L’empire contre-attaque : un manifeste posttranssexuel
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Category: Global
Themes: Contrôle social
L’Empire contre-attaque : un manifeste posttranssexuel
Sandy STONE
Traduit de l’anglais par Kira Ribeiro
Allucquère Rosanne « Sandy » Stone a remanié cet article plusieurs fois depuis sa première version, en 1987, et sa première publication en 1991 dans l’ouvrage de Julia Epstein et Kristina Straub, Body Guards: The Cultural Politics of Gender Ambiguity. Nous publions ici la traduction de l’article dans sa quatrième version, la dernière en date, publiée en 2014 sur le site Internet de Sandy Stone.
De grenouilles à princesses
Les collines verdoyantes de Casablanca surplombent des maisons et des magasins entassés dans des rues étroites et sinueuses où se mêlent les odeurs d’épices et de fumier. Casablanca est une très vieille ville dont Lawrence Durrell, peut-être uniquement à cause d’un accident géographique, n’a pas vu qu’il s’agissait du pressoir de l’amour. Dans le quartier plus moderne, sur un grand boulevard ensoleillé, se dresse un immeuble des plus communs, si ce n’est pour cette petite plaque en laiton indiquant qu’il s’agit de la clinique du Dr Georges Burou. Elle est principalement consacrée à l’obstétrique et à la gynécologie, mais elle a gardé pendant de nombreuses années une réputation que le flot de femmes marocaines qui passaient ses portes ignorait.
Le Dr Burou reçoit la visite du journaliste James Morris. Dans une antichambre, Morris s’impatiente en lisant Elle et Paris-Match avec une attention toute relative, puisqu’il est là pour une mission de première importance sur le plan personnel. La réceptionniste l’appelle enfin et le guide vers le saint des saints. Il raconte :
« Je fus conduit le long de corridors et d’escaliers à l’intérieur de la clinique. L’atmosphère s’épaississait à mesure que nous avancions. Les pièces avaient des rideaux de plus en plus lourds, veloutés, voluptueux. Des bustes apparurent et l’on sentit des bouffées de lourds parfums. Bientôt je vis s’avancer vers moi, à travers les renfoncements faiblement éclairés de ce repaire qui me donnait nettement l’impression d’être dans un harem, une silhouette qui m’évoqua celle d’une odalisque. C’était Mme Burou. Elle était vêtue d’une robe blanche ornée de glands, je crois, autour de la taille, et qui réussissait adroitement à combiner le luxe d’un caftan à l’aspect hygiénique d’une tenue d’infirmière ; elle était blonde, et mystérieuse avec application. […] Des puissances que je ne contrôlais pas m’avaient amené dans la chambre numéro 5 de la clinique de Casablanca et je n’aurais pas pu m’enfuir, même si je l’avais souhaité. […] Nous ne nous reverrions plus, je voulais regarder cet autre moi-même une dernière fois droit dans les yeux et lui adresser un clin d’œil pour lui porter chance. Pendant ce temps, un vendeur des rues, dehors, jouait sur sa flûte un délicat arpège, un petit air très doux et gai qu’il répéta à plusieurs reprises, en un suave diminuendo à mesure qu’il s’éloignait. Des vols d’anges, me dis-je, et je trébuchai vers mon lit, puis dans l’oubli » (Morris 1974, 216, 218-220).
Grâce à l’intervention des pratiques médicales de la fin du XXe siècle, dans ce récit merveilleusement « oriental » et quasi-religieux de la transformation, James Morris n’est plus ; place à Jan Morris. Ce passage est extrait de L’énigme, l’histoire du « changement de sexe » de Morris et de ses conséquences sur sa vie. Mis à part le « clin d’œil pour porter chance », il existe une autre cérémonie obligée, connue des transsexuelles MtoF[2] et qui s’appelle « tordre le cou de la dinde », bien que nous ne sachions pas si Morris l’a également accomplie. Je reviendrai ultérieurement et plus en détails sur ce rite de passage.
Faire l’histoire
Transportons-nous maintenant en imagination des ruelles effervescentes de Casablanca aux collines verdoyantes et vallonnées de Palo Alto. Le Stanford Gender Dysphoria Program occupe une petite pièce près du campus, dans une partie résidentielle calme de ce quartier aisé. Le Programme, un équivalent de la clinique de Georges Burou au Maroc, a été pendant de nombreuses années le centre universitaire, pour l’Occident, des études sur le syndrome de dysphorie de genre, également connu sous le nom de transsexualisme. C’est ici que sont définis l’étiologie, les critères de diagnostic et le traitement.
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