On bloque tout ? un premier bilan
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Catégorie : Global
Thèmes : Loi travail 2016Prisons / Centres de rétentionResistances
Volontairement, le texte de l’appel se plaçait dans une logique de « construction », bien conscient des écueils rencontrés dans différentes mobilisations depuis 2010, sans pour autant abdiquer sur l’enjeu de la grève. En invitant à poser le débat dans les structures syndicales, il a été au-delà de la forme pétitionnaire ou de témoignage pour faire office de « contribution ouverte » que peuvent porter, à tous les niveaux, et dans toutes les organisations syndicales, les syndicalistes de lutte. En allant au bout de la logique, peu importait à la rigueur la signature finale de la structure si les questions posées dans l’appel ont permis d’y faire vivre le débat.
Enfin, au-delà, l’appel rappelle clairement que c’est bien dans la lutte, et pas dans d’hypothétiques attentes à avoir des élections en 2017, que doivent se placer nos espoirs. Enfin, il permet aussi de poser le débat en termes de contre-offensive : obtenir le retrait de la loi travail, puisque ça reste notre objectif, doit permettre de reposer des revendications centrales, comme la réduction du temps de travail (avec les 32h) pour avancer sur le chemin de la transformation sociale.
L’appel « On bloque tout ! » et ses déclinaisons
Assez vite le collectif d’animation qui s’est mis en place pour le faire vivre, s’est attaché à ce que des initiatives concrètes en sortent. L’appel s’est doté d’un site http://onbloquetout.org/ et d’une page Facebook assez active (plus de 5000 personnes la suivent) : https://www.facebook.com/On-Bloque-Tout-1689008504685992/
Des autocollants ont été produits et distribués par milliers partout dans l’hexagone, des affichettes et des visuels mis.es à disponibilité. Plusieurs contributions, issues du collectif d’animation, sont parues depuis le 22 mars, complétant l’appel initial : « D’avril à mai… bâtir la grève » ; « Bloquons la répression » ; « Le 18 mai et après, la grève et la rue contre la loi “travail” » qui prenait l’exact contre-pied du communiqué intersyndical calamiteux du 3 mai. L’envoi de newsletters a l’ensemble des signataires a permis d’assurer un lien minimum. Il y a eu également des contributions de signataires, mais très (trop) peu (une d’un camarade de la CNT-SO, une de SUD Commerces et services…). Une rencontre nationale s’est tenue le samedi 23 avril (le compte-rendu a été publié sur le site) et un meeting le jeudi 19 mai (un article de bilan est paru dans le quotidien Le Progrès Social et repris dans L’Émancipation syndicale et pédagogique).
Les échanges lors de ces deux moments de rencontre ont permis d’analyser collectivement les différentes séquences de la mobilisation, même si on peut regretter le peu d’initiatives concrètes qui en soient ressorties.
Médiatiquement l’appel a été soutenu par Le Progrès Social, mentionné dans Politis et L’Humanité et plus sérieusement traité par Médiapart (deux articles et une invitation à un des directs qu’organise régulièrement ce média en ligne). Il a également été relayé par différents médias liés à l’extrême gauche (Le Monde libertaire, Radio libertaire, Alternative libertaire, L’Anticapitaliste…).
Tout bloquer, oui, mais comment ?
A l’appui de cette dynamique d’ensemble, et sur la base du texte d’appel, des collectifs locaux « On bloque tout ! » se sont constitués spontanément sur plusieurs villes : Dijon, Grenoble, Marseille, Nantes, Pau… ailleurs des initiatives en lien avec l’appel étaient prises, bien souvent appuyées sur des équipes intersyndicales (souvent CGT, CNT, FSU et Solidaires), le minimum ayant été des tractages de l’appel dans les manifestations jusqu’à des réunions publiques et des opérations de blocage économique. Ce qui a permis de remplir en quelque sorte un rôle d’assemblée générale interprofessionnelle. On peut toutefois regretter que pour la plupart de ses signataires, « On bloque tout ! » soit resté une sorte de label sans forcément réussir à s’incarner dans des actions concrètes. A contrario, la mise en avant du « blocage » a parfois pu paraître se substituer à l’ancrage de la grève ce qui n’était pas forcément notre démarche.
Mais on peut quand même raisonnablement penser que l’appel a contribué à ancrer largement la nécessité du blocage de l’économie comme enjeu de la mobilisation. Et ce n’est pas rien !
Sur un autre plan et parfois en parallèle, le rapport aux Nuits debout n’a pas été évacué. Le collectif d’animation a été en liaison avec la commission Grève générale de Nuit debout Paris (un tract commun a été réalisé) et une camarade est intervenue place de la République le 28 avril au soir. Autre exemple, des camarades signataires de Saint-Denis sont parmi les animatrices et animateurs de la Nuit debout dionysienne. Enfin, sur la question de la répression, outre le texte déjà cité, le collectif d’animation a signé et relayé l’appel « Un pouvoir qui matraque la jeunesse est faible et méprisable » et a lancé une campagne de solidarité avec Antoine, jeune militant de la CGT Valenciennes qui a été emprisonné plus de trois semaines avant d’être condamné à 10 mois de prisons avec sursis et deux ans d’interdiction de manifester dans son département.
Quelles perspectives pour « On bloque tout ! » ?
La mobilisation n’est pas terminée et promet de se décliner cet été avant de reprendre à la rentrée de septembre. L’appel et les différentes contributions qui lui sont liées restent utiles à celles et ceux déterminé.e.s à lutter contre la loi « travail » et son monde. La page Facebook comme le site ont relayé les appels à la grève et les opérations de blocage économiques, et nous continuerons cet été de nous faire l’écho des différentes initiatives qui pourront être prises.
Mais on peut déjà se dire que l’appel « On bloque tout ! » aura eu plus de résonance que les appels de syndicalistes pour la grève générale en 2010. Nous sommes plusieurs à nous interroger sur la suite à donner, pourquoi pas dès maintenant, à cet appel. Comment faire perdurer les liens tissés par « On bloque tout ! » entre équipes syndicales et collectifs de militant.e.s Solidaires, CGT, FSU, CNT, FO, CNT-SO, LAB… ?
Une des pistes consisterait à faire émerger un réseau pérenne de syndicalistes de lutte, appuyé sur de réels collectifs locaux, dont la forme comme le nom resterait à trouver mais qui viserait à dépasser la forme « appel » pour être capable d’initiatives concrètes et de terrain. La mobilisation a permis de constater les difficultés à donner sens et corps à l’action collective pour des centaines de milliers de salarié.e.s qui pouvaient « soutenir » la mobilisation sans pour autant franchir le pas de la grève. Il existe de nombreuses raisons à cela : manque d’ancrage du syndicalisme, précarité et bas salaires… Ces difficultés affectent l’ensemble des collectifs syndicaux, quelles que soient leur affiliation. N’y a-t-il pas urgence à mettre en commun nos pratiques, à échanger sur les obstacles, à développer horizontalement les solidarités intersyndicales ?
Un réseau, des collectifs de syndicalistes de lutte pourraient permettre cela, organiser des rencontres, régionales et nationales, des formations, des campagnes mêmes… Parce qu’on n’a pas fini de vouloir tout bloquer contre la loi « travail » et son monde !
Le Collectif d’animation de l’appel « On bloque tout! », le 12 juillet 2016
(photographie : Blocage de l’usine de traitement industriel des résidus urbains (TIRU) d’Ivry-sur-Seine, le 31 mai 2016. cc Daniel Maunoury)
Il est tout-à-fait remarquable que ce texte qui se veut un bilan du mouvement contre la loi El Khomri fasse totalement l’impasse sur l’analyse de la STRATÉGIE dont il se fait le promoteur. En l’occurrence, l’idée du « blocage » a montré toute son innocuité et son caractère totalement toxique pour la lutte, en isolant les différents groupes de grévistes contrairement à ce que dit ce texte ! La stratégie du « on bloque tout », c’est clairement « on reste chacun dans son coin » et c’est précisément le CONTRAIRE d’un mouvement vivant, qui se donne les moyens de vaincre !
La lutte, c’est la lutte contre l’isolement, pour l’unité des revendications, pour la solidarité active qui se traduit par l’envoi de délégations massives d’un mouvement vers les autres, par la création d’AG souveraines, par l’ouverture des AG aux autres composantes du mouvement, par la discussion la plus large et la plus critique sur le mouvement et les moyens qu’il se donne. Il n’est pas étonnant que les syndicalistes auteurs de ce texte ne pipent mot sur tous ces aspects de ce qu’est une véritable lutte : ils ont tout fait dans le mouvement anti-El Khomri pour les étouffer.
À la question : quelles perspectives pour On bloque tout ?, la réponse est simple : ne pas recommencer cette stratégie qui ne mène qu’à la défaite ! D’où sort exactement l’idée que c’est en cherchant à bloquer l’économie qu’on va faire plier la bourgeoisie ? De nulle part, d’aucune expérience historique, d’aucun exemple connu ! Les deux tentatives de mener cette stratégie datent de 2010 et de 2016, à chaque fois elles se sont soldées par une défaite totale ! La réponse de nos syndicalistes est évidemment qu’on a perdu à chaque fois parce que l’économie n’était pas assez bloquée ; mais jusqu’où faut-il aller pour que ça marche ? Et même et surtout, d’où sort cette idée qu’on pourrait « bloquer » une économie moderne de cette façon-là ? L’État a toujours eu les moyens de contrer ce genre d’action, par la réquisition, par l’armée, par les importations et le soutien des bourgeoisies étrangères – comme cela s’est produit en 1984 en Angleterre avec la grève des mineurs, qui cherchaient déjà eux aussi à « bloquer » l’approvisionnement énergétique du pays.
Le mouvement anti-CPE n’a pas eu besoin de « bloquer » quoi que ce soit pour obtenir le retrait du texte par le gouvernement Villepin qui pourtant n’avait aucune envie de céder ! C’est la solidarité dont il a fait preuve, sa capacité à intégrer d’autres luttes, comme celle des sans-papiers, et la menace de généralisation du mouvement aux secteurs salariés, notamment publics, qui ont fait céder l’État ! Les syndicats, qui n’y ont pris aucune part et en avaient même été éjectés manu militari, ne sont évidemment pas à même de revenir sur cette leçon fondamentale des luttes les plus récentes.
Et pour cause : les syndicats officiels, tout comme le PCF dont il est fait mention dans ce texte à travers son organe de presse, sont des composantes de l’État, autant que les CRS, et nettement plus efficaces contre les luttes sociales ! Et ça, c’est une leçon qui a maintenant près d’un siècle, il faudrait revenir sur l’histoire pour comprendre que l’échec répété des luttes syndicales ne doit absolument rien au hasard…
ajout de l’adresse du site dans le texte parce que bon facebook c’est pas là dessus qu’on s’organise, hein…