Des flics armés et cagoulés prennent la rue, et en quelques semaines obtiennent à peu près tout ce qu’ils demandent. Peu de temps avant, un mouvement social s’était confronté à eux pendant quatre mois, sans rien obtenir, si ce n’est des blessures, des inculpés et tout de même quelques belles rencontres. Si les flics ont obtenu ce qu’ils demandent, pour le moment, ils n’ont pas obtenu ce qu’ils désirent – l’ »ordre » – c’est-à-dire la tyrannie complète. Mais le rapport de forces est en leur faveur, et de leurs zélés compagnons de l’extrême-droite qui ratonnent à l’orée de leurs manifs. Déjà, des frangins, des amies, des collègues, des voisines, subissent les contrôles musclés à l’emporte-pièce, en plus de l’exploitation et la misère. Les menaces des flics sur les gens jugés musulmans, pas assez blancs de peau, ou anarchistes, tel « je vais te retrouver quand je serai en civil », se banalisent. Pas de la part des flicaillons, de la part des chefs.

Le ministère de la justice n’a pas attendu les manifs de flics pour demander aux juges et procureurs la mise en place d’une justice expéditive pour mater celles et ceux qui oseraient défier le gouvernement, que ce soit à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à la « jungle » de Calais ou partout ailleurs : systématiser les comparutions immédiates, considérer les manifs comme des « attroupements », choper n’importe quel colleur d’affiches, blogueuse ou diffuseur de tracts et l’affubler du statut d’ « organisateur ou organisatrice » de ces attroupements, ou mieux d’ « association de malfaiteurs ». Voilà autant d’instructions diffusées par circulaire. Quant à la question des policiers et gendarmes, les tribunaux doivent se dessaisir des « dénonciations à raison de leur comportement » pour les reléguer à leurs propres administrations respectives. Pour que les choses soient plus claires, le Ministère de la Justice se doit de signifier que « lorsque la personne mise en cause est un fonctionnaire de police, les investigations seront confiées à un service de police, et lorsqu’il s’agit d’un militaire de la gendarmerie, elles le seront à une unité de gendarmerie », le tout « dans un souci d’impartialité ». La guerre, c’est la paix, écrivait Orwell.

Le but : faire en sorte que lorsqu’il y a une grève ou une manif, plus personne ne s’en rende compte, comme disait un ex ou futur président. Le vieux mouvement ouvrier, qui déjà ne comprenait pas qu’une grève puisse être légale, se retourne dans sa tombe. On ne demande pas à celui qu’on combat de fixer les règles de la lutte. Mais déjà, l’idée est instillée que la seule possibilité de contester, c’est de quémander tranquillement, dans les règles, en demandant l’autorisation préalable. La peur se charge de tranquilliser les moins dociles. Maintenant, quand il y a une manif, ils ne sont plus qu’une poignée, se félicite déjà le préfet et ses amis. Au besoin, on en tue un de temps en temps, de toute façon ça ne fait plus réagir grand monde.

Déjà, beaucoup de rebelles ont connu la taule ou sont encore engeôlés – parfois sous prétexte de terrorisme. Terrorisme, pour avoir saboté une machine, fait perdre de l’argent à des capitalistes, exprimé sa révolte. Les opérations anti-terroristes, en France, en Belgique, en Espagne, en Italie, sont autant de tentatives de liquidation des derniers révolutionnaires. Et une habituation des esprits.

Puis on annonce l’officialisation d’un fichage généralisé. Une étape supplémentaire dans la course sécuritaire entamée il y a des années. De toute façon, ça fait un an que l’état d’urgence est en place, et ça ne fait pas réagir grand-monde. Pourquoi s’en priver ? Déjà effectué clandestinement, le but de l’officialisation du fichier est de le rendre plus performant. On y notera l’identité, l’adresse postale et électronique, la signature, la taille, le sexe, la couleur des cheveux, les empreintes digitales et la filiation. Mais qu’est-ce que ça peut vous faire ma pôv’dame, si vous n’avez rien à vous reprocher ?

En attendant, l’Etat va faire la guerre un peu partout, comme jamais depuis longtemps, et a du mal à cacher qu’il y envoie l’armée pour défendre des intérêts économiques. La Russie et les Etats-Unis sont désormais dirigés par l’extrême-droite. Et on organise le tri des errants, de ces indésirables qui risquent leur vie pour franchir des frontières que d’autres se vantent de passer si facilement qu’elles n’existent plus pour eux. En même temps, on en profite pour expérimenter sur les indésirables les nouvelles méthodes sécuritaires et administratives. Et si la rétention servait aussi aux personnes fichées et surveillées ? Ce sont encore des amies, des voisins, des collègues, de soi, dont ils parlent.

Pendant ce temps, les milieux radicaux se mettent à parler de race, et se tapent dessus entre eux. Les milieux révolutionnaires finissent d’être liquidés, et curieusement l’Etat trouve de précieux alliés dans cette sale besogne. Des personnes qui se sont parfois mises en danger physiquement pour lutter contre le racisme se font maintenant taxer de racistes, de néo-colons ou d’islamophobes par des gens se revendiquant de l’antiracisme. Période confuse. Les milieux radicaux jugent avec frénésie, se muent en police des comportements et scrutent les moindres faits et gestes. La libération de la vie quotidienne se transforme petit à petit en hypernormalisation. Des révolutionnaires sont taxés de contre-révolutionnaires parce qu’ils veulent continuer à pousser dès maintenant à la révolution et tiennent à quelques principes de base. Trop has-been comme façon de voir les choses. Des compagnons avec qui tu as lutté sans concessions repoussent dorénavant l’emploi du refus du réformisme dans des textes collectifs destinés à la place publique. Ce n’est pas le moment, disent-ils. Défaite complète. L’extrême-droite devient l’incarnation d’un refus du système tel qu’il est. Le mouvement révolutionnaire est au niveau zéro de la conséquence.
Ca ne se passe pas demain. C’est déjà là.

Comme disait le poète :
Quand ils sont venus chercher les communistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes,
Je n’ai rien dit,
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques,
Je n’ai pas protesté,
Je n’étais pas catholique.
Puis ils sont venus me chercher,
Et il ne restait personne pour protester.

Novembre 2016.