Les « mecs de gauche »
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Catégorie : Global
Thèmes : Anti-répressionContrôle socialGenre/sexualitésRépressionResistances
La certitude feminist-friendly.
Avez-vous déjà passé un dîner entier à écouter votre interlocuteur, un ami cela va sans dire, vous expliquer à quel point il est féministe ? A quel point ses collègues hommes ne le sont pas. A détailler tout ce qu’il faudrait faire pour faire avancer la cause des femmes ? Tout ce que les femmes devraient faire aussi, et mieux ? Ses collègues notamment, si timorées. Et lui si courageux.
C’est long, très long, ce flot épais de contentement de soi. Et vos lèvres se crispent pour maintenir un sourire amical – de plus en plus poli, de moins en moins amical –, censé exprimer la gratitude que votre auto-proclamé allié attend de vous.
Ce qui me frappe dans le bain « de gauche » dans lequel je baigne, c’est le nombre d’hommes désormais acquis à la cause des femmes et qui le disent haut et fort. Les machos, c’est les autres : le beauf des campagnes, le musulman des banlieues, le bourge du 16ème arrondissement, les masculinistes organisés. Pas eux. La cause est entendue, quel plus beau remède au sexisme que le capital culturel. D’ailleurs n’ont-ils pas lu Judith Butler ?
Un homme à qui je reprochais son comportement sexiste (sur l’estrade de l’amphithéâtre où il m’avait invité à parler de ma recherche, pour aussitôt commenter mon maquillage) s’est contenté de répondre : « Je ne suis pas comme ça, je suis complètement étranger à ça. »
Un autre qui me sollicitait pour écrire dans sa revue des années après avoir hurlé en public (des injures comme « t’es un curé », « un petit procureur ») parce que j’avais exprimé un désaccord avec lui, n’a pas compris que je refuse et que je lui rappelle cet épisode. Il rétorqua, ulcéré : « Je est un autre. »
En guise de justification à des questionnements légitimes sur des faits, nous voilà gratifiées de ce genre de proclamations ontologiques, solides comme des rocs. Je ne suis pas comme ça. Et donc : tais-toi.
Dans un livre récent Gayfriendy, j’oppose la certitude gayfriendly d’hétérosexuels habitant le Marais et Park Slope à New York à une autre certitude, nourrie d’expériences autres : celle des gays et des lesbiennes qui subissent toujours des discriminations et des formes diverses de contrôle, même dans leur environnement proche, même dans leur « quartier gay », même, à l’occasion, parmi leurs amis hétéros.
Je ne m’aperçois que maintenant que la situation est transposable aux hommes « de gauche ». Comme certains quartiers pour les gays et les lesbiennes, les environnements feminist-friendly du milieu culturel et/ou « de gauche » offrent parfois aux femmes un confort et une sécurité (pas toujours, car la violence sans censure qui règne en coulisse, comme sur twitter dans le cas de la Ligue du LOL, n’a pas disparu). Nous y expérimentons une certaine liberté de parole, l’écoute, et parfois la bienveillance. Les proclamations d’égalité nous ravissent.
La vigilance se relâche… en réalité pas tout à fait. Car les blagues, les remarques, les rappels à l’ordre en quelque sorte, ne disparaissent jamais. Et le déni de cette réalité par les hommes intéressés est tout aussi violent. Leur feminist-friendliness ne tolère aucun questionnement. Les représailles sont immédiates.
Le pétage de plomb de l’homme interpellé
En réalité, quelles que soient nos positions, et d’autant plus évidemment que nos privilèges se cumulent, il nous arrive de trahir, en dépit de nos bonnes volontés, nos ignorances et nos points aveugles. Une blague nulle, un propos blessant, un discours plein de certitude, en fait à côté de la plaque : qui ne s’est pas retrouvé pris en faute d’arrogance bête.
Ces moments pas très agréables, je n’ai jamais vu de personnes moins prêtes à les affronter que les « hommes de gauche ». Du « je ne suis pas comme ça », à « ce n’était pas moi » ou encore « et toi t’es pas mieux », voire « c’est toi qui as une vue sexiste » (et « essentialiste » bien-sûr) : il y a très souvent un refus net et brutal, et parfois une disqualification en retour [2].
Certains prodiguent de bons conseils, comme celui qui m’enjoignait à continuer à « relâcher mes épaules ». Je garde surtout en tête les pétages de plomb intégraux.
Ainsi ce mec tellement offusqué que je questionne certaines de ses idées reçues (en l’occurrence le caractère « secondaire » des luttes de prostituées – nul besoin de préciser secondaire par rapport à quoi) s’était levé brusquement et, en faisant des grands moulinets avec ses bras, avait menacé de quitter les lieux.
Un autre, dont on pointait l’attitude ultra viriliste dans un lieu prétendument ouvert aux femmes (et aux féministes), s’était écrié : « si c’est comme ça, je ne ferai plus jamais de boxe avec des filles ! » pour se lever et partir.
Ah et celui-ci, membre d’une association féministe mixte qui ulcérait tout le monde par ses discours pontifiants, à qui on avait demandé gentiment de changer d’attitude, et qui avait menacé de ne plus venir pendant plusieurs semaines aux réunions : « je boude ».
Aveuglés par leur colère, ils ne comprenaient même pas qu’ils confortaient, par leurs fins de non-recevoir, par leurs réponses naïves (comme si on allait leur courir après !) et par leur bombage de torse, les mises en question dont ils faisaient l’objet. Je suis dominant et je le reste. Et j’ai raison.
Pourquoi une telle colère ? C’est ce qui m’a toujours surprise. Pourquoi pas, sinon une sincère remise en cause, le silence, un haussement d’épaule, un rire gêné, une dénégation un peu plus débonnaire. Non, il y a quelque chose d’insupportable à se voir rappeler ne serait-ce que les restes d’un fond sexiste. Quelque chose d’insupportable au vu du discrédit officiel du sexisme et des sexistes dans ces milieux-là. Évidemment, ça ne fait pas bien, pas cool, pas de gauche.
Mais j’ai une autre hypothèse. J’ai l’impression que, dans ce nouveau monde plus feminist-friendly et surtout plus paritaire, les hommes doivent désormais travailler avec des femmes, parler et parfois être en désaccord avec elles, bref : faire avec des femmes qui ont parfois les mêmes statuts. Et que cela requiert des efforts immenses.
Le renoncement au confort de l’entre-soi masculin, aux blagues sexistes qu’on pouvait faire tranquillou sans qu’une féministe vous jette un regard hostile, ou même simplement gêné, bref : rabat-joie – ou pire : l’apparition des blagues des féministes – entraînent de grandes souffrances. Se voir en plus rappeler que ça ne va pas (encore), c’est insupportable.
Des bénéfices sans les coûts
Pourtant pourrait-on leur dire : les coûts ne devraient-ils pas être à la mesure (au moins) des avantages qu’ils retirent de leur posture « féministe » ? Et ces avantages ne sont pas nuls.
Autorité morale inversement proportionnelle au discrédit du machisme (je suis aussi cool que Zemmour est abject, c’est par rien). Gratification sexuelle du dragueur du monde militant, en mode « le sexisme c’est dégueulasse, je vous comprends tellement, vous les femmes » : vous savez le Jean-Claude Dusse qui vous colle dans les rassemblements, prêt à déballer son baratin anti-macho s’il y a moyen de « conclure ».
La fameuse idéologie win/win dont tant d’homme « radicaux » se gaussent, ils en sont en fait pétris. D’accord pour que les femmes conquièrent des droits, mais faisons ça en réformistes de bonne compagnie : tout le monde peut y gagner. D’ailleurs quand les hommes perdent, est-ce que les femmes n’en subissent pas, elles aussi, les conséquences ?
Dans une conversation consacrée à la « grève du sexe » comme arme politique, un homme très de gauche explosa un jour de colère : « Mais les femmes se punissent elles-mêmes, c’est complètement con ! » (La punition par le manque de bite, quoi de plus horrible en effet). Si on lui avait fait valoir qu’un ouvrier gréviste se sanctionne lui-même en perdant des journées de salaire, sans doute aurait-il éclaté de rire.
Une solidarité masculine inébranlée
L’ère post #Me Too devrait être bénéfique pour tout le monde. Pourtant, comme le rappelait Christine Delphy, « les hommes ont à perdre ». Les hommes, en effet, ne peuvent plus dire n’importe quoi, commander comme ils respirent, et surtout faire passer les conseils paternalistes, les jugements en surplomb, la distribution des bons points pour une situation d’égalité.
Mais ce qu’ils ont à perdre de plus précieux encore, c’est la solidarité masculine. Partager (un peu) le pouvoir, se censurer (en public) dans sa manière de parler, OK. Mais briser ces liens merveilleux qui unissent les dominants, on atteint là une limite que peu franchissent. C’est pourtant ce qui est en jeu quand des hommes pro-féministes sont confrontés au sexisme de leur entourage.
Pointer la blague sexiste, soutenir les femmes qui dénoncent une situation problématique (sans leur dire qu’elles ont peut-être « raison », mais sans doute aussi « un peu tort »), briser le silence complice en refusant la gratification que l’homme sexiste prodigue à ses camarades : qui est prêt à le faire et jusqu’où ?
L’humiliation des femmes va toujours de pair avec le maintien d’un entre soi masculin où la concurrence existe bien sûr, mais où surtout on se serre les coudes, on progresse par renvois d’ascenseur, on se coopte en s’auto-congratulant. Baisser la tête, détourner le regard quand un truc sexiste se passe, c’est se garantir sa place, bien au chaud.
Cette place pourtant n’est pas très jolie. Elle est faite de lâchetés et de rires gras, de tweets assassins et de regards entendus, de « boys will be boys » et de « elle exagère quand même ». Progressivement des hommes s’y sentent moins bien, et explorent d’autres mondes. Espérons que ceux-là deviennent de plus en plus nombreux (partout, et au-delà de mon entourage), pour renverser, enfin, cette « seule patrie existante sur la terre, Patria », celle où, selon Brigitte Fontaine, « il n’y a que des hommes de droite ».
p.-s.
Spéciale dédicace à N. D. et P. T. pour m’avoir soutenue dans ces expériences et, surtout, m’avoir aidé à bien en rigoler.
Le (super) bingo féministe, comme le photo-montage, ont été trouvés sur internet : bravo (et merci !) à celles qui les ont conçus.
notes
[1] Quant à moi, quand je vois des petits notables de l’édition alternative faire les beaux en éditant des ouvrages féministes et « proféministes » sans jamais avoir été capables de se remettre en question sur des comportements sexistes bien graves, cela me met en rogne.
[2] Ainsi m’a-t-on un jour reproché « une réponse un peu “mandarin” (ou “mandarine” ?) », ha, ha humour, alors que je me contentais de questionner le cliché asséné par mon interlocuteur des « Américaines puritaines » (lui-même disait préférer les habitantes du Chili ou d’Argentine – aaaahhh le sang chaud des Sud-Américaines…).
http://lmsi.net/Les-mecs-de-gauche
[…] “Le système de domination masculine accorde à certains le pouvoir de disposer des corps des autres. Dans les sociétés patriarcales, il bénéficie principalement aux hommes blancs, hétérosexuels, de classes moyennes et supérieures, âgés de plus de 35 ans. Les principaux bénéficiaires de ce système ont d’ailleurs immédiatement compris qu’adresse leur était faite, d’où leur empressement à se dédouaner à travers des tweets, des tribunes et des prises de position dans les médias.
Notre mode de socialisation étant genré, on enseigne à toutes les personnes assignées « hommes » à suivre le modèle masculin dominant. Or, certaines mesures proposées depuis un an contre cette violence – comme les amendes pour les harceleurs de rue – visent en priorité les hommes les moins puissants, alors qu’elles exonèrent les principaux détenteurs du pouvoir. Tout centrer sur la répression n’est pas la solution miracle car cela suppose faire appel à une police et une justice dont la fonction première est précisément de défendre le pouvoir. En conséquence, la répression aura tendance à se concentrer sur les hommes minorés sans pour autant s’attaquer au cœur du problème. L’autre défaut de la concentration sur la seule répression est qu’elle opère a posteriori, sans questionner vraiment le modèle en place. Les hommes demeurent des prédateurs et les femmes d’éternelles victimes. Ainsi, les mesures de ce type se révèlent peu efficaces et aboutissent au maintien du statu quo. En effet, pour qu’elles soient bénéfiques, les actions doivent être globales et ne doivent pas viser la seule pointe émergée de l’iceberg.” […]
http://www.etatdexception.net/un-an-apres-metoo-bilan-et-perspectives/
J’aime bien dans l’article la dénonciation du ”win/win”. J’adhère globalement au point de vue anarcha-féministe.
Je me suis fai-te-s traitée de dragueureuse, de charmeureuse, en défendant des points de vue antisexiste (bien sûr si on fait du ”charme” c’est pour un but sexuel, pas un objectif de partage avec une personne avec qui on sent d’emblée des affinités!!)…
Mais c’est pas une compet, l’anti-sexisme (je considère que le féminisme est l’affaire des femmes, l’anti-sexisme l’affaire des ‘femmes’, des ‘hommes’ et des ‘trans’), il ni a pas de winereuses ou de looseureuses. Après des expériences diverses et variées, le plus gros progrès qu’il me semble avoir fait vers le NO-sexisme, ça a été de ne pas prendre l’apostrophe ”sexiste” comme une insulte, mais plutôt comme un conseil.
Et parfois, après analyse (selon mes crédos idéologiques), j’en ai déduis que j’étais plus antisexiste que ‘LA’ camarade qui m’apostrophait (toujours selon mes convictions).
Le plus ”drôle” c’est avec la personne avec qui je partage un bout de vie, très peu politisé-e et qui, alors qu’on peut considérer que ‘je’ lui ai apporté cette culture politique, me reproche maintenant (et souvent à juste titre), des attitudes sexistes. Pour moi c’est que du bonheur, et une progression constante vers un idéal, que malheureusement je pense ne jamais connaître.
Il y a six mois naissaient en France, Balance Ton Porc et Me Too, à la suite de l’affaire Weinstein. Des mots repris par des centaines de milliers de femmes qui ont dénoncé les violences dont elles étaient victimes. Un mouvement de libération de la parole sans précédent. Pourtant, les femmes dites de “quartiers populaires” n’ont pas eu l’impression de bénéficier de ce haut-parleur. Précarité, poids du quartier, difficulté à porter plainte, elles racontent leur silence aux Inrocks.
https://www.lesinrocks.com/2018/04/03/actualite/balance-ton-porc-est-un-mouvement-pour-lelite-111066218/
LMSI n’a jamais soutenu Ramadan, c’est leur ami Finkielkraut qui protège les prédateurs sexuels :
Pour Alain Finkielkraut, #balancetonporc n’est qu’une excuse pour “noyer le poisson de l’islam”
“pour lui, ce hashtag, et les différentes affaires de harcèlement sexuel qui ont impliqué un ancien président du MJS, des députés, le directeur de la rédaction de LCI, Tariq Ramadan, et plusieurs acteurs et réalisateurs comme Kevin Spacey, Ed Westwick, Louis C.K., ne sont pas arrivés par hasard. Même si le mot de complot n’est pas prononcé, on comprend à la lecture de l’entretien d’Alain Finkielkraut qu’il y avait un but caché derrière tous ces récits”
https://www.lesinrocks.com/2017/11/21/actualite/pour-finkielkraut-balancetonporc-nest-quune-excuse-pour-noyer-le-poisson-de-lislam-111011761/
Finkielkraut défend Polanski : à treize ans, “ce n’était pas une enfant”
“Pour le philosophe, “Polanksi n’est pas pédophile”. Sa victime, âgée de 13 ans, “n’était pas une fillette, une petite fille, une enfant”, estime-t-il, accusant la France d’être “en proie à une véritable fureur de la persécution”.”
https://www.nouvelobs.com/culture/20091009.OBS4087/finkielkraut-defend-polanski-a-treize-ans-ce-n-etait-pas-une-enfant.html
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