphone et il aurait appelé son homologue japonais pour que cessent ces conditions dégradantes de détention de Carlos Ghosn.

– Nikos Aliagas : Mais il va pas le faire ?

– Jean-Michel Aphatie : Ah ben il l’a pas fait. Évidemment il l’a pas fait. On a noté il y a quelques jours un coup de fil discret donc timide d’Emmanuel Macron au premier ministre japonais mais enfin on ne sait absolument pas ce qu’ils se sont dit, et on ne peut pas dire que le gouvernement français en fait beaucoup dans cette affaire. Si Carlos Ghosn avait été un intellectuel, Anne Hidalgo aurait décidé de mettre son portait géant sur la façade de l’hôtel de ville. Et si en plus Carlos Ghosn avait été de gauche il y aurait eu, en plus, une pétition immédiate pour demander sa libération. Mais voilà, Carlos Ghosn, c’est un patron. Et ça, c’est horrible d’être un patron. Et en plus son crime, parce que ce qu’on lui reproche, c’est de la fraude fiscale, ça parait aujourd’hui dans l’échelle de nos valeurs, pire que des actes de pédophilie, de viol ou d’inceste.

– Nikos Aliagas : C’est un sujet tabou ?

– Jean-Michel Aphatie : Absolument. Qu’il pourrisse en prison, Carlos Ghosn, on s’en moque ! La France c’est le pays des droits de l’homme, mais la leçon ce matin, c’est que les droits de l’homme en France c’est bon pour tout le monde, sauf pour les patrons.

– Nikos Aliagas : Vous êtes bien remonté ce matin ?

– Jean-Michel Aphatie : Oui !

– Nikos Aliagas : Jean-Michel Aphatie, sur Europe 1.

– Jean-Michel Aphatie : Oui, ça se divise pas comme des tranches de saucisson les principes ! Les principes ça vaut pour tout le monde, sinon ce n’est pas des principes !

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