En cette période de “trêve”, l’offensive est menée par l’administration agricole. Au remplissage de fiches individuelles succèdent des entretiens avec l’administration. A sa charge, ensuite, d’aller présenter nos projets devant le comité de pilotage établi par la préfête. Nous ne sortirons pas indemnes de cette confrontation. De même que, pour une association, chaque demande de subvention demande de trahir l’intégrité du projet associatif, ici l’administration veut faire de nous des chef.fe.s d’exploitation. Nous voilà donc sommé.e.s d’apprendre, ou de réapprendre, leurs vocabulaire et sigles ; comprendre leurs normes et leurs processus. Nous voilà en train de penser ce que l’on va dire en fonction de ce qui va leur plaire, ce qu’illes vont comprendre et être capable de rapporter pour “nous défendre”. L’ensemble porend la tournure d’une espèce d’entretien d’embauche, à la différence qu’on cherche à se faire embaucher collectivement.

Personne ne semble y croire mais tout le monde se prête au jeu, par cohérence. “On a bien rempli les fiches”. Pour celleux qui ont un passé d’instruction, le vieux monde enfoui ressurgi. On se souvient de nos simulations d’entretien d’embauche à l’école, voire même peut-être de nos petits postes d’ingénieur.e.s…Et pour celleux qui n’avaient pas encore largué les amarres complètement, on découvre avec effroi que le vieux monde revient avec force.

Il faut lire (ou relire) les parutions récentes des éditions du bout de la ville [1] [2] ainsi que l’appel des agriculteurices hors-norme de février 2018 [3] pour comprendre à quel point l’agriculture répond à des normes industrielles, outil de gestion à part entière des corps et du vivant. S’il est difficile de présager de l’issue du combat en cours (je ne souhaite pas discuter ici de la pertinence de la stratégie déployée par le mouvement), il est évident que cette offensive administrative vise à marquer les corps et les esprits, et tente de détruire cette part sensible de nous même. La haie en face de la cabane, si magnifique au lever du soleil, pourvoyeuse d’aubépine, peuplée d’oiseaux chantants et d’insectes ; la mare, débordante l’hiver et asséchée l’été ; le champ, si agréable à fouler pieds nus. Tout cela, toute notre sensibilité réduite à une SMA et une viabilité économique. La poésie des semis non rectilignes, les échecs de débutant.e.s, les expérimentations, les choix estéthiques…tout doit, à terme, être justifié et surtout rentable. Cette offensive vise aussi à saper notre légitimité. Cette dernière a été construirt par la lutte, par l’occupation pendant tant d’années de ces terres et par l’amour qu’on leur porte. Tout cela de les intéresse pas, illes veulent savoir si l’on sera viable économiquement.

On a ici un concentré du monde néo-libéral, c’est-à-dire le libre marché organisé par la bureaucratie, qui cherche à revenir en force. Son offensive est aussi terrible que celle des farces de l’ordre. Les combats et les blessures sont moins spectaculaires, mais les dégâts sur le commun, sur notre rapport sensible cau bocage, pourraient être tout aussi importants..

Un occupant de la ZAD

[1] “Le ménage des champs”,Xavier Noulhianne, Les éditions du bout de la ville
[2] “Le paysan impossible. Récit de luttes”, Yannick Ogor, Les éditions du bout de la ville
[3] https://nantes.indymedia.org/articles/39999