Une introduction à l’anarcha-féminisme
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Category: Global
Themes: Genre/sexualitésRacisme
L’anarchisme est l’idée que nul-le n’est plus qualifié-e que vous ne l’êtes pour déterminer votre propre vie et que vous devriez avoir une auto-détermination. C’est la conviction que les structures de pouvoir sont oppressives et que nous ne serons libres qu’avec l’abolition du pouvoir. Il n’y a pas de but final puisqu’il y aura toujours des dynamiques de pouvoir dans nos vies qui nécessiteront d’être abordées et abolies afin de parvenir à une société exempte de coercition, basée sur la communauté et fonctionnant sur les principes de la démocratie directe. L’anarcha-féminisme est l’application de ces politiques anarchistes à la théorie Black Feminist de l’intersectionnalité.
L’intersectionnalité est l’idée que l’ensemble de nos oppressions individuelles (i.e. classe, genre, race, sexualité, (in)/validité) s’entrecroisent et se renforcent mutuellement dans notre oppression ; par exemple, une femme prolétaire est opprimée dans cette société mais une femme noire prolétaire est davantage encore opprimée.
L’intersectionnalité n’a pas vocation à être utilisée comme une excuse pour entrer dans les « Olympiques de l’Oppression », mais plutôt à servir de prisme à travers lequel nous pouvons examiner les différents types d’oppressions et comprendre que chaque oppression individuelle n’est pas isolée ; elle a besoin de l’appui d’autres oppressions ou structures oppressives pour subsister.
On peut considérer notre société actuelle (suprémaciste blanche, capitaliste, validiste, hétéro-patriarcale) comme étant une pelote de laine et les brins de fil individuels comme étant le capitalisme, le racisme, le sexisme, l’homophobie, le validisme, etc. Ces morceaux de fil, ou structures oppressives, n’existent pas isolément pour créer la pelote de laine ; et en reconnaissant ce fait ainsi qu’en allant plus loin dans l’identification de où et comment elles s’entrecroisent, nous bénéficions d’une meilleure compréhension du pouvoir et de comment le détruire.
Le féminisme dans sa forme la plus fondamentale doit être anti-capitaliste. En examinant et en luttant contre les rôles genrés patriarcaux qui nous sont assignés en tant que femmes il est important de se demander d’où viennent ces rôles et quels intérêts servent-ils ? Le genre est la division capitaliste du travail, c’est une construction sociale ; il n’est pas basé sur le sexe anatomique (puisque le sexe anatomique et le genre ne s’accordent pas toujours), il est basé sur une oppression. Entretenir la croyance patriarcale selon laquelle les hommes sont biologiquement faits pour dominer les femmes a autant de sens que croire que les classes supérieures ou les élites sociales sont faites pour dominer le reste de l’humanité.
Certains travaux ont facilité ces rôles genrés patriarcaux ; le travail des hommes était à l’extérieur de la maison et était généralement rémunéré, tandis que le travail des femmes (tâches ménagères, soins, etc.), n’était pas considéré comme du travail, et de fait n’était pas rémunéré. Au contraire, il était du devoir de toutes les femmes de faire la cuisine, la vaisselle, de se reproduire et élever les enfants. Le travail de reproduction est nécessaire à une société capitaliste, le conserver non-rémunéré est nécessaire à la continuité de son existence. Le Capital n’a pas les moyens de rémunérer le travail de reproduction mais se battre pour la rémunération du travail de reproduction n’est pas une voie qui mène à la libération. Lutter contre les rôles genrés qui nous sont assignés et contre les structures de pouvoir qui existent à l’intérieur de la classe travailleuse, en revanche, est un chemin vers la libération
En définitive, les classes sont une problématique féministe. Les femmes sont démesurément plus pauvres que les hommes, et les femmes non-blanches plus pauvres encore. Les effets dévastateurs du capitalisme ne sont pas non plus étrangers aux mères célibataires. En moyenne, autour du globe, les femmes continuent d’être payées moins, y compris celles qui font exactement le même travail que leurs équivalents masculins. Sans compter que l’argent c’est le pouvoir, et que ceux qui ont le pouvoir sont généralement des hommes.
L’anarchisme est contre l’autorité injuste et le féminisme considère la famille nucléaire comme étant le fondement de tous les systèmes autoritaires : le père contrôle sa femme/partenaire et ses enfants, le patron contrôle le père, le gouvernement contrôle le patron. Les enfants sont éduqués à connaître leur place, et non à remettre cette place en question.
L’État est un système autoritaire ; il est une institution exploitante, oppressive, patriarcale et dominée par des hommes. L’État, quelque soit sa forme, est fondé sur l’esclavage, la violence, les mensonges, la traîtrise et la duperie – et toutes ces choses doivent être utilisées pour le maintenir. Très clairement, l’État est ce qu’il est : le défenseur du vieux privilège / créateur du nouveau privilège et un moyen d’exploiter les masses. Il doit également créer certains antagonismes sociaux artificiels afin de justifier sa propre existence. La création d’un nouvel État nécessiterait un nouveau groupe de personnes privilégiées ou une nouvelle classe privilégiée, dont la fonction serait de maintenir sa domination.
On ne peut “élire” la révolution : ainsi que le dit Kropotkine, “l’organisation étatique, qui est la force par laquelle les minorités ont choisi d’établir et d’organiser leur pouvoir sur les masses, ne peut pas être la force qui servira à détruire les privilèges”. La révolution doit être réellement libératrice, cela ne peut se faire que par le biais d’organisations révolutionnaires ascendantes et non-hiérarchiques. La participation féminine dans ces mêmes institutions pourries qui existent actuellement n’éradiquera pas le sexisme, cela assurera seulement plus avant l’oppression et la domination. Le mouvement anarcha-féministe ne veut pas imiter les structures de pouvoir patriarcales actuelles, nous cherchons plutôt à les détruire.
Il apparaît que le féminisme doit être anarchiste ; le féminisme par nature veut démanteler les structures de pouvoir du patriarcat, mais comme nous l’avons précédemment établi, ces structures de pouvoir oppressives ne sont pas indépendantes. Nous ne pouvons être libres qu’avec l’abolition du pouvoir, ainsi donc nous ne pouvons sélectionner et choisir quelles structures de pouvoir nous aimons et lesquelles nous n’aimons pas puisqu’elles travaillent toutes ensemble pour se renforcer l’une l’autre ; l’une ne peut disparaître seule, elles doivent disparaître ensemble.
Écrit par Fionnghuala Nic Roibeaird
pour Workers Solidarity Movement, publié le 2015-03-04
Traduit des camarades de la CGA
Site du groupe CGA -Region parisienne
Ce discours féministe qui parle d’intersectionnalité, de privilèges, etc ne me convainc pas.
Pourtant, en tant qu’anarchiste et femme je ne peux que constater que participer à des activités avec des anars hommes est tout simplement impossible. Impossible car on se retrouve reléguée systématiquement aux tâches subalternes, à devoir faire la secrétaire, à devoir faire celle qui va imprimer les tracts, celle qui va faire les comptes, celle qui va accueillir les nouvelles personnes auxquelles les mâles ne daignent pas parler, celle qui va faire tampon lorsque les mâles sont en conflit, celle qui va jouer l’infirmière lorsque les mâles sont déprimés, celle qui va être systématiquement infantilisée (un compagnon m’a dit “laisse les adultes parler entre eux”, et j’ai 27 ans), celle dont les prises de position n’auront jamais aucune valeur, qui ne pourra jamais rien décider, celle qui lorsqu’elle se barre du projet personne ne s’en rend compte, parce qu’une meuf chez les anars on ne la remarque que quand on a envie de la baiser, ou bien qu’elle a réussi (par ses diplômes, par son statut social) à obtenir le statut d’un homme et la reconnaissance qui va avec …
Une femme chez les anars c’est une potiche, et lorsqu’elle a envie d’exister, de ne plus accepter ce carcan, on fait tout pour qu’elle se barre, voire on la vire, parce qu’elle ne mérite pas la confiance de ces mâles puisqu’elle ouvre trop sa gueule, qu’elle fout la merde parce qu’elle refuse de se soumettre à ces mâles qui ne se plaisent dans l’informalité que parce que c’est le meilleur moyen d’assouvir leur soif de pouvoir sans avoir à le reconnaître, en ayant l’excuse de l’informalité pour prétendre qu’il n’y a pas de rapports de pouvoir, pas de domination …
En 1978 une compagnonne écrivait dans Colères “Je ne sais pas quoi faire : en quittant ce groupe j’aurais l’impression de renoncer à quelque chose auquel je tiens. C’est trop bête ! Mais c’est de plus en plus intolérable et il arrive toujours un moment où l’on est forcée de partir.” En 2016 absolument rien n’a changé … même pire, ces mâles utilisent la critique du post-modernisme pour pouvoir justifier absolument toute remise en question des rapports de pouvoir, et se permettre de traiter une compagnonne comme au début du XX° siècle, c’est à dire, qu’on l’accepte seulement pour l’utiliser, pour qu’elle les serve, qu’elle fasse ce qui n’est pas assez valorisant pour eux, mais lui permettre d’exister en tant qu’individu, d’être leur égale, ça jamais !
Une brochure est en cours, qui rassemble des textes de compagnonnes, parus dans les années 70/80.
Nous sommes en recherche d’autres textes qui parlent des problèmes de rapports de pouvoir hommes/femmes chez les anarchistes (et autres “anti-autoritaires”), et nous recherchons aussi des témoignages.
Parce que nous refusons d’être des victimes, nous mordons jusqu’au sang, nous sommes nocives, nous voulons que ces mâles finissent par comprendre que ça fait mal de vouloir nous dominer, nous domestiquer, nous rabaisser, nous humilier, nous infantiliser. Nous leur ferons payer chaque humiliation, chaque éraflure, chaque tentative de nous écraser. Nous assumons notre hystérie, nous n’avons aucune limite pour pourrir ces intrus qui salissent nos idées avec de tels comportements.
Mais jamais nous n’accepterons l’idée de certaines féministes qui prétendent que tous les mâles sont des salops. Nous avons des compagnons et amis dont nous avons confiance, dont nous n’aurons jamais rien à craindre, car tout le monde n’est pas un dominant, et parce que les idées anarchistes, qui sont en contradiction avec ces attitudes de domination, veulent aussi dire quelque chose pour des compagnons sincères.
Pour nous contacter : atropa@riseup.net
…les rapports de pouvoir et de domination entre “Femmes” (même féministes matérialistes truc truc) nous ont permis d’évoluer puis de saisir d’autres opportunités et de rejoindre d’autres horizons, groupes, affinités …
Ouais … sauf que dans les groupes anars les “chefs” sont toujours des mecs, tandis la main d’œuvre c’est des meufs, et des mecs pas “couillus” .. et je parle bien entendu des groupes anars d’une façon générale, car cette situation se voit largement en dehors des orgas, “l’informalité” et les petits groupes sectaires étant souvent bien pire, et les personnes subissant ces oppressions terriblement isolées, car c’est tellement plus simple et démago de ne pas broncher quand on voit une personne en humilier une autre publiquement, ou la traiter en inférieure.
Tant que ça ne dérangera personne l’idée que les anars sont des oppresseurs rien ne pourra changer, car avant de parler de révolution il faudrait balayer devant notre porte et supprimer les rapports de pouvoir qui existent parmi nous.
Ni dieu ni maître, encore et toujours !
Mort aux pouvoirs, aux autorités, aux dominations !
Ce qu’on dit : dans les groupes féministes les “chefFEs” sont toujours là et on a toutes les mêmes hormones et organes..
Des groupes “féministe” (femmes orga en en classe genrée, non mixité de genre) sont aussi traversés par les concepts de domination, de pouvoir et d’autorité.
Donc oui ça fait mal et il est est ardu de le reconnaître mais des rapports de pouvoir(s) existent parmi les “femmes” et rien ne changera tant que …
Ni déesse, ni maîtresse !
Peut-être parce que nous vivons dans une société patriarcale qui n’envisage pas qu’il y ait des rapports autres que de domination, de pouvoir … que pour beaucoup il y a comme un vide lorsqu’il n’y a personne aux commandes, et que pour la dynamique de groupe il faut toujours qu’il y ait quelqu’un contre qui le groupe s’en prend, celui/celle désigné comme le faible de service par l’Alpha du groupe, et qui subira les railleries, les commentaires dans le dos, etc.
Quand on analyse le comportement des loups en meute on arrive à mieux comprendre les comportements humains de cette société … il faut toujours qu’il y ait un-e alpha, et des bétas pour lui donner raison, pour lui donner du pouvoir, pour justifier son attitude …
Lorsque je dénonçais les airs supérieurs d’un compagnon qui se comporte en vrai petit chef, une compagnonne et un compagnon m’ont répondu la même chose “il a de quoi se sentir supérieur aux autres” … bienvenue chez les anarchistes !
Sans être anarchiste je suis d’accord avec beaucoup de choses contenues dans ce texte, lequel montre en tout cas, à l’inverse des « féministes » à la Delphy et de ceux qui lui sont proches politiquement, une préoccupation révolutionnaire réelle. C’est un fait que le renversement des rapports sociaux ne se fera qu’avec les femmes et pas contre elles. J’ajouterai que les comportements sexistes sont en soi contre-révolutionnaires, puisque l’émancipation des exploité(e)s est la condition de l’émancipation de tous.
Là où j’ai un désaccord, c’est sur cette phrase :
« En définitive, les classes sont une problématique féministe. Les femmes sont démesurément plus pauvres que les hommes, et les femmes non-blanches plus pauvres encore. »
Les classes ne se déterminent pas par la richesse ou la pauvreté, mais par la place qu’elles occupent dans le processus de production ; et s’il est vrai que globalement les femmes prolétaires sont encore moins payées que la plupart des hommes, il faut faire attention : on trouve toujours moins bien traité que soi !
C’est une question importante car il serait fâcheux d’en conclure que les femmes sont une classe à part dans la société capitaliste, ce qui reviendrait à les isoler des hommes et à diviser le prolétariat ; le prolétariat n’a que son unité et sa conscience pour combattre le Capital, tout ce qui le divise doit être combattu, que ce soient les divisions nationales, raciales, corporatistes et… sexuelles. Les prolétaires, hommes ou femmes, sont exploités, et c’est ce qui en fait des prolétaires ; après, le fait qu’ils sont payés plus ou moins par le Capital n’est que la variable qu’on appelle le taux d’exploitation, et ça ne regarde que les capitalistes ! Et dans ce cadre, ce sont les prolétaires les mieux payés qui sont les plus exploités, puisqu’ils sont aussi ceux dont le travail rapporte le plus de plus-value…
Pas étonnant que des CCIstes n’aiment pas Delphy, ça dépasse largement leur conception de la femme, qui n’est pas triste :
La condition de la femme au XXIe siècle
https://nantes.indymedia.org/articles/25961
Pour ne pas mourir idiot, un texte de Delphy :
La non-mixité : une nécessité politique
La ségrégation, c’est-à-dire la séparation imposée, l’accès réservé à certaines places ou certains espaces sociaux, est une des principales formes que prend la domination – que ce soit la domination des riches sur les pauvres, celle des hommes sur les femmes ou celle des blancs sur les non-blancs. Mais ce n’est pas la seule : de nombreux mécanismes de domination perdurent au sein même des espaces sociaux mixtes, malgré la mixité, voire parfois grâce à elle. C’est ce que montre Christine Delphy dans le texte qui suit : la mixité n’est pas en elle-même un bien qu’il faudrait opposer sans discernement à une non-mixité forcément « enfermante » et « étouffante » ; la non-mixité n’est en fait oppressante que lorsqu’elle est subie, au même titre que peut être oppressante une mixité ou une proximité subie. Et si la mixité choisie (ou plus exactement : la possibilité de choisir – ou pas – la mixité) constitue un objectif pour les dominé-e-s, le chemin qui y mène passe nécessairement par des moments de non-mixité choisie.
Je voudrais parler ici des différents sens de la mixité, en particulier mais pas exclusivement de la mixité entre les sexes, et de la non-mixité.
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http://lmsi.net/La-non-mixite-une-necessite