Ce que nous appelons extrême-droite
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Catégorie : Global
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Les crises économiques ont souvent débouché dans l’Histoire sur des mouvements d’extrême droite, et il se pourrait que nos sociétés européennes en prennent le chemin. L’écho que rencontre l’apparente mutation du Front National ou le succès du « Printemps français » pourraient bien l’annoncer. Et d’autres mouvances sont récemment apparues, comme la manifestation « Jour de colère », le cirque médiatique de Dieudonné, le refus de l’égalité fille/garçon à l’école primaire, ou encore les manifestations des « bonnets rouges ». Cette dynamique est totalement hétéroclite et très confuse, mais semble à la recherche de mots d’ordres, de lignes politiques, de symboles fédérateurs. Tout cela pourrait alimenter une réappropriation à tâtons des grandes questions politiques confisquées par l’oligarchie, mais aussi une renaissance d’authentiques extrêmes-droites. Encore faut-il savoir ce que l’on entend par « extrême-droite ».
L’extrême droite c’est, en un mot, l’affirmation d’un projet de société ouvertement inégalitaire. Plus précisément, c’est la combinaison de plusieurs traits plus ou moins ouvertement assumés : un rejet fondamental de la démocratie, une relégation des femmes, l’obsession des boucs émissaires, la volonté d’un retour à un passé mythifié et une volonté d’expansion.
– Rejet fondamental de la démocratie
Les extrêmes droites veulent fonder la société sur des hiérarchies immuables et autoritaires, dans tous les domaines : C’est par exemple la volonté traditionaliste de restaurer le modèle familial où chacun occupe son rang sous l’autorité du Père ; la glorification pétainiste d’un monde du travail où les chefs, sous-chefs et grands chefs décident de tout pour tous avec l’appui de syndicats jaunes ; et une société dominée par une figure tutélaire, président, roi ou émir qui impose un ordre indiscutable dont l’armée est la colonne vertébrale. Le dogme est garanti par la religion, les ancêtres, la tradition et est sacré : la soumission et l’obéissance sont requises. C’est donc la force qui règle les conflits et la violence qui tranche, c’est le règne des « services spéciaux », des milices paramilitaires, des mafias, des gangs et des bandes.
– Oppression des femmes
Pour les extrêmes droites, la femme est par nature inférieure à l’homme : c’est une éternelle mineure devant être soumise à l’autorité masculine, celle du père, du frère, du mari, du fils, mais aussi du collègue, du voisin ou du passant. C’est l’héritage de bien des pratiques traditionnelles et des monothéismes, imposé par la Charia, l’ultra-orthodoxie juive ou les familles chrétiennes de la « Manif pour tous » qui dénient aux filles et aux femmes le droit de disposer de leur apparence et de leurs corps. Ce sont les militants anti-IVG, les adorateurs de la Bible et du Coran qui rejettent une éducation égalitaire, mais aussi la jeunesse réactionnaire de ces quartiers « populaires » où depuis des années la féminité est l’affaire de l’honneur des mâles et doit être cachée, voilée sous peine de stigmatisation et de brutalité.
– Obsession des boucs émissaires
Les extrêmes-droites orientent la frustration sexuelle et le ressentiment social vers un groupe désigné comme la cause de tous les maux, et qu’il faut soumettre, expulser ou exterminer. Ce sont un peu partout ceux identifiés comme étrangers, en Hongrie, au Japon ou en Arabie saoudite, toujours sales, immoraux ou haram, mais ce sont surtout les minorités, qu’il faut accuser non pour ce qu’elles font mais pour ce qu’elles sont : ce sont les musulmans en Birmanie, les albanais en Grèce, les Noirs et les chrétiens au Maghreb, les Juifs et les homosexuels partout. L’antisémitisme en est le paradigme, et le racisme sa théorie. En France, une nébuleuse complotiste, ce socialisme des imbéciles, se forme autour et à côté de Dieudonné, qui coalise de fait le vieil anti-judaïsme catholique, l’atavisme musulman anti-juif, les délires de la Tribu Ka ou du sinistre Alain Soral.
– Nostalgie d’un passé mythifié
Toute extrême droite hait le temps présent perçu comme une « ère de décadence ». Elle rêve au retour à un temps originel de pureté et de grandeur, période inaugurale vue comme un moment de fusion d’une communauté dégagée de toute scission ou conflit. Ces périodes mythiques sont un horizon et un projet politique : L’Italie de Mussolini, l’Allemagne de Hitler, l’Hégire de Mahomet, la France Royaliste, la Chine Impériale, etc.
– Volonté d’expansion
Les ambitions impérialistes sont au cœur des visées d’extrêmes-droites : il ne suffit pas d’avoir absolument raison, il faut imposer sa raison à toute la société puis au monde entier, par tous les moyens. Cela va de l’annexion de territoires voisins et de la fondation de colonies, comme pour la grande Serbie, le grand Israël, à un objectif de domination mondiale comme le projette les nostalgiques du IIIe Reich, de l’Empire Russe ou encore l’offensive djihadiste et ses compagnons de route aux quatre coins de la planète.
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Faux combats antifascistes
Mais on ne combat pas ces tendances en prenant des positions exactement symétriques.
On ne répond pas à la folie hiérarchique par le déni et le refus démagogique de tout pouvoir, de toute structure : vouloir une société démocratique c’est vouloir identifier puis partager le pouvoir équitablement entre tous. C’est vouloir un régime fondé sur des décisions communes discutées par les premiers concernés et appliqués par eux.
On ne lutte pas contre le mépris systématique des femmes par le relativisme et la confusion des genres : la révolution féministe ne consiste pas à dénier les différences, mais à les comprendre comme principe de l’égalité des sexes.
On ne combat pas la xénophobie et le racisme en traitant les minorités comme des demeurées incapables de s’extraire de leurs déterminismes culturels, mais bien en rappelant chacun à la responsabilité de ce qu’il pense, de ce qu’il fait de lui-même, et de la société qu’il fait advenir.
On ne fait pas pièce à la nostalgie mégalomaniaque en vantant un « progrès » qui ressemble de plus en plus à une fuite en avant vers un cauchemar hyper-technologisé : il manque de réels projets de société et c’est sur ce vide que prospèrent ces idéologies macabres.
Refuser, enfin, la perspective de dominations nationales ou mondiales ne revient pas à faire la louange de la mondialisation, de la mobilité et du déracinement mais bien à mesurer les effets de la généralisation de la société de consommation et de son nihilisme.
Responsabilités de la gauche
Ces « tirs de barrage » aveugles sont ceux de la « gauche » et de ses extrémités qui y trouvent une consistance providentielle. Ainsi, contribuent-elles largement à la confusion ambiante. Au lieu de poser les problèmes sociaux et politiques en des termes permettant de les traiter – inégalité économique, domination d’une couche d’oligarques sur la société, emballement des mécaniques financières et épuisement des ressources naturelles – elles ont contribué à déplacer le débat sur les questions de l’origine ethnique, de l’appartenance religieuse ou de l’orientation sexuelle, les naturalisant de telle sorte qu’elles soient soigneusement insolubles.
Ainsi, s’est fragmenté tout ce qui pouvait rester des grands mouvements populaires d’émancipation en une multitude de lobbys concurrentiels et culpabilisateurs.
Ce que la « gauche » appelle de ses vœux, c’est le « multiculturalisme », autre nom de la dislocation de l’intérêt général dans le clientélisme corporatiste, municipal ou communautaire. Face à un agrégat de clans, de groupes de pression, de micro-comunautés militants tous pour leurs petites chapelles, l’oligarchie domine et ponctionne sans conteste, tandis que les extrêmes-droites prospèrent naturellement.
Renforcement mutuel de toutes les extrêmes-droites
Car celles-ci ne s’annulent pas les unes les autres : tout au contraire elles s’alimentent mutuellement. Le colonialisme israélien ne peut que nourrir le radicalisme religieux islamique. L’expansionnisme Russe ne peut qu’exacerber le nationalisme ukrainien. En France, la propagation massive depuis trente ans d’une extrême-droite musulmane populaire a provoqué la résurgence de courants réactionnels décomplexés qui pourraient très bien rejoindre l’extrême-droite nationale, encore très minoritaire. Minimiser cet islamisme, notamment en faisant passer la critique de la superstition coranique agressive pour du racisme, comme hier on faisait passer toute critique de l’URSS pour du fascisme, n’est pas s’opposer au lepénisme : c’est en faire le lit. Et inversement. Il n’y a ici aucun camp légitime : il y a à établir des oppositions claires entre ces projets et les nôtres.
Reprendre le projet d’émancipation
Le discours commun de tous ces courants encore épars et en formation, c’est le mépris des « élites », la lutte contre l’oligarchie, la contestation du « Système » et de sa bien-pensance. Terrain commun sur lequel ils nouent des alliances de circonstances, électorales ou militantes. Ils reprennent alors à leur sauce toutes les grandes questions politiques et sociales délaissées depuis des décennies. Ainsi, ils ont beau jeu de récupérer la « question sociale », celle du partage des richesses, problème sans cesse reporté tant que la croissance bénéficiait à la majorité de la population et faisait espérer tous les autres.
Maintenant que les Trente Glorieuses sont finies, la question n’est plus : qui va accéder à la société de consommation ?, mais bien : qui va en être exclu ? Personne n’a rien à gagner, sinon les extrêmes-droites, de la guerre de tous contre tous, ni la sécurité, ni la liberté, ni l’espoir. C’est pour l’instant, et sans doute pour quelques temps encore, le chaos social qui l’emporte et de cette situation historiquement nouvelle peut naître tout et surtout n’importe quoi.
Il peut exister une autre voie, la nôtre : Une égalité des droits, des devoirs et des revenus entre les individus, un régime de démocratie directe capable de prendre conscience de l’épuisement des ressources naturelles et d’instaurer une société décente, sobre et humaine. Prôner l’auto-gouvernement des peuples, c’est exiger de chacun qu’il prenne ses responsabilités contre les discours démagogiques. Plus que jamais, il y a à tenter de comprendre ce qui se passe, sans paranoïa ni angélisme, pour reprendre le projet d’émancipation de liberté et d’égalité, et parvenir à contrer toutes les tendance à la régression en posant à tous une seule question, et d’abord à soi-même : Quelle société voulez-vous ?
Collectif Lieux Communs – Mars 2014 – www.collectiflieuxcommuns.fr
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