L’autonome, le syndicaliste et la merguez
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Themes: Immigration/sans-papierEs/frontieresLuttes salariales
En bref, plutôt qu’une critique politique pertinente de l’absence de débouchés de cette journée (qui jouait plus un rôle cosmétique qu’une véritable relance de la mobilisation sociale), nous avons droit à la logorrhée gauchiste habituelle dénonçant l’inaction des « privilégié.e.s » alors que, visiblement, les conditions subjectives sont réunies et tout le monde devrait avoir envie de tout péter.
Cet énième pamphlet rageur serait passé complètement inaperçu au milieu des centaines d’autres auxquels nous avons droit après chaque manifestation si une phrase particulièrement indécente n’avait pas attiré l’attention (et la colère) de certain.e.s camarades :
« Pendant que des personnes se suicident sur leur lieu de travail, les représentant.es syndicaux.les se gavent de merguez. »
Que « la CGT » (encore faut-il comprendre ce qu’est une fédération syndicale et comment ça fonctionne avant de considérer la cégétte comme un bloc homogène) se révèle incapable de s’adapter à la restructuration du rapport de classe et aux nouvelles modalités de lutte qui l’accompagnent, c’est une chose. Que les syndicats majoritaires aient passablement abandonné les salariés des TPE et les chômeurs et que le soutien aux précaires (notamment Deliveroo) et aux travailleurs sans-papiers soit encore trop faible, on peut aisément l’admettre. Qu’un manque de solidarité flagrant puisse advenir dans les manifestations voire même vis-à-vis de syndicats trop « radicaux » (on se souvient de la polémique autour de l’affiche de l’Info Com’ dénonçant les violences policières, de l’exclusion de SUD de l’intersyndicale cheminote à cause de son préavis de grève reconductible ou encore des réprimandes suite aux sabotages de la CGT-Energie), c’est également à déplorer.
Mais peut-être que la personne qui a écrit cette stupidité (réduire le syndicalisme à « manger des merguez » c’est comme réduire l’autonomie à lancer des cailloux et écrire ACAB au tipp-ex sur son sac à dos) ferait bien de réfléchir au nombre de suicides qui ont été évités grâce à l’action syndicale de classe, à la grève et aux luttes qui ont empêché des licenciements, des harcèlements moraux et sexuels et permis d’améliorer des conditions de travail invivables et inhumaines.
On apprend également que si les syndicats ne lancent pas d’appel à la grève générale reconductible, c’est tout simplement qu’ils « n’osent pas » le faire (les pleutres !). Exit le rapport de force et la conjoncture politique, il suffirait d’une bonne dose de « rage » – mot cité 4 fois en 10 lignes, on comprend que c’est le point central de l’analyse – pour bloquer le pays si ces salauds de traîtres de Martinez et Pavageau ne faisaient pas barrage de leur corps pour retarder la révolution.
Sauf qu’il ne suffit pas de crier très fort dans un mégaphone, même quand on est secrétaire général de la CGT, pour déclencher la grève générale. Surtout dans un pays où le taux de syndicalisation est inférieur à 10%. Et quand bien même ce serait le cas, car les dirigeants syndicaux maîtriseraient des pouvoirs occultes comme l’hypnose de masse des travailleurs, encore faut-il comprendre que la fonction d’un syndicat dans le mode de production capitaliste n’est pas de faire la révolution mais ni plus ni moins que négocier le prix de la force de travail et les conditions de l’exploitation. Ils ont déjà du mal en ce moment à faire face à l’offensive patronale en cours, n’allez pas leur demander la lune, l’abolition de la valeur et le jus d’orange apporté au lit en supplément.
Oui, les syndicats « débattent avec l’Etat ». Ce sont des organisations paritaires, et ils puisent leur légitimité de ce rapport, conflictuel mais néanmoins ininterrompu, aux instances de pouvoir, car ils ne peuvent pas exister sans leur reconnaissance légale.
Les syndicats, qui sont des institutions n’ayant de validité que par la reconnaissance par l’Etat de leur caractère légitime, ne peuvent pas se placer d’eux-mêmes hors la loi. Dans toute grève et toute occupation, il y a des débordements. Les syndicats peuvent dans une certaine mesure se cacher derrière des actes individuels (« les gars en ont ras-le-bol »), les couvrir, ou parfois « dénoncer les violences ». On ne peut leur demander d’organiser les débordements, parce que ce n’est pas leur rôle. Leur rôle, c’est à la limite et dans le meilleur des cas de couvrir ces débordements grâce à la légitimité dont ils disposent.
Mais admettons. T’aimes pas la CGT, FO et les autres centrales bureaucratisées ? C’est compréhensible.
Même SUD et la CNT c’est pas assez radical pour toi, toi t’es un vrai autonome, t’as lu deux bouquins sur la horde d’or italienne ? Pourquoi pas.
Alors vas-y, construis des solidarités de classe effectives sur ton lieu de travail, lutte, organise-toi avec tes collègues au sein de comités autonomes et indépendants des organisations préexistantes.
En attendant, le combat syndical, il se vit au jour le jour. Au contact des travailleurs. Et c’est pas facile : on doit affronter la répression policière et patronale, la misère financière, tenir les piquets de grève dès 6h du matin et rassurer la mif’ qui voit pas la paie arriver à la fin du mois. Ca paie pas toujours, et voir un collègue mettre fin à ses jours, détruit par la dépression, ça s’oublie pas en bouffant des saucisses.
Mais ça, tu le saurais si tu savais de quoi tu parlais, connard.
« Moi j’ai les mains sales. Jusqu’aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang. »
L’article de Rebellyon signalé par le texte ci-dessus n’est pas plus « hargneux » qu’autre chose, il met simplement en exergue que les promenades syndicales sous le soleil, ça ne mène à rien et on le sait très bien en y allant. Ceux qui sont les plus combatifs n’y vont plus, alors que la liste des motifs d’être révolté ne cesse de s’allonger.
Ceci dit, cet article de Rebellyon pose une question claire : les syndicats sont-ils un moyen de lutter ?
La réponse est non, et ça fait longtemps qu’il y a dans le mouvement ouvrier des gens qui le savent. Rosa Luxemburg répondait déjà il y a un siècle que les syndicats ne pourraient pas rester longtemps des organes de lutte, parce qu’ils se placent sur un terrain économique alors que la lutte de classe devient toujours plus politique.
On peut ajouter que d’autres révolutionnaires communistes ont par la suite montré que les organes prolétariens de masse ne pouvaient plus exister dans un système capitaliste devenu totalitaire : ils passent invariablement du côté de la bourgeoisie. On l’a vu avec la Social-démocratie, les syndicats partout dans le monde, les partis staliniens, puis trotskystes, les groupes anarchistes comme la CNT espagnole. La massivité du phénomène n’est évidemment pas un hasard.
C’est une question que l’on retrouve aujourd’hui dans les manifs et chez certains individus – trop peu visiblement au goût de celui qui a écrit ce texte sur Rebellyon. Mais derrière son texte il y a une très belle erreur, qui est de croire qu’il faut absolument que nous soyons en régime démocratique pour nous « réveiller ». Nous vivons déjà sans le savoir toujours clairement dans un système totalitaire, il n’y a nul besoin d’avoir le droit de manifester pour se « réveiller », c’est une leçon par exemple de la lutte en Pologne en 1980. Et ceux qui croient qu’il y avait le droit de manifester en février 1917 en Russie peuvent essayer de le démontrer !
Le texte ci-dessus nous fait quant à lui croire qu’il faut « construire des solidarités de classe effectives » pour lutter, il faudrait « s’organiser » au sein de comités. C’est absolument faux, la lutte de classe ne fonctionne pas comme ça, et la conscience de classe ne s’exprime de toute façon pas dans des organisations gérées par l’Etat, qui se placent purement sur un terrain réformiste et économique et n’ont pas d’autre fonction que de saboter les luttes. Ce que sont les syndicats, TOUS les syndicats, aussi « radicaux » soient-ils. Ils peuvent, comme l’auteur du texte ci-dessus, nous dire tant qu’ils veulent que « nous, on fait quelque chose au quotidien », dans les faits, ça ne mène qu’à écœurer les travailleurs les plus combatifs.
Ce n’est pas parce que certains syndicalistes sont sincères qu’il est possible de lutter dans ces coquilles vides que sont les syndicats, et de toute manière pas de cette façon. La lutte de classe n’est pas une question de « préparation » mais de rapport de force entre la classe ouvrière qui se débat contre l’idéologie dominante et la bourgeoisie qui cherche à l’en empêcher. En ce moment, et le texte de Rebellyon en témoigne, des ouvriers sont en train de se poser la question des moyens de lutte, et constatent que les syndicats n’y répondent absolument pas. C’est là qu’on en est. On comprend que ce ne soit pas apprécié par le syndicaliste qui a écrit le texte ci-dessus…
Agitation Autonome les potes des racialistes maos du PIR au secours de la plus grosse bureaucratie syndicale en France… Bientôt chez Drucker les mecs !