Témoignage d’un.e blessé.e de la manif du 16.11.17
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : Loi travail 2016Répression
Lieux : Nantes
Manif contre la lois travail et son monde du 16 novembre. Nous terminons le premier tour au niveau de Bouffay. Ca gaze pas mal mais le cortège semble vouloir continuer à avancer malgré des ligne de flics assez proches. Il y a une première charge, que je ne vois pas tellement l’air est gris, puis une deuxième. Alors que je distribue du sérum phy, je ne me rend pas compte que nous sommes à une dizaine de mètres des flics et qu’illes sont en position de tire. Je réalise tout ça en tombant par terre sous la du choc que je reçois au dessus de la malléole. Rien n’éclate autour de moi, et en discutant plus tard avec d’autres gens, il semble que c’est un tire tendu de flash ball ou LBD40 qui m’a touché.
Des copin.e.s m’écartent un peu et des gens de la street medic arrivent pour s’occuper de moi. A premier vu, pas encore de saignement, juste un gros impact qui commence à gonfler. On me dit d’aller aux urgences car il y a de gros risque d’œdèmes. Des potes m’y portent, me déposent devant pour aller chercher un fauteuil, et reviennent en me disant qu’illes n’ont pas eu le choix, les pompiers ont été appelé car je suis dans l’espace public. Deux secouristes nous rejoignent quand même en attendant le camion. Ils me refont le pansement fait précédemment entre deux lacrymos.
Le camion arrive et les pompiers me disent de monter, refusant l’accès aux copin.e.s m’accompagnant. Là, ils me posent une série de question pour remplir leur fiche, auxquelles je répond que je m’appelle Camille, ce à quoi ils renfrognent un « ah ouais, vous jouer c’jeux là vous ?! ». Ils me demandent ensuite comment c’est arrivé mais ne semble pas tellement prêter attention à la réponse. L’un d’entre eux m’affirme même que les flash ball ne sont pas fait pour tirer sur les gens. Un peu après un autre me dit que vraiment, je n’étais pas du bon côté de la manifestation. Niveau soin, ils me font marcher, constatent que ça fonctionne pas très bien, mais bon ça devrait le faire sans radio. Ils me refont le même pansement, et me disent que je n’aurait pas besoin d’arrêt de travail car d’ici 3 ou 4 jours, l’hématome aura dégonflé.
Je sort du camion en boitant avec une sévère douleur quand même, et on se renseigne auprès de la street medic pour avoir le contact d’un médecin chouette sur ce type de truc. Plus tard dans la journée je vais donc voir un médecin, qui m’ausculte avec plus d’attention, me parle de séquelles psychologiques, de porter plainte ou non, de faire une photo à transmettre à l’assemblée des blessé.e.s et à la street medic… Il m’arrête donc pour une semaine, avec la consigne de l’appeler en cas de nouvelles douleurs.
Je reste plutôt assise le lendemain, mais j’arrive à boitiller chez moi. Le sur-lendemain, le 18 novembre, je décide de sortir car la douleur est clairement apaisée. Je marche toute la journée et ça va. Le soir je note qu’un bleu apparaît plus bas sur le pied. Le dimanche 19, je me réveille dans la nuit et me rend compte que je ne peux pas poser le pied à terre. J’ai très peu d’énergie et je cherche à m’alimenter mais tout ce que les ami.e.s appelé.e.s à la rescousse me proposent me fait vomir dans la demie heure, y compris l’eau. On appelle le SAMU qui nous aiguille vers SOS Médecins, qui nous envoi un médecin en début d’après midi. Il constate la blessure et les gonflements et me prescrit une crème antibiotique, un antidouleur, un anti-inflammatoire et des béquilles. Il ne se souci pas de mes vomissements, qui persistent après son départ et m’empêchent la prise des médicaments. Mon état se détériore au cour de l’après midi, je ne perd pas conscience mais je vois flou, n’arrive plus tellement à parler, ma jambe me plis en deux de douleur, et je continu à vomir. Mes ami.e.s en appellent d’autres afin de m’amener au CHU.
Vers 18h je suis prise en charge aux urgences. Les médecins défilent les un.e.s après les autres, s’inquiétant principalement de mes malaises causés par une tension extrêmement basse (entre 6 et 7) et un rythme cardiaque deux fois trop élevé (environ 135 battements par minute). Je suis mise sous perfusion de sérum physiologique pour mon hydratation, et de glucose pour éviter une crise d’hypoglycémie. On me fait faire des électrocardiogrammes (ce qui sera quotidien sur les semaines à venir), ainsi qu’une radio et un scanner de la jambe et des poumons. Illes détectent et éliminent un début d’embolie pulmonaire, seul constat des derniers contrôles. Sans savoir la cause de tout ça, je suis transférée en service de réanimation médicale dans la soirée.
Les médecins et infirmier.e.s poursuivent la série d’examens entamée plus tôt pour déterminer la raison de ce bordel généralisé, passant de la prise de sang au toucher vaginal. Le 20 novembre, on m’annonce qu’il s’agit d’un choc septique, dû à la plaie au mollet droit. Sans vision interne de la jambe, illes n’ont pas encore connaissance de l’étendue de l’infection et me préviennent à demie mot du risque de gangrène (dont les séquelles peuvent aller jusqu’à la perte de la jambe). Je suis mise sous divers antibiotiques et antidouleurs en intraveineuse, et on m’envoie au bloc opératoire en anesthésie générale le lendemain pour constater la zone de tissus nécrosés. On m’ouvre d’une dizaine de centimètres de la malléole à mi-mollet, et deux fois moins sur le genoux, au cas ou l’infection serait remontée jusque là. Elle s’encre à 10 millimètres de profondeur mais n’atteint pas le fascias musculaire (le tissus qui protège le muscle). L’hypothèse gangrène est donc écartée : seuls les tissus du mollet sont atteints. Le 22 je fais mon deuxième passage au bloc, illes referment le genou, ouvrent de quelques centimètres en plus le mollet, et posent un VAC sur la plaie (un appareil qui permet d’assainir la zone infectée). Je vis un second réveille après anesthésie générale, un peu moins simple que le premier car ma gorge me fait mal à cause de l’intubation pendant l’opération.
Des prises de sang faites au préalable révèlent une CIVD (coagulation intravasculaire disséminée), une infection lors de laquelle se forment des petits caillots dans les vaisseaux sanguins de tout l’organisme et dont les risques sont mortels. Elle semble être une manifestation du choc septique. Je suis directement mise sous traitement, on me transfuse du plasma et mon sang est fluidifié. L’infection régresse au cour de la semaine à venir.
Durant les jours suivants, ma tension et mon rythme cardiaque se stabilisent à une valeur normale, les plaies cicatrisent, et j’arrive de plus en plus à m’alimenter avec de la bouffe amenée de l’extérieur. Pendant presque une semaine, je suis immobilisée. On m’autorise ensuite à m’asseoir sur un fauteuil accolé au lit. Je passe donc une dizaine de jours en réa sans sortir de ma chambre, pendant lesquels on me fait trois échographies, un électrocardiogramme ainsi qu’une prise de sang toute les nuit entre 2 et 4h du matin, une radio, trois anesthésies générales et deux locales, une transfusion, et une douzaine de perfusions.
Le 1er décembre, on me transfert en service de chirurgie plastique (par chance je suis en chambre seule). On m’enlève définitivement ma perfusion (je prend mes antibiotiques et antidouleurs par voie orale) ainsi que les électrodes collées sur mon torse 24h/24 depuis mon admission. J’ai enfin droit à marcher (avec des béquilles) et à me laver seule et dans une douche. Quatre jours après, je fais mon dernier passage au bloc opératoire pour une greffe. On implante d’abord un derme artificiel dans la plaie du mollet, puis on me prend un rectangle de peau de 15 centimètres sur 7 sur la cuisse pour le greffer plus bas sur la jambe. Je passe une semaine à nouveau immobilisée au lit, pour favoriser la cicatrisation. Les traitements antibios se terminent le 10. Le 12, je vois pour la première fois mon mollet : la greffe a adhéré et apparemment tout se passe bien. La zone est rouge et marque un creux dans ma jambe (la teinte va s’atténuer durant les semaines et mois à venir mais la différence de niveau restera telle qu’elle). Je suis autorisée à me lever avec des béquilles et à poser le pied à terre. Ma sortie est prévue le sur-lendemain, le 14.12 (ironie du sort, je suis encore à l’hosto – à cause de la police – le 13.12).
Je sort finalement après 25 jours d’hospitalisation (12 en service de réanimation médicale et 13 en chirurgie plastique), suivis de 15 jours d’ITT à renouveler (avec le suivi d’un.e infirmier.e et d’un.e kiné). Je ne retrouverais qu’une sensibilité très partielle sur cette partie de ma jambe car les terminaisons nerveuses ont été détruites. Il n’y aura pas de séquelle pour l’usage de ma jambe car ni les muscles ni les os n’ont été touchés, mais l’immobilisation de plusieurs semaines nécessite une période de rééducation de la cheville.
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