Un festival en cage

Cet été, rdv est pris avec les copains copines pour le festival d’Aurillac, un festival de théâtre de rue qu’on apprécie pour sa composante assez sauvage : un off (les spectacles non déclarés, au chapeau) impressionnant, et un public parfois agité… En témoignent notamment les batucadas endiablées qui secouent le vieux centre à longueur de nuits, mais aussi le nombre de « campements » de tentes et camions installés sur le moindre espace vert, à l’écart des campings officiels. Mais cette année, état d’urgence oblige, les autorités compétentes (haha) ont tenté une pacification malvenue : tout le centre-ville est encagé par des barrières agrémentées d’un affichage sur les mesures exceptionnelles que le plan vigipirate nous imposent et d’un dispositif de sécurité visant à fouiller tous les sacs. Les flics se promènent tranquillement, comme dans n’importe quelle fan zone… S’il faut avouer que la plupart des vigiles postés aux points de contrôle sont assez sympas et pas trop zélés, la déconvenue nous rend de notre côté moins poliEs. Dès le premier jour on leur fait la promesse que les barrières ne tiendront pas la semaine… L’histoire nous a donné raison. Faut dire qu’on était pas les seulEs à être déçuEs. Et les conversations sur la nécessité de libérer Aurillac étaient souvent revenues entre nous, mais aussi avec pas mal de gens rencontréEs. Jo notamment, une copine du cru, qui nous a longuement parlé de l’existence d’une prison en plein centre… CertainEs se sont d’ailleurs payéEs un tour de chauffe sur les vitres du local du FN les deux premiers soirs, jusqu’à ce qu’il soit protégé par des planches de bois, qu’on s’est appliquéEs à redécorer (RIP mon marqueur). Pendant plusieurs jours, on a parlé de faire tomber les barrières, on a imaginé des scénarios, on a espéré, désespéré, on a prospecté, on a repéré les entrées les plus empruntées et les heures de pointe. Jeudi soir, on croit halluciner (il était déjà tard) quand on entend dans une buvette un peu excentrée un rdv pour une action à l’entrée des Carmes à 18h le lendemain. Un tract d’appel, paraît-il, aurait tourné sans que nous n’en ayons vu la couleur.

“Le plus bel art de rue”

Lorsqu’on arrive sur le lieu du rendez-vous, à 18h et des brouettes (faudra qu’on fasse quelque chose pour ces retards…), les barrières jonchent le sol et de nombreuses personnes sont déjà mal en point tant l’air est chargé de gaz. Une copine clown, présente depuis le début du rassemblement et active devant la compagnie de GM chargée de protéger les barrières de l’entrée, se dira d’ailleurs choquée de la vitesse à laquelle le rassemblement a pris la tournure d’une confrontation directe. En très peu de temps, les affrontements commencent et les gardes mobiles sont refoulés derrière les barrières. Quelques manifestants jettent cailloux et petits pavés, plusieurs potelets sont dévissés et balancés. On entend quelques tirs de flashball, des street-medics s’improvisent. On retiendra le mouvement spontané de copains copines qui décrochent des pancartes en carton (affiches de la promotion du off, déployée à l’arrache sur tous les murs de la ville) pour tenter d’évacuer le gaz contenu dans le petit tronçon en artère de la rue des Carmes où nous nous situons. Belle initiative collective, et qui plus est qui fonctionne, 150 personnes à vue d’œil s’y mettent et à chaque tir de grenade lacrymogène les yeux piquent un peu mais le gaz s’en va rapidement. Néanmoins, le manque de préparation des émeutiEres tranche avec ce qu’on a pu connaître en manif ces derniers temps dans le cortège de tête : des gens torse nus, même pieds nus, peu de k-way noir ou de lunettes de piscine. On retrouve pourtant cette même joie de se battre ensemble, des slogans fusent (beaucoup de “tout le monde déteste la police”, moins de slogans ciblés sur l’emprisonnement du festival peut être ?), beaucoup de graffs sont réalisés (“le plus bel art de rue c’est l’émeute”, “quel beau spectacle”, “une seule solution : la ventilation” …). Quoi qu’il en soit, en l’espace d’une petite heure, l’emplacement des barrières devient celui de la barricade. Les gendarmes mobiles, bloqués derrière, se retrouvèrent donc dans l’incapacité de charger. Face à la belle ténacité des manifestants, la compagnie finit par s’en aller. Dans un moment d’euphorie plutôt indescriptible, tout le monde grimpe sur la barricade, des cris de joie sont entonnés et quelques feux allumés. On apprend plus tard que trois personnes on été interpellées.

“Aurillac entaché”

Le lendemain, petite joie qui nous refait notre journée : on rentre tous ensemble sans se faire fouiller, bouteilles à la main. On en profite pour dégager les barrières qui sont encore présentes à cette entrée. On se rend compte au cours de la journée que toutes les entrées sont libres, les vigiles et les flics ont prudemment disparus. Le soir même, les condés et leurs amis vigiles sont de retour, et les barrières remises en place. La victoire aura été de courte durée, mais on a su en profiter. Comme des bandits, on retourne sur les lieux du crime jeter un coup d’œil. Les services de la ville aidés par quelques festivaliers on fait disparaître les traces de la barricade qui nous avait très efficacement protégée des charges policières la veille. Ils n’ont pas encore pu effacer les tags qui ont décoré les lieux de l’affrontement ni réparer les vitrines de la mutuelle qui était à côté. On retrouve des copains poètes posés exactement sur la place de feu la barricade, avec leurs chaises, leur bureau, leurs machines à écrire. Le “plus bel art de rue” n’a pas fini de les inspirer. On s’assoit avec eux pour profiter de la presse locale fraîchement achetée. Le gros titre de La Montagne : “affrontements à Aurillac : le festival de théâtre de rue entaché”. On n’est pas peu fiers ! Le moment est donc parfaitement choisi pour une séance de décryptage de la langue de bois médiatique. On vous épargne cet épisode, mais il faut quand même noter que, outre les habituels “jeunes manipulés”, on nous apprend que les festivaliers présents pour désencager le centre seraient en fait “contre le festival”. La vérité moins reluisante est que, de l’aveu même du président de la communauté d’agglo, le dispositif était avant tout un moyen de se débarrasser des gens qui “polluent le festival depuis des années”. Comprenez bien sûr les punk, les artistes non déclaréEs, les agitéEs qui font en fait vivre ce festival depuis des années. À ce propos, ce tag aperçu dans les rues : “ils ne profiteraient pas de vigipirate pour réprimer les punks à chien ?”

Épilogue : dissertation sur le sujet “Aurillac, est-ce la champion’s league ?”

Un festival intense donc, même si certaines choses auraient pu être mieux faites. Il ne s’agit pas de dire, comme on l’a entendu de la bouche de festivaliers, qu’on aurait du se plier aux contraintes des contrôles, que ce n’était pas le lieu pour une telle action, que les artistes ont été gênés (?? il y avait bon nombre d’artistes dans la lutte, et celleux qui ont été gênéEs l’ont été par les usages intensifs de gaz de la POLICE). Par contre, on peut quand même soulever le fait qu’une fois la victoire sur la place des Carmes acquise, on aurait dû essayer de profiter de la dynamique pour partir en manif sauvage plutôt que de se reposer sur nos lauriers autour de feux de poubelles et d’immondices. Sachant que le reste de la ville était encore entouré de barrières à ce moment-là. Peut-être ne faut-il pas être trop exigeant, c’est quand même déjà super que plusieurs centaines de personnes aient réussies à se retrouver pour mener une action contre le contrôle dans un festival, où on vient généralement pour faire la fête. Finalement, on aura appris que la joie, la fête, l’art de rue et la lutte sont compatibles.