suite au départ d’amnesty international du forum des droits de l’homme qui avait lieu en début de semaine à nantes (voir le communiqué justifiant ce retrait), voici la traduction, en français (pas tout à fait fidèle mais faite à la volée) et en anglais, du texte que Paul Hoffman, président du Comité exécutif international d’Amnesty International, n’a finalement pas lu…

VERSION FRANCAISE

Droits humains et terrorisme

Introduction

Est-ce que les événements du 11 Septembre 2001 ont changé le monde à jamais ? Est-ce que la possibilité qu’un groupe terroriste puisse faire exploser une arme de destruction massive dans une grande ville est si imminente que l’entière structure du droit international soit remise en cause pour contenir cette menace ? Est-ce que nous pouvons supporter des normes des droits humains à une époque de crise perpétuelle et de danger exceptionnel ?

Ma thèse est que la « Guerre contre le Terrorisme » est en elle-même une menace pour les droits humains. En remettant en cause le droit international des droits humains et du droit humanitaire si patiemment développé depuis plusieurs décennies, la « Guerre contre le Terrorisme » peut remettre en cause notre sécurité plus que n’importe quelle bombe terroriste. L’épanouissement des droits humains, universels et indivisibles, est essentiel pour bâtir un monde où le terrorisme ne balaiera pas notre liberté ni notre sécurité.

L’histoire nous a montré que quand les sociétés troquent les droits humains contre la sécurité, la plupart du temps, elles n’obtiennent aucun des deux. Et les plus vulnérables dans les sociétés peuvent être soumis aux meurtres de masse ou autres violations massives de leur intégrité physique ou mentale. Saper la force du droit international des droits humains et ses institutions ne fera que faciliter le type de violations des droits de l’Homme qui a éliminé des millions de personnes depuis 60 ans.

Le droit à la sécurité

Au cœur de la lutte anti-terroriste se trouve la reconnaissance pour tout être humain du droit à la sécurité et du droit à la vie. Tous les gouvernements ont la responsabilité de respecter, d’assurer et de remplir ces droits et dans ce but d’user des moyens appropriés d’empêcher et de punir des actes de meurtres de masse et de destruction. Cependant, le droit à la sécurité doit être accompli dans le cadre de la protection des droits humains et non au détriment des droits humains.

Aucune société ne peut être protégée contre ceux qui utilisent la violence pour réaliser leurs objectifs. Il existera toujours un équilibre à trouver entre liberté et sécurité. Le développement et la mise en œuvre de standards des droits humains international ont toujours été liés à l’équilibre entre liberté et sécurité.

Les instruments des droits humains se sont créés à l’occasion des expériences les plus amères des sociétés, lorsque les droits humains ont été échangés trop facilement dans des luttes contre des « subversifs ». Le coût de l’abandon des standards des droits humains dans le combat contre le terrorisme n’est pas apparent immédiatement mais il est réel, aussi réel que la souffrance des victimes des attaques terroristes.

La Guerre contre le Terrorisme

Depuis les attaques du 11 Septembre contre les Etats-Unis, la Guerre contre le Terrorisme s’est lancée, avec l’appui de plusieurs gouvernements. Cette « guerre » met en cause les acquis des droits humains depuis des décennies ainsi que les instruments des droits humains.

Au cœur de cette menace pour les instruments des droits humains se trouve la question du fait de savoir si la « Guerre contre le Terrorisme » est une « guerre ». En définissant le combat contre le terrorisme comme une « guerre », toutes les lois de protection des droits humains ont été mises sur la touche, sans qu’aucun élément du droit les remplace.

La détention continue de plus de 600 personnes sur la base militaire de Guantanamo est devenue le symbole le plus visible des menaces qui pèsent sur les instruments des droits humains et posées par la « Guerre contre le Terrorisme ». Les détenus de Guantanamo ont été transportés dans une zone de non droit où ils sont les victimes de l’arbitraire, les victimes cachées du pouvoir exécutif.

Les détenus sont retenus hors de portée de représentants de la loi et reçoivent un traitement que leurs gardiens juge raisonnable selon les circonstances.

Depuis le 13 Novembre 2001, l’Ordre militaire de détention, traitement et jugement de certains non citoyens dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, autorise la détention et le jugement de quiconque les Etats-Unis juge suffisamment relié au terrorisme pour justifier sa détention indéfinie, et une fois que les Etats-Unis sont convaincus que cette personne est terroriste, c’est la fin du problème. Depuis des décennies, il n’existe plus de jurisprudence ou même jamais personne de détenu par une commission militaire de manière indéfinie jusqu’à la fin de la Guerre contre le Terrorisme.

Les jugements autorisés par l’Ordre militaire ne semblent pas se conformer pas au droit international et seraient confinés au secret. La procédure d’appel n’existe pas, ni la supervision par un observateur judiciaire indépendant. Les jugements ne seront pas équitables. Et ils ne l’apparaîtront pas non plus pour le reste du monde.

Les conditions sous lesquelles certains détenus sont maintenus relèvent de préoccupations sérieuses des droits humains. Des détenus sont sujets à des interrogatoires répétés et à des techniques (par exemple la privation de sommeil) et des conditions de confinement qui violent les règles d’interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants.

Le défi central de ces détentions est qu’elles sont hors la loi. Les Etats-Unis n’accepteront pas l’application de la loi américaine, ni le droit humanitaire international, ni le droit international des droits humains. Comme l’a démontré un Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention arbitraire, les détenus doivent être soit assurés de leur accès aux droits régis par le droit humanitaire international, soit ils doivent recevoir la protection du Pacte international sur les droits civils et politiques. Les Etats-Unis ont rejetés cela et toute autre forme de supervision internationale sur ces détentions.

Le point capital sur la supervision judiciaire de la détention consiste à assurer une base légitime sur les détentions continues des individus. Même si des juges donnent des possibilités considérables aux autorités étant donné le contexte du terrorisme, il doit y avoir des contrôles indépendants sur l’usage arbitraire de l’autorité exécutive.

Les instruments des droits humains sont utiles pour combattre le terrorisme

Ce qui est implicite dans la « Guerre contre le Terrorisme », c’est que les instruments internationaux des droits humains seraient contre productifs pour combattre le terrorisme. Cependant, il n’y a rien dans les instruments des droits humains qui entrave les efforts pour combattre le terrorisme.

Rien dans le droit international des droits humains n’empêche des gouvernements de voter des lois en faveur de peines criminelles à l’encontre de ceux qui conspirent ou qui agissent pour tuer leurs citoyens. En revanche, plusieurs nations ont déjà intégré ce type de lois.

Il n’y a aucune raison qui justifie le fait que des détenus de la « Guerre contre le Terrorisme » ne soient pas jugés sur la base de délits criminels reconnus et qu’ils ne reçoivent pas un accès aux règles de procès reconnus mondialement. Les Etats-Unis n’ont eu aucune difficulté à se soumettre à ces devoirs dans la réponse qu’ils ont apporté aux premiers attentats du World Trade Center.

Les règles internationales des droits humains reconnaissent aussi qu’il peut survenir des situations d’urgence qui justifient la suspension de certaines protections des droits humains pendant des périodes de crise. Par exemple, l’article 4 du Pacte sur les droits civils et politiques permet des mesures de dérogation des obligations contenues dans ce pacte, durant les périodes « de danger public exceptionnel » qui sont « proclamées par un acte officiel » et qui menacent « l’existence de la nation ». Il existe des limites précises pour déroger aux normes des droits humains, même en temps d’urgence. Mais le droit international est égal entre la nécessité d’accorder aux gouvernements la flexibilité souhaitée pour répondre aux situations d’urgence, et cela, sans accorder à ces gouvernements la possibilité d’exercer un pouvoir sans limites dans la poursuite des ennemis de l’Etat.

Le droit international des droits humains a été développé avec à l’esprit la possibilité de crises menaçant l’existence de la nation. Il n’existe pas de fondements pour abandonner ce droit complètement à cause des événements du 11 Septembre ou à cause de la menace d’attaques similaires.

Les instruments des droits humains sont essentiels pour une réelle sécurité de l’humanité.

Sans minimiser la légitimité de la réponse aux menaces d’attaques terroristes, un problème central posé par la « Guerre contre le Terrorisme » est qu’il ignore d’autres défis d’importance aussi grande ou encore plus pressants pour la sécurité humaine. Pour des millions de personnes dans le monde aujourd’hui la principale source d’insécurité n’est pas la menace terroriste, c’est l’asservissement à l’extrême pauvreté. Plus d’un milliard de personnes sur 6 dans le monde vit avec moins de 1 dollar par jour.

Le Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les instruments des droits humains sont basés sur l’indivisibilité des droits humains. Chaque être humain a le droit à un niveau de vie qui lui permette d’assurer sa santé, son bien être, notamment pour l’alimentation, le logement, les soins médicaux. Encore de nos jours plus de 3000 enfants d’Afrique meurent de la malaria chaque jour. Seulement une part infime des 26 millions de personnes infectées par le HIV SIDA ont accès aux systèmes de santé et aux soins médicaux nécessaires pour survivre. Plusieurs autres exemples peuvent être donnés.

Si les moyens et l’attention qui sont mis dans la « Guerre contre le Terrorisme » étaient détournés vers l’éradication de la pauvreté dans le monde ou vers l’élimination de la violence à l’encontre des femmes, est-ce que le monde serait plus ou moins sécurisé ? La réelle sécurité dépend de chacun dans le monde, dans son engagement en faveur du droit international et dans l’obtention des droits élémentaires promis par la Déclaration universelle.

La « Guerre contre le Terrorisme » cache ces points de vue en ignorant les autres causes d’insécurité pour les êtres humains, en réponse à une attaque subie par le plus puissant pays du monde, et ce faisant, dans un sens qui sape les instruments des droits humains qui offrent la promesse d’une réelle sécurité pour la majorité des personnes dans le monde. Le défi du terrorisme est réel et ne peut être ignoré, mais ce défi ne doit pas aveugler le monde sur d’autres préoccupations sur la sécurité humaine, aussi pressantes que le combat contre le terrorisme.

Conclusion

La coopération internationale dans un combat efficace contre le terrorisme apparaît crucial et les gouvernements ont évidemment le devoir d’empêcher des attaques terroristes. Il n’existe aucune raison pour que ces efforts ne soient pas entrepris dans le cadre des droits humains et du droit humanitaire. Le fait de ne pas le faire sapera non seulement les droits humains mais aussi la lutte contre le terrorisme elle-même.

VERSION ANGLAISE

HUMAN RIGHTS AND TERRORISM

Introduction

Did the events of September 11, 2001, change the world forever? Is the possibility that a terrorist cell will detonate weapons of mass destruction in a large city so imminent a threat that the entire structure of international law and society must bend to the necessity of doing whatever is necessary to meet this threat? Can we afford universal human rights norms in a time of perpetual crisis and exceptional danger?

My thesis is that the “War Against Terrorism” is itself a threat to human security. By challenging the framework of international human rights and humanitarian law so painstakingly developed over the last several decades, the “War on Terrorism” may undermine our security more than any terrorist bombing. The fulfillment of universal and indivisible human rights is essential to building a world in which terrorism will not undermine our freedom and security.

History has shown that when societies trade human rights for security most often they get neither and the most vulnerable in societies may be subjected to mass murder or other egregious violations of their physical and mental integrity. Undermining the strength of international human rights law and institutions will only facilitate the kinds of human rights violations that have taken the lives and souls of millions of people in the last 60 years.

The Right to Security

At the heart of anti-terrorism efforts is a recognition that all human beings have a right to security and a right to life. All governments have a responsibility to respect, ensure and fulfill these rights and to that end employ effective strategies to prevent and punish acts of mass murder and destruction. However, the right to security must be fulfilled within the framework of human rights protection and not at the expense of human rights.

No society can be protected from those who would use violence to achieve their ends. There will always be some balance between liberty and security. The development and implementation of international human rights standards has always been sensitive to the balance between liberty and security.

The human rights framework has been forged out of the bitter experiences of societies when human rights were exchanged too easily in the fight against “subversives.” The cost of abandoning human rights standards in the fight against terrorism may not be immediately apparent but it is as real as the suffering of the victims of a terrorist attack.

The “War on Terrorism”

Since the September 11th attacks the United States, with the support of many governments, has waged a “War on Terrorism.” This “war” puts the human rights gains of the last several decades and the international human rights framework at risk.

At the heart of the threat to the human rights framework is the question of whether the “War on Terrorism” is a “war.” By defining the fight against terrorism as a “war,” all of the protections of human rights law have been sidelined without any accepted body of law to replace them.

The continuing detention of more than 600 people at a military base in Guantanamo has become the most visible symbol of the threat to the human rights framework posed by the “War on Terrorism.” The Guantanamo detainees have essentially been transported to a “human rights free” zone where they are subject to arbitrary, unreviewable exercises of executive power.

The detainees are beyond the reach of any body of law and receive the treatment that their captors deem reasonable in the circumstances.

The November 13, 2001, Military Order on the Detention, Treatment and Trial of Certain Non-Citizens in the War Against Terrorism authorizes the detention and trial of anyone the United States deems sufficiently connected to terrorism to justify their indefinite detention and once the United States believes the person is a “terrorist” that is the end of the matter. There is no judicial review and even someone acquitted by a military commission could be detained indefinitely under the “War on Terrorism” is over, perhaps decades from now.

The trials authorized by the Military Order would not comply with international fair trial standards and will be shrouded in secrecy. There will be no appeal and no oversight by an established, independent judiciary. The trials will not be fair, nor will they be seen to be fair by the rest of the world.

The conditions under which the detainees are held also raises serious human rights issues. Detainees are subjected to repeated interrogations and to techniques (e.g. sleep deprivation) and overall conditions of confinement which violate the international prohibition on cruel, inhuman and degrading treatment or punishment.

The central challenge of these detentions is that they are lawless. The United States will not accept the application of U.S. law, international humanitarian law or international human rights law to these detainees. As the UN Working Group on Arbitrary Detention has found, the detainees must either be given the rights they are entitled to under international humanitarian law or they must receive the protections International Covenant on Civil and Political Rights. The United States has rejected this and every other form of international oversight of these detentions.

The whole point of judicial oversight of detention is to ensure that there is a legitimate basis for the continued detention of individuals. Even if judges give substantial deference to detaining authorities given the terrorism context of detentions, there must be some independent check on the arbitrary exercise of executive authority.

The Human Rights Framework Is Adequate For the Fight Against Terrorism

Implicit in the design of the “War on Terrorism” is that the international human rights framework would inhibit the fight against terrorism. However, there is nothing in the existing human rights framework that need impair international efforts to fight terrorism.

Nothing in international human rights law prevents governments from passing laws that impose criminal penalties on those who would conspire or act to kills their citizens. Indeed, many nations have already enacted such laws.

There is no reason why detainees in the “War Against Terrorism” cannot be tried for recognizable criminal offenses and be given the internationally recognized fair trial rights. The United States had no difficulty complying with these requirements in response to the first World Trade Center bombing.

International human rights law also recognizes that there may be emergencies which justify suspension of some international human rights protections during times of crisis. For example, Article 4 of the International Covenant on Civil and Political Rights allows for measures derogating from obligations assumed under the Covenant, in a time of “public emergency” which is “officially proclaimed” and which “threatens the life of the nation.” There are limits on the ability to derogate from human rights norms even in times of emergency but the framework is equal to the task of granting governments the flexibility they need to respond to emergencies without granting governments the ability to exercise unreviewable power in the pursuit of enemies of the state.

The international human rights framework was developed with the possibility of crises threatening the life of a nation in mind. There are no grounds to abandon the framework altogether because of the events of September 11th or because of the threat of similar attacks.

The Human Rights Framework Is Essential For Real Human Security

Without denying the legitimacy of responding to threats of terrorist attacks, a central problem with the “War on Terrorism” is that it ignores other equally or more pressing challenges to human security. For hundreds of millions of people in the world today the most important source of insecurity is not a terrorist threat, it is grinding extreme poverty. More than a billion people out of the world’s six billion people live on less than one dollar a day.

The Universal Declaration of Human Rights and the entire human rights framework are based on the indivisibility of human rights. Every human being is entitled to a standard of living that allows for their health and well-being, including food, shelter and medical care. Yet more than 3,000 African children die of malaria each day. Only a tiny percentage of the 26 million people infected with HIV/AIDS have access to the health care and medicine they need to survive. Many additional examples can be given.

If the resources and attention being paid to the “War on Terrorism” were diverted to the eradication of world poverty or eliminating violence against women would the world be more or less secure? True security depends on all of the world’s peoples having a stake in the international system and receiving the basic rights promised by the Universal Declaration.

The “War on Terrorism” undermines that prospect by ignoring all other causes of human insecurity in response to an attack on the most powerful country in the world and by doing so in a way that undermines a human rights framework that offers the promise of true security for the majority of the world’s people. The challenge of terrorism is real and cannot be ignored but this challenge cannot be allowed to blind the world to other challenges human security as pressing as the fight against terrorism.

Conclusion

International cooperation in an effective fight against terrorism is crucial and governments surely have an obligation to prevent terrorist attacks. There is no reason why these efforts cannot be undertaken within the existing human rights and humanitarian law framework. Failure to do so will only undermine not only human rights law but the struggle against terrorism itself.