Cela semble être parti pour être un vrai mouvement. Avant même le 17 novembre, des actions de blocages de différents axes routiers ou sites commerciaux seront menées, ces blocages sont appelés à durer dans le temps.

Ce mouvement apparaît alors que depuis l’été dernier et l’affaire Benala, le pouvoir exécutif est entraîné dans une crise qui n’est plus seulement gouvernementale, c’est devenu une crise de régime. Les institutions de la Vème République sortent ébranlées de la crise économique et de ses plans d’austérité. Ces institutions ont été renvoyées à leurs fonctions les plus autoritaires après deux ans passés sous le régime de l’État d’urgence.

La politique extérieure de l’État français est autant belliqueuse que peut l’être celle des États-Unis. Ses bombardements en Syrie en octobre 2015 ont précipité les représailles du 13 novembre, puis dans la foulée, l’instauration de l’état d’urgence.

En parallèle l’espace médiatique et le discours de l’establishment politique attisent et légitiment les attitudes de haine et de persécution de différents groupes et classes sociales opprimées. Dès la Cop21, puis dans la répression de la grève contre la loi travail, et la mobilisation historique des forces de répression à Notre-Dame-des-Landes on a assisté à l’instauration d’un État policier en France. Ailleurs en Europe et dans le monde des fascistes s’installent au pouvoir dans un contexte de dégradations des relations internationales et de montée en puissance du militarisme.

La politique internationale de persécution des réfugiés est intensifiée par des luttes entre États, qui font de la vie de millions d’être humains des objets de chantage ou de tractations qui aboutissent déjà à un vaste système concentrationnaire. Qualifiée de menace sur la sécurité nationale, le réfugié est devenu un sans-droits sans cesse en danger, le ressortissant national est quant à lui assigné à une position xénophobe et nationaliste. S’il ose venir en aide à l’Autre, il est désormais poursuivi en justice et traité en criminel. L’entreprise de déshumanisation des réfugiés annonce une déshumanisation de quiconque s’opposera à l’Ordre.

Alors que l’impopularité des gouvernements se confirme d’élections en élections, la colère partout répandue par l’ultra-libéralisme et ses cures d’austérité se doit d’être canalisée et redirigée vers des boucs-émissaires Cela se décide en fonction de l’origine sociale des acteurs de la mobilisation, des enjeux qui la porte. On peut réprimer des ouvriers, des étudiants, des écolos, des anarchistes, et même des fonctionnaires. Mais les ravages du capitalisme s’étendent désormais dans la petite-bourgeoisie et la classe dite moyenne. C’est ce groupe hétérogène qui peut servir de ferment à un renouveau du fascisme.

Comme au cours du mouvement dit des « bonnets rouges » en 2013, une colère sociale légitime est captée et escamotée pour correspondre aux intérêts dominants. Déjà Charles-Edouard Leclerc a-t-il annoncé un carburant à prix coûtant jusqu’à la fin novembre. Les entrepreneurs, les paysans, les commerçants, tous ces indépendants qui le sont plus ou moins, tant souvent ils sont les auto-entrepreneurs de leur propre exploitation, ces groupes donc, subissent une pression fiscale importante, et pour une grande part, leurs revenus ne sont pas à la hauteur du smic ramené à leur temps de travail. C’est dans cet espace social que peuvent se rencontrer des individus issus de différentes conditions sociales mais rassemblés idéologiquement. On y trouve le terreau propice à une insurrection plus large de toute cette zone grise du bas de la classe moyenne, c’est là que l’État profond peut espérer radicaliser à droite une base active pour contenir les violentes contradictions sociales que produit le capitalisme.

Il est sûr que l’appel à « l’apolitisme » du mouvement relève du même ordre que l’engagement du maire d’une petite commune comme « sans étiquette », en filigrane il veut signifier : « je suis de droite ». L’apolitisme est ici une entrave à la proposition d’un discours révolutionnaire au sujet du pourquoi l’essence coûte cher, pourquoi les taxes se multiplient, pourquoi 1 % de gens gagnent l’équivalent des 99 % d’autres. Les discussions sur le prix de l’essence pourraient ouvrir des perspectives plus intéressantes de compréhension des enjeux de l’énergie. Guerres impérialistes au Moyen-Orient, désastres en cours et à venir de l’énergie nucléaire, fantasme de perpétuation de notre modèle économique dans une vaste transition vers l’électrique. Ici la question de l’énergie est reléguée loin derrière celle du coût du litre de carburant.

Aucun appel à la grève salariale, pas même de proposition d’augmenter les salaires historiquement bas, n’a été émis. Pourtant ceci allégerait le poids de l’essence dans le budget des salarié-es. Mais ce ne sont pas les intérêts de la classe ouvrière qui sont défendus ici. En réalité il s’agit plus d’une amplification de la contestation du régime par une tendance fasciste qui s’exprime de plus en plus ouvertement depuis 2015. Le seul appel à la grève émane d’un syndicat de policiers qui appelle à ne pas verbaliser le 17 novembre. Si la colère sociale existe, elle ne pourra pas trouver de moyens de s’exprimer dans ce mouvement.

Alors que l’on a connu récemment des mouvements quasi insurrectionnels au sein de la police, le soutien affiché envers ce mouvement par le Rassemblement National (parti fasciste) laisse augurer d’une large adhésion des forces de l’ordre au mot d’ordre du 17 novembre, tout autant que policiers et gendarmes peuvent s’identifier aux personnes qu’ils pourront être appelés à disperser. Et si des gendarmes désobéissaient ? Que se passerait-il ?

On voit bien qui cherche à tirer les marrons du feu de la colère sociale qui s’est étendue à la petite-bourgeoisie. Le parti fasciste (RN) a le soutien d’une large portion des services de sécurité de l’État, de l’armée à la police en passant par la gendarmerie, et de nombreux relais au sein des services de renseignement, et de ses « troupes de choc ». La question médiatique ne se pose même pas tant il est évident que le mouvement va connaître une importante couverture droitière.

Pour saper la tendance droitière de ce mouvement il faut l’affronter de face. Ce n’est pas en s’agrégeant à un mouvement pourri à la base qu’on peut l’améliorer. Le prix du carburant n’est pas subi de la même manière par un patron riche, un entrepreneur qui le passe en frais de route, ou pour un smicard qui n’est pas indemnisé pour ses trajets au travail. Cette contradiction fondamentale ne peut connaître que deux issues : la rupture entre groupes sociaux antagonistes, ou leur fusion dans un mouvement identitaire. Les forces politiques les plus réactionnaires auraient alors le champ libre pour se déchaîner, et elles l’ont bien compris depuis longtemps.

Il n’y a aucun intérêt à tenter de s’opposer à ce mouvement, tout autant qu’il serait vain de penser l’orienter dans une autre direction progressiste. Mais l’ambiance de révolte et de colère de laquelle il participe pourrait appeler à des mobilisations d’autres secteurs du monde du travail et de la société. Pour des questions matérielles, le prix de l’essence n’est pas le seul apauvrir les ménages. Ainsi les prix des loyers, de l’alimentation, des abonnements à l’électricité, au gaz, au téléphone sont-ils une charge quasi-féodale. Pourquoi pas des actions collectives pour bloquer des sites d’opérateurs en téléphonie, énergie ou des plate-formes commerciale? Pourquoi ne pas dénoncer publiquement les trust et leur entente pour faire payer au prix forts des services qui socialisés ne coûteraient rien? 

Le 17 novembre pourrait aussi voir des appels à bloquer des banques à l’origine de la crise, des institutions d’État qui nous pourrisent la vie: le ministère de l’agriculture qui bloque depuis des mois les aides à l’agriculture bio, l’urssaf où les petits auto-entrepreneurs sont lourdement taxés, les pôle-emplois où les chômeurs sont humiliés et maltraités, les caf et autres outils du contrôle social.

Un mot d’ordre du type: “Pour tout bloquer, il faut bloquer le capital”.