Camarades, contre l’Etat et contre tous les prêtres,

Vive le blasphème !

“… le temps d’une vie est bref, si nous vivons ce n’est que pour marcher sur la tête des rois…”

Paris, le 11 janvier 2015

Face à une attaque meurtrière, et sans précédent sous cette forme sous nos latitudes, — une rédaction de journal satyrique, historiquement ancré à l’extrême gauche décimée au fusil d’assaut pour avoir publié des caricatures de Mahomet et ne pas s’être soumis à l’interdit religieux de la représentation —, une volonté forte de réagir se manifeste, d’importants rassemblements ont lieu dans toute la France et au-delà, les réseaux sociaux sont envahis de messages…. On sort de chez soi, peut être à la fois pour exprimer qu’on est affecté, pour comprendre ce qui est à l’œuvre, de quoi cette situation est le résultat et ce qui va se passer, pour parler, arpenter, ne pas rester seul, pour penser, refuser quelque chose dans la situation, sentiments que nous pouvons comprendre et partager, nous à qui il tient à cœur, en politique, de vouloir être à la hauteur de l’événement.

A cette ferveur encore informe et sans discours établi s’impose très vite la mise au pas de l’encadrement républicain : ce que défendra tout un chacun qui manifeste, ce sera donc l’Etat, son gouvernement, sa police et la construction d’un consensus social et politique autour de la défense de l’existant. Cette fois-ci le cadre est grandiose : ce sera, dans un plébiscite aux accents gaullistes, une véritable manifestation d’Etat, le plus grand nombre est appelé à faire masse derrière les ministres français ou étrangers, les représentants religieux, de partis politiques et des patrons… Nous prend alors l’envie de fredonner : « mon oncle infâme bricoleur… » de Boris Vian.

Les transports seront même gratuits en Ile de France ce dimanche. Faut-il comprendre cela comme une concession temporaire au besoin de mobilité des plus précaires, ou faut-il plutôt le percevoir comme un salaire indirect et socialisé du rôle de figurant que nous sommes tous appelé à jouer ? Peut-être est-ce que le consensus sécuritaire n’est pas encore assez affermi pour justifier qu’en plus d’un quadrillage policier il faille accepter le risque de prendre des amendes sur la route de la manif.

Pour le gouvernement et sa police il ne suffit plus de dresser, de disciplinariser tout le monde à un contrôle de plus en plus serré des vies, des déplacements, d’écraser le possible sous la rationalité économique : ces attaques meurtrières sont l’occasion de rendre le sécuritaire désirable.

Au-delà des mesures spectaculaires (le contrôle systématique et massif des véhicules par des policiers en armes par exemple) qui ont été mises en place lors de la traque des assaillants, à plus long terme, c’est le moment de renforcer l’exception permanente. Le « plan vigipirate » monte d’un cran, au stade attentat, cela implique que l’on accepte tous une emprise policière intolérable sur nos vies. Le sécuritaire est la même manifestation, sous d’autres formes, que cette irruption d’un fragment de guerre dans Paris. A nos yeux, les incantations à la toute puissance policière sont de facture identique aux lectures complotistes de ces événements.

Par ailleurs, on peut comprendre que que l’on puisse tout faire, y compris mourir, pour échapper à un avenir d’isolement carcéral à perpétuité, après de tels actes et après être passé entre les mains de la police : on ne souhaite pas cela même à son pire ennemi, mais cela n’explique en rien le fait que, comme tous les « forcenés » et « terroristes », les 2 assaillants de Charlie Hebdo et le preneur d’otage du supermarché casher aient été exécutés par la police. Un responsable policier aurait même affirmé qu’une autre justice a été rendue. Peux-t-on vraiment trouver normal cette peine de mort sans jugement ? Pour justifier la mort de Rémi Fraisse, avaient été mis en avant les affrontements qui avaient eu lieu et le fait que des policiers avaient été blessés. Pas besoin de faire de philosophie politique pour comprendre dès lors qu’on change de paradigme : du « monopole de la violence légitime » de l’état on passe à la démonstration qu’il est simplement la bande armée la plus forte.

Ni Dieu ni Valls !

Pendant ce temps là une grande partie de l’extrême gauche, au sens large, se confine dans la course à de nouvelles figures de « victimes » et s’agite mollement autour d’une défense du religieux sous ses modalités populaire et minoritaire — qui n’est pourtant ni populaire ni minoritaire partout, faut-il le rappeler —, comme le discours contre « l’islamophobie » en porte la trace. Dans un glissement sémantique dangereux « immigré » devient « musulman ». Au lieu de s’opposer à la mise en danger des populations d’origine immigrées, pourtant réelle à différents niveaux, que ce soit par la présence de racistes et de fascistes jusque dans les manifestations d’union sacrée ou par le développement actuel de la pression religieuse, on devrait défendre l’islam, qui, comme toutes les religions, impose une morale, un respect de l’existant contraire à toutes perspectives émancipatrices. Pour notre part nous considérons qu’au contraire c’est dans la défense de l’immigration, des dehors qu’elle apporte par le métissage ou le mélange, dans les oppositions qui naîtront en son sein contre le religieux que du possible fécond se propose.

Il y a bien des choses à défendre dans ce que ces « bras armés de dieu » ont voulu tuer à Charlie Hebdo. Ils ont aussi tiré sur la possibilité de l’expression du refus de la morale religieuse, cette police permanente des comportements, sur le refus de la soumission de tous à l’interdiction du blasphème.

Camarades, entre austérité et retour du religieux (islamisme, manif pour tous), retrouvons un peu d’autonomie conceptuelle (on n’aurait plus le choix qu’entre être fachos, républicains ou islamo-compatibles !). En considérant la conjoncture, et en dépit de la période, nous sommes encore un certain nombre à aspirer à des épisodes révolutionnaires, au retour des luttes et des mouvements qui construisent du commun et s’opposent à l’ordre établi. C’est dans cette perspective que nous affirmons que si dieu existait il faudrait le détruire. Comme il faut en finir avec l’état, le capitalisme et les différentes morales et idéologies qui le soutiennent. Il faut, d’ici là, trouver les moyens de proposer des formes de refus, intelligibles et rejoignables par ceux qui, sérieusement, veulent en découdre avec la situation présente.

Entre union sacrée sécuritaire et morale religieuse à coup de fusil d’assaut ou de sermon, sale temps pour les révolutionnaires…

Les drôles de dames de Charlie
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