Les médias nous disent que la loi Travail est menacée par un mouvement de la jeunesse. Ils spéculent sur l’état de ce mouvement. Est-il en phase ascendante ou déjà en train de s’essouffler ? On se livre à de passionnantes querelles d’interprétation sur les chiffres de la police. Nous qui ne sommes plus ni lycéens ni étudiants depuis bien longtemps et qui, pour certains, avons atteint un âge respectable, nous ne voyons pas les choses ainsi. Il nous semble que ce qui bouillonne dans le pays a certes pour déclencheur la loi Travail, mais n’a au fond que peu à voir avec cette loi. Et qu’insister sur la jeunesse dans ce mouvement relève d’une stratégie d’étouffement que viendront conclure, au moment-clé, les vacances et les usuelles démissions syndicales.

« On ne fait pas d’omelette sans casser des banques » écrivent avec esprit les lycéens sur les vitrines fracassées des agences bancaires. Ce qui s’exprime dans les slogans, dans les cortèges, dans les tags, dans les occupations, dans les affrontements avec la police, a trait à la situation générale du pays. Ce qui s’exprime là est un ras-le-bol diffus, une rage commune, une révolte transgénérationnelle. Jamais dans notre vie, nous n’avions vécu sous un gouvernement aussi discrédité, aussi cynique, aussi inapte à faire face aux défis du présent. Jamais l’idée qu’une alternance politique puisse changer quoi que ce soit à notre sort n’a semblé aussi absurde. Jamais la perspective d’une élection présidentielle n’a paru aussi saugrenue, grotesque et pour tout dire révoltante. Jamais la lutte entre les prétendants à la victoire électorale n’a offert un spectacle plus ridicule.

Le désastre social, économique, écologique, existentiel, ou pour le dire d’un mot : la crise de civilisation que nous traversons, ne trouvera pas d’issue dans la politique classique. Aussi, la question qui se pose au mouvement en cours n’est-elle pas celle de la loi El Khomri, mais bien celle d’un soulèvement. La destitution du gouvernement et du régime ne se fera pas par l’adjonction à un mouvement de jeunesse d’un mouvement syndical de salariés et de fonctionnaires. Ce ne peut être que le fait d’un vaste mouvement populaire. Voilà qui ne se fera pas sans violence, ni sans stratégie. La férocité qu’a déployée la police pour empêcher jeudi 17 mars à Tolbiac une assemblée ouverte du mouvement dit assez combien le gouvernement perd son sang-froid à l’idée de jonctions inattendues, auxquelles il nous faut donc travailler.

Pour sortir des limites fixées par les différentes bureaucraties, les prochaines dates sont le 24 et surtout le 31 mars, avec la proposition, ce jour-là, de rester dans la rue et d’occuper des places. Mais nous avons appris ces dernières années que les occupations de places à elles seules ne suffisent pas à bloquer le fonctionnement des institutions. Le risque qu’elles contiennent est de se contenter d’exister, d’attendre leur évacuation ou leur épuisement. À notre sens, elles doivent donc plutôt servir de base depuis lesquelles prendre les lieux d’où les « représentants du peuple » prétendent pouvoir le gouverner, et à l’occasion le matraquer. Mairies, conseils divers, assemblées soi-disant régionales ou nationales, tout cela mérite d’être investi, repris, assiégé ou bloqué. Nous devons viser le blocage organisé du pouvoir politique. Il est donc crucial que soit défendu publiquement, dans ces jours, le bien-fondé du recours à l’action de rue. Bref : ce petit texte pour dire à la jeunesse que nous sommes avec elle, que nous serons avec elle dans la rue ou en esprit, et qu’aucune manœuvre d’isolement ne nous en dissociera. Qu’elle se permette tout ce qu’il lui semblera nécessaire d’expérimenter. Nous l’appuierons. À très vite, dans la rue.

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Pierre Alferi (écrivain), Daniel Denevert (artisan), Stéphanie Eligert (écrivain), Jacques Fradin (Philosophe), Eric Hazan (éditeur), Nicolas Klotz (cinéaste), Frédéric Lordon (économiste), Pierre Marcelle (journaliste), Karine Parrot (juriste), Elisabeth Perceval (scénariste), Serge Quadruppani (écrivain)…