Compte rendu du procès des escargots le 24 février 2016
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Local
Thèmes : RépressionZad
Lieux : Nantes
Les textes de loi qui font objet de débats pendant ce procès sont repris ici pour aider à la compréhension :
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Article L412-1 En savoir plus sur cet article…
Modifié par Loi n°2003-495 du 12 juin 2003 – art. 11 (V) JORF 13 juin 2003
Le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende. Toute personne coupable de l’une des infractions prévues au présent article encourt également la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l’activité professionnelle. Lorsqu’un délit prévu au présent article est commis à l’aide d’un véhicule, l’immobilisation et la mise en fourrière peuvent être prescrites dans les conditions prévues aux articles L. 325-1 à L. 325-3. Les délits prévus au présent article donnent lieu de plein droit à la réduction de la moitié du nombre maximal de points du permis de conduire.
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Article R413-19
Aucun conducteur ne doit gêner la marche normale des autres véhicules en circulant sans raison valable à une vitesse anormalement réduite. En particulier sur autoroute, lorsque la circulation est fluide et que les conditions atmosphériques permettent une visibilité et une adhérence suffisantes, les conducteurs utilisant la voie la plus à gauche ne peuvent circuler à une vitesse inférieure à 80 km/h. Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
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La jurisprudence de la CEDH sur une opération escargot.
Le procès
Procureur : Thierry Roland Juge : Bruno Sansen
Avocats de la défence : Pierre Henri Marteret, Pierre Huriet et Stéphane Vallée.
Le policier ayant « subi » la rébellion n’est pas partie civile et ne fait pas marcher la machine à sous. Pour le coup il est présent dans le tribunal où plusieurs sections de gardes mobiles bloquent l’entrée et une dizaine de policier sont présents à l’intérieur. Intéressant à retenir, le greffe du tribunal qui, comme chaque fois qu’il y a des rassemblements de soutien, fait un blocage filtrant à la porte ; a fait remarquer que les prévenu-e-s ont droit d’être accompagnées par une personne de leur choix. Pour autant la salle n’était pas pleine car la plupart des personnes ayant voulu rentrer ont été rejeté.
Les chefs de poursuite : Pour les 18 conducteurices le délit d’entrave à la circulation (CR L412), et pour le propriétaire complicité d’entrave. Une personne comparait aussi pour rébellion. Vu qu’il s’agit de délits qui relèvent du Code de la route et de délit de rébellion, il ne faut qu’un seul juge (CPP 398-1), et non trois comme on a l’habitude de voir dans les procès en correctionnels. Ceci peut expliquer qu’un refus de signalétiques n’est pas poursuivi. Pour ce grand procès une salle est réservée, aucun autre dossier ne sera traité le même après-midi.
Le juge commence par dire qu’il s’agit de 19 dossiers séparés et se pose la question sur comment procéder. Il propose de traiter les dossiers dans l’ordre des interpellations, en trois groupes, et les avocats proposent de faire leurs plaidoiries à la fin pour les 19 inculpé-e-s ensemble. Il explique le déroulé du procès et spécifie que les prévenu-e-s ont droit de répondre à des questions ou se taire.
Pour chaque groupe le juge appelle les inculpé-e-s à venir à la barre. Il vérifie pour chaque personne nom, date de naissance et adresse. Il spécifie que c ’est uniquement demandé pour pouvoir envoyer les documents comme le rendu. Il reprend les formulations du délit d’entrave : « Le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle ». Puis des questions de personnalité : revenu, concubinage, logement. Puis il lit les PV de police qui décrivent le déroulement de l’action, analysant chaque phrase, demandant au prévenu-e-s de commenter sur leur participation. « Est-ce-que vous avez choisi volontairement de participer à cette opération escargot » ? Tou-te-s déclarent d’avoir choisi de manifester contre les expulsions sur la ZAD et contre l’aéroport de NDDL.
Quand certain-e-s n’ont pas envie de répondre à certains questions (comme sur comment l’action était organisé, avait-il des points de RDV avant, …) pas de souci, il leur rappelle qu’ils n’ont pas d’obligation de répondre. Il n’a pas l’air d’aimer quand les gent-e-s contre-disent les déclarations de la police (« on ne s’est jamais arrêté », « je roulais à 40km/h non pas à 10 », « la fenêtre de ma voiture n’était pas baissé, du coup le motard ne m’a pas parlé directement », …), mais pas de sale ambiance méprisante dans ce procès. Un inculpé emmène des photos du périph à la même heure que l’action pour démontrer que de toute façon le périph n’est pas fluide le matin.
À chaque fois possibilité pour les avocat-e-s et le proc de poser des questions aux prévenu-e-s. Marteret demande quel est la valeur du véhicule et quel ont été les conséquences pour les prévenu-e-s d’avoir perdu leur voiture pendant ces 5 semaines jusqu’à l’audience. On décrit les besoins de véhicules pour la vie familiale ou professionnelle. Après le juge va poser ces questions lui même à tou-te-s les autres prévenu-e-s.
Sur la rébellion le policier déclare que la prévenue ne voulait pas être palpée par un homme. Qu’il a du coup demandé qu’elle enlève sa capuche et qu’elle retourne ses poches. Que la personne refuse et que celui-ci il essaie donc de lui enlever la capuche. La personne gesticule violemment, du coup 3 policiers lui sautent dessus pour la plaquer au sol. Le juge pose des questions sur ce déroulement à la personne concernée et lui demande de contextualiser. Un autre prévenu intervient pour expliquer que les policiers ont même regardé dans les caleçons. Le juge rappelle l’important arsenal d’armes que l’on retrouve habituellement dans les caleçons.
Réquisition du procureur
Le procureur fait un long exposé qui ne raconte pas grand-chose d’autre que réciter les faits, avant de rentrer dans les arguments.
Même si vous dites être là pour manifester, l’intention d’une opération escargot est de bloquer la circulation, l’appel à action mentionne d’ailleurs le mot blocage.
Sur la demande de requalification en contravention : le délit d’entrave est constitué par l’intention. Le texte dit : « En vu de… ». D’où le délit, en contraste avec la contravention qui ne parle pas d’intention, qui est une infraction matérielle.
Par contre une personne a été interpellée parce qu’elle faisait une action toute seule et qu’elle n’a forcément pas pu bloquer deux voix de circulation à elle toute seule, du coup il propose la requalification en tentative d’entrave.
Sur la rébellion il précise que la raison pour laquelle les policiers font des palpations de sécurité est que dés le moment de l’interpellation les personnes sont en GAV et du coup sous responsabilité de l’agent. Il y a bien des personnes qui se mutilent ou attaquent des policiers en transport. C’est d’ailleurs pour cela qu’aucun policier veut reconduire une personne chez elle après une GAV parce qu’il serait responsable de ce qui pourrait se passer pendant le transport.
Sur la mise en fourrière des véhicules, il faut comprendre que ce n’était pas une mesure répressive, que je n’ai pas saisi les véhicules, je les ai immobilisé, qu’il s’agissait seulement de pouvoir garantir la sécurité par des forces de l’ordre débordés.
Sur le droit de manifester, la liberté des uns s’arrête la où commence la liberté des autres, du coup faut quand même pas aller embêter les gens qui veulent aller au boulot le matin.
Requise : 100 jours amendes à 10 euro et 100 euro pour la rébellion.
Plaidoiries d’avocats
Les trois avocats ont préparé une défense collective et plaident sur des aspects différents de la défense.
Pierre Henri Marteret parle de la disproportion des mesures prises par les forces de l’ordre. Entre autre la mise en fourrière doit légalement être issue de la nécessité pour faire cesser l’infraction. Ici aucune nécessité.
Sur les entraves à la circulation on doit constater qu’il y a très peu de poursuites, il y a qu’une seule jurisprudence concernant un routier qui s’était à plusieurs reprises arrêté, qui avait été informé par des policiers que ceci constituait un délit et qui avait continué. Ici on voit sur les vidéos de surveillance (car tout le périph de Nantes est couvert par la vidéo-surveillance) que personne ne s’est arrêté. Une opération escargot entraine une certaine gène pour la circulation, certes, mais il n’y a pas question d’obstacle.
Marteret a aussi transmit des conclusions écrites sur le fait que la CEDH prévoit dans son article 11 le droit de manifester, et que du coup on ne devrait pas être poursuivi pour avoir manifesté.
Pierre Huriet parle de la disproportion des mesures répressives déployé par le procureur qui devait juste encadrer une manifestation, pas l’empêcher. On voit un dossier massif en terme de poursuites. Le choix de poursuivre, le choix de mettre des voitures en fourrière, le choix de la qualification en délit, à chaque étape le parquet choisit l’option la plus répressive. Clairement on cherche à réprimer le mouvement contestataire à NDDL et envoyer un message politique au mouvement. Est-ce qu’on veut dans le climat actuel de l’état d’urgence envoyer ce signal répressif ?
Il parle aussi de la nécessité d’avoir un obstacle pour constituer le délit d’entrave. D’ailleurs s’il y a deux voix de poursuites pour un fait, il faut appliquer la plus précise qui est donc clairement la contravention qui parle de vitesse excessivement réduite, non pas du délit qui parle d’obstacle.
Sur le raisonnement du proc, si pour constituer le délit d’entrave il faut l’intention de gêner la circulation, il n’y a aucun raison pour laquelle on ne peut pas intentionnellement commettre une contravention. C’est une logique à l’envers.
On réprime ici deux fois plus de véhicules qu’il n’y avait de voix de circulation. Ce n’est pas acceptable que pour un procès de cette ampleur on n’est même pas foutu d’interroger les policiers pour identifier quels véhicules était en tête, parce que les autres ne peuvent pas être poursuivis.
Sur la rébellion, si à partir de l’interpellation une personne est sous le régime de la GAV, les règles de la GAV sont strictes, entre autre sur la protection de la dignité de la personne qui devrait être palpée en dehors de la vue du publique.
Stéphane Vallée : Si vous ne relaxer pas, si vous ne requalifier pas en contravention, je veux plaider sur les peines encourues.
J’ai un bureau sur les 50 Otages. Toutes les semaines je vois des manifestations, qui systématiquement bloquent toute circulation. Pour autant on ne voit jamais des poursuites pour « entrave à la circulation ».
Le CEDH dans la seule jurisprudence établie qu’une opération escargot est une forme de manifestation.
Le parquet avait choisit en amont de contrôler, d’interpeler et de mettre les véhicules en fourrière plutôt que d’accompagner la manifestation ou dévier la circulation. La saisie des voitures n’était aucunement justifiée. On voit une réaction globale et musclée pour dissuader.
On voit que les opérations escargots se font régulièrement dans différents mouvements de lutte, les taxis, les paysans, … et jamais de poursuites pour entrave. On voit ici à Nantes une répression particulière par rapport au mouvement contre l’aéroport.
Le périph de Nantes est d’ailleurs de toute façon bouché le matin. D’ailleurs les voitures auraient pu rester garé sur la station Total où les conducteurices ont été interpelé, ou pour l’autre groupe, sur le boulevard après la sortie.
Si vous n’acceptez pas les arguments des autres avocats je demande une dispense de peine car mes clients ont déjà été réprimés suffisamment. Dix heures de GAV, comparution en justice, frais de justice, frais de la fourrière (environ 400 euros, certains des véhicules ne valent même pas ça).
Le mot des prévenu-e-s à la fin : La plupart n’ont rien à rajouter, sauf qu’il y avait d’autres passagères avec permis qui auraient pu reprendre les voitures pour qu’elles n’aillent pas en fourrière.
Le rendu
Le juge explique qu’il a déjà écrit une motivation pour son rendu et qu’il va du coup la lire intégralement en donnant des explications.
Il va d’abord traiter la rébellion. Rébellion est une résistance avec violence à une personne dépositaire de l’autorité publique. En l’occurrence la mention dans le PV que la personne a gesticulé violemment n’est qu’une appréciation subjective, car les gestes ne sont même pas décrit, ce qui ne permet pas au tribunal de faire son travail. Pour cela, relaxe sur la rébellion.
Les textes ne prévoient pas la confiscation de véhicules comme peine pour entrave. Pour cela le délit en lui même seul ne peut pas justifier le choix de mise en fourrière. Il n’y a pas non plus dans le dossier mention de l’impossibilité de laisser les véhicules garés là où ils étaient, du coup la mise en fourrière n’est pas justifiée, je la déclare nulle.
Par rapport à la requalification, si le texte parle d’obstacle et les prévenu-e-s ont utilisé leurs véhicules pour gêner la circulation, les véhicules sont considérés comme les obstacles.
Par rapport au droit de manifester codifié par la CEDH, je me suis largement basé sur un article de professeur Sudre dans le juris classeur en janvier. L’objectif de l’opération escargot, qui est une manifestation non déclarée, n’est pas de se rassembler pour pouvoir manifester avec une gêne à la circulation comme conséquence, plutôt l’objectif primaire d’une opération escargot est de gêner la circulation.
Pour cela je condamne sur le délit d’entrave à 200 euros d’amende avec sursis simple ce qui veut dire que si dans les 5 ans qui suivent vous n’encourir pas d’autres condamnations pénales de quel nature qu’il soit, l’amende ne doit pas être payé.
Conclusion
Ce rendu, par le « juge juste » comme le désignent les avocats, est à double tranchant. À la fois les peines sont raisonnables, les voitures peuvent être récupérées, mais tout autant il justifie la pénalisation des manifestations qui vont intentionnellement gêner la circulation. Ceci est une première en France qui nous laisse avec l’importante question de faire appel afin obtenir d’une cour supérieure que le droit de manifester soit un acte irrépressible, tout en sachant que l’appel suspend complètement le rendu, ce qui laisse le doute sur la possibilité de récupérer les voitures, et qui contient toujours le risque d’encourir des peines plus sévères…
La Légalère.
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